Modulatio divinae laudis   /   Vox in Rama


Le chant de l'émotion divine
évocation des louanges angéliques dans le chant grégorien, des racines byzantines jusqu’aux polyphonies de l’École de Notre-Dame









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Vox in Rama  Vox0002-01

2013

[68:16]








1. Salvatoris hodie  [8:34]  École de Notre-Dame, XIIIe siècle
Conduit à trois voix pour la fête de la Circoncision, ms. de Florence

2. Haec dies  [8:09]  École de Notre-Dame, XIIIe siècle
Graduel et motets pour la messe de la Résurrection, ms. de Florence
ps. 117, 24 et 1

3. Gloriosus  [4:25]  Winchester, XIe siècle
Graduel pour les martyrs, bibliothèque vaticane
Exode 15, 11 et 6

4. Doxa in ypsistis  [10:31]  Saint-Gall, Xe siècle
Hymne angélique byzantine, tropaire-séquentiaire de Saint-Gall
Luc 2, 14

5. Sancte Germane  [11:54]  École de Notre-Dame, XIIIe siècle
Graduel pour la fête de l’évêque Saint-Germain de Paris, ms. de Florence

6. Gaude Maria virgo  [3:45]  Saint-Maur des Fossés, XIe siècle
Répons et verset en déchant pour la fête de la Purification, épistolaire de Saint-Jérôme

7. Ad te levavi  [5:06]  Saint-Gall, Xe siècle
Offertoire sangallien avec versets en déchant, graduel-séquentiaire d'Einsideln
ps. 24, 1-3, 5 et 16

8. Alleluia « Dies sanctificatus »  [2:24]  XIe siècle
Acclamation avec verset pour le troisième dimanche de l'Avent, ms. de Chartres

9. Sanctus « Osanna salvifica »  [4:51]  Compostelle, XIIe siècle   cc  92
Sanctus tropé avec échos angéliques. Livre de Saint Jacques, Codex Calixtinus
Isaïe 6, 3; Jean 12, 12-14

10. Agnus Dei  [2:43]  Région aquitaine, XIe siècle
Chant de fraction byzantin pour la fête de la Pentecôte, trope de Saint-Martial
Jean 1, 29

11. Gustate et videte  [6:08]  Saint-Gall, XIe siècle
Chant de communion avec versets, graduel-séquentiaire d'Einsideln
ps. 33, 9













ENSEMBLE VOX IN RAMA :
Direction : Frédéric Rantières
Voix de femmes : Claire Delavallée, Véronique Frampas, Kazuyo Kimura, Alicia Santos
Voix d'hommes : Jan Lorenc, Frédéric Rantières, Pablo Andrés Rodrigues Rojas, Renato Vista

Enregistrement réalisé le 3 novembre 2012
à l'église luthérienne de la Résurrection à Paris
grâce au soutien et à la générosité de Laurent Mallet et du Pasteur Alain Joly.

Prise de son et montage : Jean-Paul Victor et Jacques Zuber.
Traductions et contenu du livret : Claire Delavallée et Frédéric Rantières.
Illustrations médiévales : Véronique Frampas (www.veroniqueframpas.com).
Conception Graphique : MAgraphic 2012 (www.magraphic.fr).


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Modulatio divinae laudis
Le chant de l'émotion divine


Dès les prémisses de la réforme carolingienne, l'art du chant liturgique reprit un intérêt certain auprès des autorités religieuses qui souhaitèrent (re)définir sa fonction dans le culte chrétien. Le rôle privilégié des chantres au sein de l'action liturgique leur conférait en effet un pouvoir oratoire et affectif central.

Isidore de Seville fut le premier à nous apporter des éléments descriptifs sur la voix du chantre dans son Traité sur l'origine des offices achevé au début du Vile siècle : « Sa voix ne sera pas âpre, rauque ni dissonante mais chantante, suave, fluide et élevée, possédant un son qui soit en accord avec la mélodie de la sainte religion ». La fluidité et la clarté de rélocution resteront les caractéristiques essentielles de la voix cultuelle dont la douceur est à même de provoquer chez le fidèle un profond sentiment de piété.

C'est avec Raban Maur au début du IXe siècle que l'art vocal liturgique prit une tournure symbolique dans Le traité sur la formation des clercs :

« Il est bon d'entendre retentir des chœurs la modulation de la divine louange (modulatio divinae laudis) à l'entrée du prêtre, de telle sorte que la consonance produite par les ministres précède pieusement les mystères de la célébration du seigneur et que le sacrifice de la digne louange anticipe le vénérable sacrement du corps et du sang du Christ. »

Nous trouvons dans cette explication une représentation structurée de l'action liturgique où le chant prend une fonction symbolique.

L'expression de Raban « modulation de la divine louange » qui sert d'intitulé à ce CD présente la mélodie grégorienne comme un écho terrestre du chant des anges. Dans ce système d'interprétation, la chorégraphie musicale du monde céleste prend une forme sensible dans l'assemblage consonant des voix humaines. D'autres théologiens contemporains comme l'évêque Amalaire de Metz ne manqueront pas d'insister sur la vertu spirituelle de la cantilene dont l'expression harmonieuse ajoute aux visions spirituelles des Écritures une dimension émouvante voire émotionnelle.

La divine louange constitue également une référence à l'appellation générale d'hymne angelique dont la tradition prend racine dès le début du christianisme dans les représentations bibliques de l'assemblée céleste. La milice angelique qui entoure le trône divin d'un chant de gloire fait en effet l'objet de plusieurs descriptions. Le récit de la nativité dans Luc 2, 13-14 sera à l'origine du Gloria in excelsis Deo dont ce CD nous présente la version byzantine qui circula dans l'Europe carolingienne et haut médiévale (plage 4) sous le nom translittéré de Doxa in ypsistis theo (Gloire à Dieu dans les hauteurs). Les visions apocalyptiques du disciple Jean (Apocalypse 4, 8 ; 19, 6) inspireront également chez les inventeurs du canon de la messe le chant du Sanctus (plage 9). À ce moment de la liturgie, les chantres adressent à Dieu un chant de louange repris d'Isaïe 6, 3 en lui demandant de bien vouloir porter les offrandes des fidèles sur l'autel spirituel. La pratique généralisée du trope au XIIe siècle donna notamment naissance à de belles alternances entre voix humaines et angéliques dont la version compostellane proposée dans ce CD est une des nombreuses illustrations.

Le paysage sonore de l'angéologie chrétienne trouva aussi une continuité naturelle dans l'avènement des premières techniques polyphoniques. Sous l'impulsion des arts libéraux, les premières harmonisations du chant grégorien communément appelées organum apportèrent aux mélismes une puissance harmonique qui fascine encore aujourd'hui. Les avancées en matière de contrepoint permirent aux improvisateurs d'étendre considérablement la durée des pièces liturgiques au point d'atteindre au XHIe siècle des proportions phénoménales. Des œuvres enregistrées dans ce CD comme le conduit Salvatoris hodie (plage 1) ou encore les graduels Haec dies (plage 2) et Sancte Germane (plage 5) nous donnent un aperçu de cette inventivité foisonnante.

L'enregistrement que nous vous proposons met en somme l'accent sur les modèles visuels qui ont généré l'art vocal du haut moyen âge. Au-delà des chronologies, le projet Modulatio divinae laudis propose une vision élargie de traditions vocales qui se font le miroir de représentations. Chaque œuvre reprend ainsi place dans un imaginaire collectif où la musique devient symbole sensible de l'image.

Fréderic RANTIÈRES