Filia Sion
Vox Clamantis





musicweb-international
ecm-records.com
ECM New Series 2244 · 476 4499
2012







1. Ecce venit · Psalm 94 [9:37]   Gregorian antiphon

2. Virgo prudentissima · Magnifica [5:00]   Gregorian antiphon

3. Gaudeamus [2:48]   Gregorian introit

4. Rex virginum [3:36]   Organum · Codex La Huelgas   Hu  1

5. Gloria [3:32]   Gregorian chant

6. Beata viscera [8:20]   Conductus · Magister PEROTINUS, c.1160—c.1230

7. Audi filia [5:23]   Gregorian gradual

8. Prelustri elucentia [2:44]   Cantio · Petrus Wilhelmi de GRUDENCZ, c.1400—c.1480

9. Ave Maria [6:10]   Gregorian offertory

10. O ignis spiritus [6:25]   Sequentia · Hildegard von BINGEN, 1098—1179

11. Agnus Dei [1:08]   Gregorian chant

12. Exulta filia Sion [3:06]   Gregorian communion

13. O Maria [4:46]   Motet from Montpellier Manuscript

14. Salve regina [2:53]   Gregorian antiphon

15. Ma navu [5:42]   Jewish chant from Cochin



Vox Clamantis
Jaan-Eik Tulve

Eve Kopli · soloist #10
Kadri Hunt · soloist #1, 9   
Mikk Üleoja · soloist #1, 6, 8, 9, 15
Taniel Kirikal · soloist #8, 9
Tõnis Kaumann · soloist #6
Sakarias Jaan Leppik   
Endrik Üksvärav   
Erik Salumäe
Mikk Dede   
Riivo Kallasmaa
Markus Järvi
Anto Õnnis   




Recorded September 2010
Dome Church of St. Nicholas, Haapsalu
Tonmeister: Igor Kirkwood
Editing: Margo Kõlar
Recording supervision: Helena Tulve
Liner photo: Taniel Kirikal
Cover design: Sascha Kleis

Executive producer: Manfred Eicher
An ECM Production
℗ 2012 ECM Records GmbH © 2012 ECM Records GmbH
www.ecmrecords.com








Filia Sion

Filia Sion, tota formosa et suavis es;
pulchra ut luna, electa ut sol.

Fille de Sion, pleine de beauté et de douceur,
belle comme la lune, excellente comme le soleil.


Qui est appelée ainsi? L'expression «Fille de Sion» se répète dans la tradition chrétienne ainsi que dans la tradition juive à maintes reprises: que désigne-t-elle? Dans l'Ancien Testament elle est une personification du peuple juif, peuple de Dieu, qui est présenté par les prophètes comme l'épouse de Dieu. Cette expression vient du mont Sion, colline sur laquelle est construit le temple de Jérusalem, la cité sainte, lieu d'identification du peuple d'Israël.

Les prophètes utilisent la désignation Fille de Sion pour semoncer le peuple infidèle, toujours tenté de se détourner de son Dieu, mais aussi pour le consoler, pour exprimer la fidélité de Dieu toujours prêt pardonner, pour renforcer l'espoir du peuple éprouvé et pour énoncer la promesse du salut dans le Messie. Ce Messie est présenté par les prophètes comme le prince de la paix qui va installer le royaume de Dieu, royaume de justice et de paix, le monde où le loup habitera avec l'agneau, où il n'y aura plus de mal, ni de violence... Sa venue est attendue avec joie et exultation: «Exulte avec force, Fille de Sion! Crie de joie, fille de Jérusalem! Voici que ton Roi vient à toi, il est juste et victorieux, humble... il annoncera la paix aux nations...» (Zach. 9,9-10); «Pousse des cris de joie, fille de Sion, une clameur d'allégresse, Israel! Réjouis-toi, triomphe de tout ton cœur, fille de Jérusalem, le Seigneur est roi d'Israël au milieu de toi! Sois sans crainte, Sion le Seigneur ton Dieu est au milieu de toi, sauveur puissant» (So. 3,14-17).

La tradition chrétienne présentait depuis le début Marie comme l'incarnation de la Fille de Sion. Elle interprétait — comme on le voit aussi dans la tradition musicale — tous les textes de l'Ancien Testament concernant la Fille de Sion dans un sens marial. Ils seront interprétés travers le prisme de l'Incarnation dans laquelle s'accomplissent les promesses faites au peuple juif. Marie apparaît comme représentante de l'humanité, appelée à donner son consentement à l'Incarnation du Fils de Dieu. En elle c'est l'humanité tout entière qui attend Dieu, qui s'ouvre à Dieu, qui reçoit Dieu, qui enveloppe de sa chair ce Dieu qui vient parmi nous. Lors de l'Annonciation, l'ange salue Marie avec des mots qui ressemblent fort à ceux de Zacharie et de Sophonie: le mot grec chairé veut dire «réjouis-toi». Il est une invitation à la joie liée la venue du Messie. Marie, par son consentement inconditionnel rend possible la venue «du Seigneur au milieu de son peuple», annoncée par le prophète Sophonie: Dieu vient non seulement au milieu de son peuple, mais dans le sein même de Marie. En le portant au-dessous de son cœur, elle entre dans un contact très intime avec ce Dieu Créateur du monde qui a pris notre corps humain. C'est dans le Magnificat qu'éclate à pleine force la joie de Marie qui chante ici sa confiance en Dieu miséricordieux (le mot miséricorde y apparaît deux fois).

Les évangiles ne nous montrent pas tous les sentiments de Marie, le mystère de l'Incarnation y est présenté juste en un court résumé. S'appuyant sur quelques phrases, revenant incessamment sur les paroles sacrées et les mettant en différents contextes, la tradition musicale montre leur richesse inépuisable. Les compositions médiévales méditent le mystère de l'Incarnation dans tous ses aspects. Elles montrent différentes nuances de joie: la joie éclatante, surabondante, qui surgit comme une source, ainsi que le tressaillement de la joie paisible, méditative, l'émerveillement devant «le miracle jamais vu, la joie jamais connue»...

La période de l'année où l'on trouvera les plus belles pièces mariales, c'est l'Avent et Noël. Ce temps liturgique est consacré à la contemplation du mystère de l'Incarnation, mystère réalisé dans le sein de Marie. Mais les fêtes mariales sont parsemées dans toute l'année liturgique, chacune contemplant un autre événement, une autre dimension de la vie de la Vierge. Chaque fête a son propre répertoire, ses mélodies et ses tonalités, même s'il y a aussi des pièces communes, comme l'introït Gaudeamus ou le graduel Audi filia chantés toutes les fêtes mariales.

Les textes des chants grégoriens ne sont composés que des paroles de la Bible. Dans les courtes compositions ne sont choisies que quelques vers, souvent audacieusement composés ou recomposés, et cela de telle manière qu'ils présentent de courts résumés — interprétations du passage médité. Le prolongement des paroles dans la musique fait que ces compositions en sont comme de véritables méditations, en quelque sorte une lectio divina musicale.

Le répertoire marial s'appuie surtout sur les textes de l'évangile, avant tout sur les passages de l'Annonciation et de la Visitation, mais aussi sur les textes de l'Ancien Testament concernant la Fille de Sion et la promesse messianique, les ramenant à Marie.

La citation de l'évangile de l'Annonciation, l'Ave Maria bien connu, s'arrête habituellement à la salutation angélique: «Réjouis-toi, Marie, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi», complétée par la bénédiction prononcée par Élisabeth lors de la Visitation: «Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de ton sein est béni»; mais l'offertoire du 4e dimanche de l'Avent reprend tout le dialogue de l'Ange avec Marie (le concentrant un peu et éliminant les phrases narratives de l'évangile). Après la salutation de l'ange et la bénédiction d'Élisabeth qui se répète aussi entre les versets, soulignant ainsi le lieu de la conception miraculeuse, le sein de Marie, fructus ventris tui, le dialogue continue dans les versets: d'abord nous pouvons écouter la question étonnée de Marie: «Comment cela peut-il se faire puisque je ne connais point d'homme?» La ligne musicale souligne ici l'étonnement de Marie prolongeant longuement le «o» de quomodo. A cette question répond l'explication de l'ange disant que «l'Esprit-Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre»: la ligne musicale qui revient sans cesse dans les hauteurs nous invite admirer la grandeur du miracle. La parole de l'ange se termine sur l'énonciation: «C'est pourquoi l'être saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu», la ligne musicale culminant sur le noyau de l'énoncé, les mots Filius Dei, Fils de Dieu.

Le répertoire plus tardif se détache des paroles bibliques, ce qui permet développer des motifs présents dans les textes bibliques seulement in nuce (le motif de la virginité, de l'immaculée conception de Marie, de sa chasteté et de son obéissance, les motifs de Marie comme Mère de l'Église, Marie comme Avocate et Refuge des pauvres) dans une note personnelle et intime. Ainsi naît une nouvelle poésie qui va de pair avec de nouveaux accents musicaux. Ce qui est caractéristique dans cette poésie, c'est de chercher de nouveaux attributs, souvent avec des métaphores audacieuses, pour son sujet. Le conduit Beata viscera, avec ses tremblements de joie, chante l'émerveillement face au mystère de l'Incarnation, le comparant au soleil enfermé dans le sein de Marie. La cantique Prelustri elucentia appele Marie «fleur de chasteté» et «source de miséricorde», attendant d'elle l'intercession auprès de Dieu; Hildegard von Bingen, dans sa séquence O ignis spiritus, appelle l'Esprit saint «douce saveur dans la poitrine et infusion des cœurs dans le parfum des vertus», «cuirasse de vie» et «ceinture d'honnêteté». Cette nouvelle poésie se conjugue avec les mélodies plus périodiques et plus régulières.

Tandis que la tradition chrétienne voit l'accomplissement de la promesse messianique dans la venue du Christ, dans la tradition juive l'attente du Messie reste ouverte. Nous pouvons voir l'expression de cette attente pleine d'espoir dans le chant Ma navu, qui médite deux vers joyeux de la prophétie d'Isaïe. La simplicité de cette mélodie portant les paroles bibliques n'est pas loin dans son esprit de l'approche grégorienne.

Vox Clamantis, ensemble estonien créé en 1996, regroupe des chanteurs, compositeurs, instrumentistes et chefs de chœur liés par l'intérêt pour le chant grégorien considéré comme la base de toute la musique savante européenne. L'ensemble chante souvent ce répertoire, mais interprète aussi la musique contemporaine. De nombreux compositeurs estoniens, parmi lesquels Arvo Pärt, Erkki-Sven Tüür et Helena Tulve, ont écrit des pièces pour Vox Clamantis. Son interprétation de la musique médiévale n'est jamais purement historique: restant toujours fidèle à l'esprit de ce répertoire, l'ensemble tente de le faire dialoguer avec la musique contemporaine; même les programmes composés de répertoire purement médiéval sont contemporains dans leurs arrangements. L'ensemble a collaboré avec de nombreux musiciens de réputation internationale, comme les organistes Jean Boyer, Werner Jacob, Jon Laukvik, la soprano catalane Arianna Savall, les pianistes français Brigitte Engerer et Jean-Claude Pennetier, The Cello Octet Amsterdam, l'ensemble de musique ancienne Hortus Musicus, l'ensemble de musique contemporaine NYYD Ensemble et le Chœur de Chambre Philharmonique d'Estonie. Le directeur artistique et chef de choeur est Jaan-Eik Tulve.

Klára Jirsová