Dés le douzième siècle la poésie courtoise,
le ‘Trobar‛, fleurit dans les cours
réputées du nord de l'Italie, sous l'impulsion de
troubadours venus du Limousin, du Languedoc et de la Provence voisine
chercher gloire et fortune. La lyrique occitane s'enracine à
jamais dans cet espace et provoque à la fin du treizième
siècle l'irruption du dolce stil nuovo sous la plume de
Dante Alighieri qui, redevable à Gérard Zuchetto
Bibliographie:
Altas ondas
medieval.org
Alienor AL 1063
1996
Troubadours d'Italie — XII° et XIII° siècles
Raimbaut de Vaqueiras
(... 1180-1205 ...)
texte: Linskill
1. Altas ondas que venetz suz la mar [8:12]
guitare sarrazine · guiterne · harmonium indien
· flûte de corne et chant
Bonifaci de
Castellana (... 1244-1265 ...)
texte: Parducci
2. Sitot m'es fort gaya la sazos [3:48]
oud · rebec · bendir · chant
Ramberti de Buvalel
(... 1201-1221)
textes: Bertoni
3. Ges de chantar n·om voill gequir [7:12]
oud · guiterne · harmonium indien · chant
4. Eu sai la flor plus bella d'autra flor [7:17]
harpe médiévale · rebec · harmonium
indien · flûte de corne et chant
Bertran d'Alamanon
(... 1229-1266 ...)
texte: Appel / De Riquer
5. Un cavaliers si jazia [6:12]
guitare sarrazine · guiterne · bendir ·
flûte de roseau, guimbarde et chant
Sordel ( ...
1220-1269)
textes: Boni
6. Puois trobat ai qi conois et enten [5:22]
oud · vièle à arc · taraïcha
· chant
7. Ai las e que·m fau miey huelh [8:19]
oud · guiterne · derboka · chant
Peire de La Mula
(... 1190-1220...)
texte: Bertoni
8. Dels Joglars servir mi laisse [5:39]
oud · citole · bendir à sonailles ·
guimbarde, chalémie et chant
GUY ROBERT · oud, guitare sarrazine, harpe médiévale
PATRICE BRIENT · guiterne, citole, viède, rebec
JACQUES KHOUDIR · bendir, derboka, taraïcha, harmonium indien
GÉRARD ZUCHETTO · chant, flûtes, guimbarde, chalemie
Compositions, arrangements et direction musicale: Gérard Zuchetto
Enregistrement: Cremm - Trobar En l'Abbaye de l'Epau (Août 1994)
ses aieux de tant de prouesse littéraire, eut la
générosité de les saluer à plusieurs
reprises dans ses œuvres... et en leur langue originale.
La chanson provençale à Montferrat, Este, Gênes,
Mantoue.. est comme le Trobar tout entier, contrastée et
colorée, à l'image des personnages qui la portent: le
rustre jongleur Peire de la Mula ou le grand aristocrate Ramberti
Buvalelli.
La poésie est attachée aux poètes qui voyagent
dans les mots et dans les paysages. Le provençal Raimbaut de
Vaqueiras vécut et mourut en Italie mais le mantouan Sordello
n'y séjourna guère que quelques années à la
fin de sa vie.
Contrairement aux 350 œuvres (sur 2600 textes) consignées
avec la mélodie dans les quatre grands manuscrits
médiévaux enluminés à notation musicale -
trois sont à la Bibliothèque Nationale à Paris, un
à la Biblioteca Ambrosiana de Milan - les poésies de
cette époque italienne ne comportent aucune musique, aucun signe
à notation carrée du modèle grégorien
habituel pour guider notre curiosité de musicien et satisfaire
notre plaisir de chanter les Cansos, chansons de l'amour
courtois, les Coblas, brefs couplets ou bien ces poèmes
satyriques, moraux ou politiques, que sont les Sirventés.
C'est donc en Jongleurs d'aujourd'hui que nous avons composé et
construit notre interprétation pour donner aux mots de ces
poèmes sans mélodie la vie par la voix et les instruments
de musique reconstitués. Et à l'exemple des Joglars
du Moyen Age, nous sommes restés attentifs aux recommandations
que nos maîtres du Trobar faisaient jadis à leurs
interprètes: "Il ne sait pas chanter celui qui ne fait pas
de mélodie; il ne sait pas ce qu' est une poésie s' il n'
en comprends pas le sens en lui-même (...) Bon est le vers, et
que celui qui l'apprendra se garde de le briser et de le réduire
en pièces. Bon est ce vers et ils en feront (les jongleurs)
quelque chose que l'on chantera" écrivait Jaufre Rudel.
Les Vidas et les Pazos éxagérées
par des biographes en quête d'éloquents portraits des
auteurs, les poèmes-témoignages de confrères
jaloux ou au contraire admiratifs, les enluminures comme des
photographies hors du temps, ainsi que des mélodies contrefaites
dont on a oublié le nom du compositeur constituent notre fonds
documentaire. Ce sont autant d'éléments subjectifs qui
ont guidé notre interprétation finalement
influencée par la prise en compte de travaux universitaires et
enfin par la couleur acoustique du lieu d'enregistrement.
Mais notre chant est avant tout un hommage aux troubadours de l'Italie
et la dernière génération du Trobar qui
est à la fois celle de l'exil des poètes-faidits qui
fuient la Croisade Albigeoise et l'Inquisition contre le catharisme en
Languedoc, et celle d'un renouveau annoncé pour la
littérature en Europe.
"Los Trovadores", de Martin de Riquer, éd. Ariel (Barcelona
1983);
"I trovatori d'Italia", de G. Bertoni, (Modena 1915);
"La generazione trobadorica del 1170" de A. Roncaglia, éd.
Università degli Studi di Roma (Roma 1967);
"La poesia dell'antica Provenza", de Giuseppe E. Sansone, éd.
Guanda (Parma 1986);
"Les Troubadours", de René Nelli et René Lavaud,
éd. Desclée de Brouwer (1966);
"Biographies des Troubadours", de J. Boutière et A.H. Schutz,
éd. Nizet (Paris 1973).
Raimbaut de Vaqueiras (... 1180-1205 ...)
Originaire de Vaqueyras, dans le Vaucluse, Raimbaut vécut en
Italie à la célèbre cour de Montferrat où
il chanta la belle Dame Béatrice qu'il surnommait Beau Chevalier
depuis le jour où il l'avait vue dans une chambre, nue, danser
avec une épée. Le troubadour provençal,
poète de grand talent, fut lié au trouvère Conon
de Béthune et l'ami de son protecteur Bonifacio de Montferrato
qui lui fit don de terres dans le royaume de Salonique. Ses vingt six
poésies témoignent de la maîtrise de son art de
trouver. Cette chanson "féminine de cour" est écrite sur
le modèle gallégo-portugais des cantigas de amigo.
Sitot m'es fort
Bonifaci de Castellana (... 1244-1265 ...)
Le seigneur de Castellane, dans les Basses Alpes, écrivit ce
sirventés à l'occasion du soulèvement des
Marseillais contre le nouveau comte de Provence Charles d'Anjou en
1262. Il accuse de traîtres les provençaux qui
s'étaient ralliés au comte ainsi que les villes du
Piémont. Il prit une part active à ces batailles comme
chef des insurgés contre les français et perdit son fief
de Castellane.
Ges de chantar
Eu sai la flor
Ramberti de Buvalel (... 1201-1221)
Originaire de Bologne, homme politique influent, Rambertino Guido
Buvalelli occupa d'importantes fonctions comme podestat, à la
tête des villes de Brescia, Milan, Bologne, Mantoue, Parme,
Gênes et Verone. Les sept poésies qui nous sont parvenues
nous indiquent que ce troubadour non professionnel est un
esthète qui cultive l'art de la poésie amoureuse. La
canso "Ges de chantar..." est adréssée à une dame
(dont le senhal Mon Restaur, Mon Salut, cache l'identité)
à laquelle il demande de respecter ses engagements; la Cansoneta
"Eu sai la flor..." célèbre la légendaire
beauté de Dame Beatriz de Este dans le style le plus courtois et
le plus formel de Fin'amors.
Us Cavaliers
Bertran d'Alamanon (... 1229-1266 ...)
Le chevalier-troubadour Bertran d'Alamanon originaire de Lamanon,
Bouches-du-Rhône, fut très lié à Sordel avec
qui il participa à l'expédition d'Italie menée par
Charles d'Anjou en 1265. Il écrivit de nombreux sirventés
politiques, des débats et 3 cansos; nous connaissons 21
poésies de ce troubadour dont deux partimens: "Ami Sordel",
écrivait-il, "j'ai tant aimé sans succès et j'ai
reçu si peu de satisfaction des dames que je choisis gloire et
célébrité que donnent les armes et je vous laisse
votre penchant insensé pour l'amour..." Ce provençal,
plus sensible certainement à l'art du trobar qu'aux faits
d'armes, passait pour un couard auprès de ses confrères.
Cette Alba, chanson d'aube, quelques fois attribuée à
Gaucelm Faidit, est un modèle du genre.
Puois trobat
Ai las, e que·m fau miey
huelh
Sordel ( ... 1220-1269)
Sordello, originaire de Goito proche de Mantoue, fut un pauvre
châtelain. C'est le plus original et le plus
célèbre des troubadours de l'Italie. Jeune homme
écervelé, il enleva la femme du seigneur de Vérone
Riccardo di San Bonifazio, la belle et célèbre Cunizza da
Romano, manipulé par le frère de celle-ci. Il dut
s'exiler en Espagne et au Portugal puis vint s'établir à
Aix en Provence où il demeura longtemps. En 1269 Sordel
reçoit de Charles d'Anjou, en don pour loyaux services,
châteaux et domaines dans les Abbruzes où il finit sa vie.
L’œuvre qui nous est parvenue comporte 43 poésies,
de nombreux débats avec les troubadours de son époque,
des cansos, des sirventés, des vers en français; son
style annonce le Dolce Stil Nuovo, Dante et Pétrarque.
Le sirventés "Puois trobat..." décrit l'idéal de
la Mesura, la mesure, le mèden agan apollinien,
cette vertu chère aux stoïques de l'Antiquité et que
les troubadours prônaient dans le comportement courtois. La
Mesura est le contraire de l'attitude des rustres et des barbares.
"Ai las, e que.m fas miey huelh... " cette chanson, peut-être une
danse, avec son refrain au style populaire se caractérise
surtout par l'emploi d'un vocabulaire "juridique" que l'on nomme
quelques fois "vassalique-féodal"; le troubadour ne
réclame pas son droit mais espère que la dame le lui
donne de son gré.
Dels Joglars
Peire de La Mula (... 1190-1220...)
Peire de la Mula fut Joglars, jongleur, Trobaire de coblas... dans les
cours de Montferrat, en Piémont, et à celle d'Ottone del
Carretto à Cortemiglia. Dans ce sirventés peu
sérieux, motivé par la concurrence, selon son habitude il
s'en prend à ses confrères et à ses
commanditaires. Une autre fois, toujours dans son langage coloré
de jongleur, il écrivit: "Peire qui fait péter la mule se
met à composer quand il a bu assez de vin..."
Nos remerciements à:
Katja Treichel
Jan Rüdiger
Conseil Général de la Sarthe et l'Abbaye de l'Epau
Ensemble Perceval