La Mare de Déu / René Zosso · Anne Osnowycz
Chants religieux du Moyen Age | Laudes du Pape Célestin
medieval.org
musiqueabourdon.ch
Tròba Vox TR 024
2010
(enregistrement: 1998)
[73:15]
1. Potentia de lu Patre [5:13] Oratio
Pietro del Morrone | anonyme XIVème s. | R. Zosso
2. Inperayritz de la ciutat ioyosa [7:06]
Llibre Vermell de Montserrat, anonyme XIVème s.
3. Deu de misericordia [4:11] Oratio vulgaris
Pietro del Morrone | anonyme XIVème s. | R. Zosso
4. Santa Maria loei [5:14] CSM 200
Cantiga de Santa Maria, n° 200 Alphonse X le Sage, XIIIème s.
5. Iesus Christus, nostra salus [2:41]
Hymne pour la fête du Corpus Christi | manuscrit polonais | anonym XVème s.
6. Lamentatio Beate Marie de Filio [15:59]
Pietro del Morrone | R. Zosso
7. La Mare de Déu [4:10]
Folklore catalan
8. Reine pleine de duçur [5:12]
anonyme XIIIème s.
9. A la clarté [5:21]
manuscrit de Montpellier, n° 189, anonyme XIIIème s.
10. Ave dolcissemu Iesu Christo [5:11] Oratio ad Christum
Pietro del Morrone | Johannes de Lymburgia | R. Zosso
11. Deu te salve [2:17] Oratio ad Beatam Mariam
Pietro del Morrone | anonyme XIVème s. | R. Zosso
12. Les V lettres de M.A.R.I.E. [6:49]
Thibaut de Champagne, XIIIème s.
13. Verbum Patris hodie [2:04]
anonyme XIIème s.
14. Verbum Patris humanatur [1:29]
Tiré de la Fête de l'Ane | anonyme XIIème s.
René Zosso · Anne Osnowycz
René ZOSSO — chant et vielle à roue
Anne OSNOWYCZ — chant et citera
Note de l'Editeur : les traductions des textes sont disponibles en Anglais et en Italien sur simple demande
à troba.vox@wanadoo.fr et www.musiqueabourdon.ch
Remerciements pour sa collaboration à Chantal Maillard.
© ℗ Tròba Vox TR024 - 2010
Illustration en marge du fol.179v. du Graduel du couvent de St. Katharinental, Diessenhofen (Suisse)
N° Inv. LM-26117.kop, photo DIG-721, avec l'aimable autorisation du Musée national suisse.
Dans les bourdons qui nous relient au tout.
Nous jouons de la vielle et de la citera; et nous chantons. Même
si la vielle, lors de ses débuts sous la forme de l'organistrum,
a pu servir aux recherches savantes et à l'élaboration
première d'une musique occidentale cherchant â quitter le
domaine de la monodie, nos deux instruments se sont vite
retrouvés l'apanage de musiciens œuvrant pour des publics
variés, tant instruits que plus populaires: les jongleurs, dont
les répertoires pouvaient être très
contrastés. Puis nos instruments ont survécu
jusqu'à maintenant dans plusieurs traditions populaires
européennes.
En travaillant, avec René Clemencic, sur des programmes comme les Carmina Burana (originaux!), l'Asinaria Festa ou le Roman de Fauvel,
nous nous sommes convaincus et de l'importance que ces clercs
apportaient à ciseler leurs textes (ce qui implique pour
l'interprète d'ajouter à son chant un "art de dire") et
de la diversité contrastée de leurs inspirations. Si le
Moyen Age a par ailleurs inventé un "art d'aimer" (dont les
Troubadours sont fondateurs), cette époque fut aussi l'Age d'or
de l'Eglise et on ne pourrait guère faire de la musique
médiévale sans être confronté au
répertoire religieux. Ce disque présentera donc des
chants religieux - mais non liturgiques - issus de divers jardins. Ce
qui en fera l'unité, ce sera l'une des principales
caractéristiques de nos instruments, les bourdons: ces deux axes
autour desquels s'organise toute musique modale (d'ici ou d'ailleurs),
ces deux sons continus "qui relient tout, qui nous relient au tout", et
qui sous-tendent toute la musique du Moyen Age, qu'ils soient
exprimés ou sous-entendus. Ici, ils sont exprimés,
à tel point que même lorsqu'on les tait (dans la Lamentatio
par exemple) on les entend encore. On ne pourrait donc pas dire que nos
instruments nous sont un simple "accompagnement": ils nous
précèdent, ils nous donnent l'espace dans lequel se
développe le chant, puisque les bourdons deviennent pour nous le
chemin qu'il suffit de suivre pour ère sûrs d'arriver
quelque part, puisqu'ils sont la page blanche coexistant â tout
le texte qui s'y inscrit. Dans la musique de l'Inde, ils sont
l'intemporel (et la sensation de Indurée, du temps qui passe:
chanter "pour passer le temps") traversé par tous les
événements transitoires du texte littéraire et
musical.
Nos manières de dire le religieux sont donc (au même titre
que le sentiment amoureux) tentatives variées de formuler
l'inexprimable sous-jacent, puisées ici dans les
répertoires de l'Eglise du Moyen Age occidental.
René Zosso
Les extraits du manuscrit de Célestin V
A L'Aquila, dans la bibliothèque de la Direction
Générale des Biens Culturels, Architecturaux, Artistiques
et Historiques des Abruzzes, se trouve un manuscrit en parchemin du
XIIIème siècle, de 165 sur 124 mm, d'une écriture
gothico-notariale fruste.
Selon une ancienne tradition, ce manuscrit aurait appartenu à
l'ermite Pietro del Morrone, passé à l'histoire sous le
nom de Pape Célestin V, qui fut couronné à
L'Aquila, le 29 août 1294 en la Basilique de Collemaggio (sa
dépouille mortelle s'y trouve encore et chaque année y a
lieu la "Perdonanza" - le Pardon - l'indulgence plénière
qu'il institua, devançant, sur le plan historique et spirituel,
les thèmes du grand Jubilé). Quelques mois plus tard,
accomplissant un geste d'une portée révolutionnaire,
Célestin V renonça â la papauté pour
retourner à sa solitude initiale, finissant ses jours en
sainteté: relégué par son successeur Boniface VIII
dans une cellule du château de Fumone, il s'éteignit le 19
mars 1296 et devint rapidement l'objet d'une vénération
fervente (canonisé en 1313).
Quant à l'origine du manuscrit: une annotation "ex libris" le signale comme faisant partie des biens Celestinorum beate Marie Collis Madii (Collemaggio) prope Aquilam
et quelqu'un, pour l'associer aux reliques du saint et en accompagner
la dépouille, a recouvert le volume d'un morceau du tissu
utilisé pour confectionner les mules du prélat. D'autre
part, des sources historiques confirment cette appartenance: il
s'agirait du petit volume que ses premiers biographes ont décrit
dans ses mains, compagnon discret de tant d'épisodes de sa vie: "Hec
inter consedit Apex parvusque libellus / occurrit, quem Murro sue
solamen habebat / inscitie, montana colens, servatus ab olim" lit-on dans l'Opus metricum
du Cardinal Iacopo Caietani Stefaneschi, parlant d'un livre que Morrone
avait emporté avec lui et dans lequel Célestin aurait
puisé l'idée d'abdiquer la dignité papale. C'est
dans ce même livre que, dans son ermitage, il avait l'habitude -
d'après le Tractatus de vita sua - d'entonner ses oraisons du matin: "Alio autem tempore in aurora sedebat in cella, et erat liber coram co, et legebat in eo".
Outre plusieurs écrits sur des questions d'ascèse, de
morale et de droit (parmi lesquels un chapitre est consacré
à la valeur du renoncement), ce petit manuscrit - qui se
présente presque comme un carnet de notes - contient une
série d'œuvres en latin vulgaire qui sont dignes de figurer
à juste titre dans le panorama historique de l'ancienne
poésie religieuse de l'Italie centrale.
On y trouve, à côté d'une importante rédaction des Proverbia attribués un temps Jacopone da Todi, les textes de quatre suggestives Orationes
(en vers assonancés, sur le modèle de la litanie ou de
l'oraison jaculatoire) qui sont d'une veine comparable à celle
des Laudes archaïques. Les principes de compassion et de
miséricorde qui les régissent sont aussi le viatique de
ce Pardon qui constitua - nous l'avons dit - l'essence de la
pensée de Célestin. Son œuvre est donc à.
insérer parmi les sommets du paupérisme du XIIIème
siècle.
Dans ce même cahier se trouve aussi la célèbre Lamentatio beate Marie de filio:
rédigée sur trente quatrains de décasyllabes
monorimes césurés en leur milieu, elle est
considérée comme l'un des plus anciens et des plus
complets Planctus romans parvenus jusqu'à nous; par sa ferveur,
elle pourrait appartenir au domaine des Passions de la tradition de
Monte Cassino dont elle partage le caractère de dévotion
mais dont elle amplifie la tension dramatique autour du concept de "mater dolorosa"
qui fit fleurir tant de belles expressions de la
théâtralité populaire, surtout dans le monde
méditerranéen.
L'idée d'une collaboration avec René Zosso et Anne
Osnowycz (pour faire revivre ces textes, il s'agissait de trouver un
soutien musical vraisemblable rendant la puissance expressive de leur
caractère fonctionnel) est née en 1994 à
l'occasion de la célébration dans la ville de L'Aquila -
pendant la période de la Perdonanza - du septième
centenaire du couronnement papal de Célestin V. Cette
passionnante expérience culturelle et spirituelle a permis de
restituer, dans leurs conditions d'écoute idéales, les
voix et les sonorités de cette humanité
médiévale qui n'est qu'apparemment perdue.
Francesco Zimei
traduction René Zosso
1. Potentia de lu Patre (Oratio)
Texte: Pietro del Morrone? L'Aquila, Musée National des Abruzzes, olim 126, f. 166v. Ed. F. A. Ugolini, 1959.
Musique: Anonyme, XIVème s. [c.c.] O Yesù dolce. Florence, Bn. Panc. 27, f. 50v. Ed. F. Luisi 1983.
Contrafactum: René Zosso.
2. Inperayritz de la ciutat ioyosa
Anonyme, XIVème siècle.
Source: Libre Vermell de Montserrat, f. 25v.-26 - édition en fac-similé, Barcelone 1989.
Les dix pièces musicales notées dans le Livre Vermeil de
l'abbaye de Montserrat en Catalogne l'ont été pour que
les pélerins qui le souhaitent puissent se divertir sans
pourtant dévier de l'orientation pieuse de leur séjour;
quatre sont des chants "a ball redon" - "ad trepudium rotundum" -
à danser encercle; trois autres sont des canons, dont deux sont
très faciles. La chanson Inperayritz - où la structure de
la danse reste sensible - allie le plaisir de la polyphonie a un rappel
de vérités théologiques dont il importait de
s'impregner: l'alliage - a parts egales - des deux substances, divine
et humaine. Les croyants, dans leur fréquentation
régulière de la Vierge et des saints, mêlaient
vénération et familiarité: dans cette
prière instante à notre meilleure "avocate" se glisse le
rappel de ce que Marie dispose de certains arguments pour faire
pression... Dans le manuscrit, le texte de la première strophe
est donné sous la première voix et celui de la
deuxième strophe sous la deuxième voix; le jeu des rimes
est le même pour chaque couple de strophes; la polyphonie est le
résultat de la superposition de deux mélodies autonomes.
D'où notre propre jeu d'alternances et de superpositions.
3. Deu de misericordia (Oratio vulgaris)
Texte: Pietro del Morrone? L'Aquila, Musée National des Abruzzes, olim 126, f. 166v. Ed. F. A. Ugolini, 1959.
Musique: Anonyme, XIVème s. [c.c.] Cum desiderio vo cercando. Florence, Bn. Panc. 27, f. 20r. Ed. E. Diederichs 1986.
Contrafactum: René Zosso.
4. Santa Maria loei
Alphonse X le Sage, XIIIème siècle.
Escorial E1 / 6 strophes sur 9. Alphonse le Sage, roi de Castille et de
Leon, n'a peut-être pas écrit lui-même les 400
cantigas de ce recueil. Il se donne pourtant le titre de "trobador" de
S. Maria et se met personnellement en scène dans plusieurs
chansons, permettant à qui chante celle-ci de se sentir
maître responsable de son propre royaume.
5. Iesus Christus, nostra salus
Anonyme, XVème siècle.
Cette hymne à 2 voix pour la fête du Corpus Christi
provient d'un manuscrit de la deuxième moitié du
XVème siècle conservé à la
Bibliothèque Jagiellonska de Cracovie (ms. sygn. 554, f.37 1v).
D'origine tchèque et connue sous le nom de « Carmen
Joannis Hussi de Coeli Sacra », elle est ensuite parvenue en
Pologne. Nous en chantons 3 strophes sur 10. Transcription: Jerzy Golos.
6. Lamentatio Beate Marie de Filio
Texte: Pietro del Morrone? L'Aquila, Musée National des Abruzzes, olim 126, f. 161 r. Ed. F. A. Ugolini, 1959.
Musique: René Zosso.
7. La Mare de Déu
Folklore catalan
Nous connaissons deux versions de cette chanson encore populaire en
Catalogne comme chanson de Noël et comme berceuse: la plus longue
développe les activités de la fillette puis met en
scène l'Annonciation. Nous avons préféré la
plus courte: c'est une petite enluminure qui est comme un
instantané de vie quotidienne. Les héros du Livre Saint
vivent parmi nous: Jésus-Christ peut s'habiller en pauvre. Marie
être un modèle pour les écolières...
8. Reine pleine de duçur
Anonyme, XIIIème siècle
Version monodique d'un chant à trois voix (Ms Arundel, Londres,
British Museum) d'un auteur français Anonyme du XIIIème
siècle.
9. A la clarté
Anonyme, XIIIème siècle
N° 189 du manuscrit de Montpellier. Les motets - surtout lorsqu'ils
comportent un texte différent pour chacune des voix - avaient
souvent un aspect ludique, voire "théâtral". Lors des
fêtes, les instruments populaires étaient admis dans
l'église. Nous avons attribué à la teneur "Et
illuminare" les derniers vers du "double" et joué à
combiner les différentes possibilités des voix et des
instruments pour donner à cette pièce une
atmosphère de fête de Noël.
10. Ave dolcissemu Iesu Christo
(Oratio ad Christum)
Texte: Pietro del Morrone? L'Aquila, Musée National des Abruzzes, olim 126, f. 167 r. Ed. F. A. Ugolini, 1959.
Musique: Johannes de Lymburgia. [c.c.] O Salve, virgo regina. Bologne,
Civ. Mus. Bibl. Music., Q 16, f. 266 r. Ed. E. Diederichs 1986.
Contrafamum: René Zosso
11. Deu te salve
(Oratio ad Beatam Mariam)
Texte: Pietro del Morrone? L'Aquila, Musée National des Abruzzes, olim 126, f. 167 r. Ed. F.A.Ugolini, 1959.
Musique: Anonyme, XIVème s. [c.c.] Qui nos fecit. Venise, Bn Marc., C1.IX.145, f. 103 rv, Ed. F. Luisi 1983.
Contrafactum: René Zosso.
Le simple mais très beau procédé de polyphonie
consistant en ce qu'une phrase AB soit soutenue par la même
phrase inversée BA se trouve dans l'original utilisé pour
cette pièce, le Qui nos fecit d'un manuscrit vénitien. Et
j'ai cula surprise de lui découvrir une sœur jumelle dans la
chanson mariale Evo je prisal que l'ensemble Lyra Wien donne comme
l'exemple le plus ancien d'un texte en vieux croate provenant de
l'île de Hvar.
12. Les V lettres de M.A.R.I.E.
Thibaut IV, comte de Champagne et de Brie, (1201-1253). Paris Bibl.
Nat. ms. fr. 24406 f. 16. Dans ce sirventès Thibaut de Champagne
explicite les cinq lettres du nom de Marie en une sorte de sermon
chanté: "vous", "nous" insistent sur la fonction relationnelle
de ce texte; le choix de chaque lettre est justifié d'une part
par sa signification: M = Mère; A = première lettre de
l'alphabet et première lettre du "salut" de l'ange: Ave Maria.
D'autre part, dans chaque strophe, la lettre concernée revient
fréquemment: l'OEil le voit; pour que l'oreille le comprenne,
sans doute était-il nécessaire que l'expression le
soulignât (nous savons en effet que, depuis la chaire, les
prédicateurs n'hésitaient pas à employer des
effets très théâtraux pour retenir l'attention et
faire passer le message). On retrouve ce procédé au
service du même thème dans le nº 70 des Cantigas de
Santa Maria: "Eno nome de Maria cinque letras, no mais, y à".
13. Verbum Patris hodie
Anonyme, XIIème siècle.
La musique, avec la première strophe, provient d'un manuscrit
vénitien de la Bibliothèque Marciana. Les deux
premières strophes, sur une autre mélodie, se trouvent
dans le manuscrit de l'Asinaria Festa (Officium Circumcisionis de
Beauvais. British Museum, Egerton 2615). La troisième strophe a
été tirée d'un autre chant de Noël, Virgo
Mater peperit (Bologne, Bibliothèque de l'Université
2216).
14. Verbum Patris humanatur
Anonyme, XIIème siècle.
La première strophe et la mélodie viennent, elles aussi, de l'Asinaria Festa et les deux autres d'un autre chant français de Noël du onzième siècle: Lætabundus.