Miroir d'Éternité / Venance Fortunat



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medieval.org
Cyprès 3609
octubre de 1996




Miroir d'Éternité
Motets et conduits du XIVe siècle · ms. de Saint-Jacques-de-Liège
Turin : vari 42

01 - [3:20]
Parce virgo
tutti

02 - [0:53]
Deus in adjutorium
sopranos, mezzo, ténor, barytons

03 - [5:27]
Benedicta et venerabilis es
messe votive à la Vierge
barytons
Motet 1. VIRGO ~ Eximium ~ Or voö je bien
contre-ténor, ténor, barytons

04 - [1:26]
Motet 2. APTATUR ~ Chies bien seans ~ Entre Adam & Hanikel
contrénor, organ  

05 - [2:23]
Salve Regina
de l'usage bénédictine
sopranos, mezzo

06 - [1:50]
Motet 3. APTATUR ~ Est ilh dont ~ Salve
sopranos, mezzo, contre-ténor, ténor

07 - [4:48]
Solem justitiae
répons à la Vierge de Fulbert de Chartres
ténor, barytons
Motet 5. SOLEM ~ Jam ~ Jam
sopranos, mezzo, contre-ténor, ténor

08 - [2:06]
Kyrie XI
dit «fons bonitatis» pour les fêtes solennelles
sopranos, mezzo
Motet 8. KYRIE ~ Je n'ai ~ Bien me doi
tutti, organ  

09 - [3:11]
Kyrie IX
dit «cum jubilo» pour les fêtes de la Vierge
baryton PB
Motet 10. KYRIE ~ Amor qui cor ~ Aucun vont souvent
contre-ténor, ténor, barytons

10 - [1:57]
Motet 17. Qui bien aime ~ Quant la saisons ~ Sens penseir
sopranos, mezzo

11 - [4:29]
Benedictus Dominus
2e. répons de la fête de la Sainte Trinité composé par l'évêque Étienne de Liège
contre-ténor, barytons
Motet 18. FIAT ~ J'ai troveit ~ En mai
contre-ténor, ténor, barytons  

12 - [1:20]
Motet 19. NOSTRUM ~ Ki longuement ~ Ki d'amur
sopranos, mezzo, organ

13 - [7:43]
Ecce jam
répons en l'honneur de saint Étienne
ténor, barytons
Motet 21. ECCE JAM ~ Aul renoveleir ~ S'amours ewist
soprano CH, mezzo, contre-ténor, ténor

14 - [1:50]
Motet 22. DOCEBIT ~ Por coi ~ Enne doi
organ

15 - [3:26]
Alleluia! Letabitur justus
de la messe du commun des martyrs
sopranos, mezzo
Motet 27. ET SPERABIT ~ Lonc tens ~ Pulchra decens
sopranos, mezzo, contre-ténor, ténor  

16 - [4:05]
Haec Dies
graduel de la messe du Jour de Pâques
sopranos, mezzo, ténor  
Motet 29. IN SECULUM ~ En mun cuer ~ Amours en cui
sopranos, mezzo, contre-ténor, ténor





manuscrito de Saint-Jacques-de-Liège, siglo XIV
ediciones:
Solesmes: #3a, 5, 7a, 8a, 9a, 11a, 13a, 15a, 16a
Antoine Auda: #3b, 4, 6, 8b, 10, 11b, 12, 13b, 14, 15a, 16a
Anne-Marie Deschamps: #1, 2, 7b, 9b




VENANCE FORTUNAT
Anne-Marie Deschamps

CH  Catherine Heugel-Petit, soprano · #1 2 5 6 7b 8ab 10 12 13b 15ab 16ab
DT  Dominique Thibaudat, soprano · #1 2 5 6 7b 8ab 10 12 15ab 16ab
FL  Françoise Lévy, mezzo-soprano · #1 2 5 6 7b 8ab 10 12 13b 15ab 16ab
EF  Éric de Fontenay, contre-ténor · #1 3b 6 7b 8b 9b 11ab 13b 15b 16b
BR  Bruno Renhold, ténor · #1 2 3b 6 7ab 8b 9b 11b 13ab 15b 16ab
PB  Patrice Balter, baryton · #1 2 3ab 7a 8b 9ab 11ab 13a 14
GL  Gabriel Lacascade, baryton · #1 2 3ab 7a 8b 9b 11ab 13a
PH  Pierre-Henri Esnault, organ · #4 8b 12



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Le XIVe siècle donne le jour à une esthétique musicale nouvelle: l'acte de créer la musique devient un acte de composition: on dira bientôt d'écriture. Le jeu avec les mots, déjà très en faveur dans les motets du XIIIe siècle, renforce le goût de jouer aussi bien avec les sons de la langue vernaculaire qu'avec ceux du latin, de façon indépendante du sens perceptible, comme du sens de la teneur liturgique traditionnelle qui cependant sert de fondation.

Les théoriciens, jusque là éloignés de la pratique musicale, cherchent à la servir sans abandonner la réflexion sur elle; ils perfectionnent en particulier la notation, rendant possibles des recherches rythmiques de plus en plus subtiles. C'est par la que la musique va s’échapper de la liturgie pour le meilleur et pour le pire.

La musique liturgique avait, dès les premières constitutions, l'objectif de réchauffer la foi en portant et transmettant le texte dit «révélé», ceci dans la conception d'un temps mystique linéaire dans lequel le silence aussi avait à dire.

C'est par rapport à cette fonction première et non par rapport à l'évolution de la musique que fut édictée la décrétale de Jean XXII contre l'Ars nova: «De nombreux disciples à la nouvelle école cherchent à mesurer le temps, ajoutent de nouvelles notes, les préférant aux anciennes; ils chantent les mélodies d'église avec des semi-brèves et des minimes en les flagellant à coup de petites notes. Ils coupent ces mélodies par des hoquets, les souillent de leur clichant et vont même jusqu'à y ajouter des triplum et des motets en langue vulgaire» (1). Sous l'angle de la musicologie pure ceci est apparu tout simplement «conservateur». Mais la fonction de la musique sacrée dont les consonnances devaient «laisser goûter la mélodie (quæ melodiam sapiunt) et empêcher l'âame... de sombrer dans la torpeur (animos torpere non sinat)», nous invite à comprendre autrement la practique ancienne, l'Ars antigua.

Dès Charlemagne, la région qui deviendra la principauté de Liège, contribua activement à l'enrichissement du fonds liturgique: on lui doit en effet le drame liturgique de l'Épiphanie, l'office de l'Invention de saint Étienne, l'office de la Trinité, un office Propre de la Fête-Dieu, sans compter de nombreux offices de saints musicalement très développés. Il semble en effet que le courant musical liégeois qu'on ne peut pas, à proprement parler,  appeler «école» ait choisi de faire traverser le temps aux conceptions liturgiques au delà des trouvailles stylistiques nouvelles. Ce courant est représenté pour la théorie par Jacques de Liège. C'est à son propos que S. Clercx: écrit (Revue Belge de Musicologie, 1953). «Il semble que la voix de Jacobes, indignée et menaçante, soit l'écho du décret pontifical» cependant Jacques de Liège a «sans doute précédé Jean XXII dans son attaque contre l'Ars nova». «En effet, il semble permis de dire que l'art ancien parait plus parfait, plus libre, plus rationnel, plus honnête, plus simple et plus plane!» dit Jacques de Liège dans son Miroir de la Musique (Speculum Musicae, 1323-1325).

Nous avons choisi de chanter dans le répertoire liégeois d'Ars antigua les pièces sacrées copiées à Saint-Jacques-de-Liège, qui illustrent le mieux le respect d'un temps mystique, le respect de la «mélodie» qui laisse au texte son énergie propre, et en même temps la liberté vocale source de nouveauté qui «empeche l'âime de sombrer dans la torpeur». Esthétique ancienne que rejoindront les grands polyphonistes du XVe et surtout du XVe siècle.

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Le manuscrit des conduits et motets copiés à Saint-Jacques-de-Liège est probablement du XIVe siècle. Il contient des motets de Pierre de la Croix, maître de Jacques de Liège à Paris à la toute fin du XIIIe siècle. Sa notation est celle de la grande époque de l'Ars antiqua, écriture essentiellement vocale dans laquelle le «motus vocum», le mouvement de la voix est indiqué par des ligatures indissociables et par des figures de notes dont quatre seulement structurent le temps: maxime, longue, brève, semi-brève. La langue wallonne très archaïque (fin XIIe - début XIIIe) dénote un usage plus ancien.

De ce manuscrit, dont une grande partie des pièces existent déjà dans d'autres manuscrits (en particulier celui dit «de Montpellier» et celui dit «de Bamberg») nous interpréterons de préférence les œuvres qui présentent des variantes liégeoises par rapport aux autres versions et celles qui représentent le mieux le courant liturgique dont nous avons parlé.

Ainsi le Parce virgo qui ouvre le manuscrit, unicus (pièce dont il n'y a aucun autre témoin), sommet de l'art du conduit (2); cette œuvre a bénéficié semble-t-il de toute la technique des grands organums de Pérotin et des conduits à mélismes développés de l'École de Notre-Dame: le texte parfaitement perceptible est traité de façon quasi syllabique avec des rythmes proportionnels simples dégageant une mélodie mémorisable. Il est entrecoupé de longs mélismes sur la dernière voyelle de chaque phrase; ce procédé est déjà en vigueur en particulier dans les messes farcies du XIIe siècle (souvent attribuées à Fulbert de Chartres, XIe siècle) et dans quelques conduits de l'École de Notre-Dame, notamment du Plut. 29 de Florence (O felix Bituria, Pater Noster...). Comme dans ces conduits nous sommes ici en présence d'une finale jubilatoire qui, sur la dernière voyelle A, emploie tous les procédés de composition (croisement, déchant, hoquet, etc), tout en privilégiant la voix supérieure sur le plan mélismatique. La voyelle A, finale est bien indiquée au bas des trois voix sur le manuscrit, ne laissant aucun doute sur l'intention vocale de l'interprétation. Ceci lorsque le texte entier a pu être compris et mémorisé. Cette pièce est un exemple brillant d'équilibre entre le verbe et l'indicible.

Le conduit Deus in adjutorium du Manuscrit Vari 42 dit de Turin a des particularités dans l'emploi des strophes, variantes intéressantes car ce conduit accompagnait la procession vers le tableau où étaient distribués les «rôles» de chacun pendant l'office: le chemin à parcourir était sans doute moindre à Saint-Jacques-de-Liège.

Dans la série des motets qui suivent les vonduits, nous avons choisi :

le 1er motet, plus développé que la plupart des motets de la même époque. Ses particularités d'écriture, citées par divers théoriciens, ne nuisent pas au très beau chant à la Vierge du duplum ni au chant d'amour profane du triplum. Il est bâti sur le verset Virgo du graduel Benedicta et venerabilis es, Virgo Maria dans un 4e ton plein de mystère.

le 2ème motet attribué au trouvère Adam de la Halle (1240-1287) dont le triplum est un trope développé;

le 3er motet qui est un trope de Salve Regina;

le 5e motet, sur la teneur Solem d'un répons à la Vierge de Fulbert de Chartres, qui utilise le latin aux trois voix et dont la technique est la plus «moderne»;

le 8e motet dont la teneur reproduit le Kyrie dit Fons bonitatis;

le 10e motet dont la teneur est empruntée au Kyrie IX pour les fêtes de la Vierge, allongé en valeurs longues égales. Il faut noter que les fêtes votives à la Vierge étaient extrêmement appréciées par les chantres pour la plus grande liberté vocale dont ils jouissaient... et parce qu'elles étaient de meilleur profit!

le 17e motet que l'on trouve sous d'autres formes dans d'autres traditions que cette version liégeoise;

le 18e motet dont la teneur Fiat appartient au Benedictus de la fête de la Trinité, répons composé par Étienne, évêque de Liège au Xe siècle, que nous chanterons intégralement avec insertion du motet comme le voulait la coutume;

le 19e motet sur le mot Nostrum de l'Alleluia pascal;

le 21e motet qui est cité dans le Speculum musicae de Jacques de Liège:

le 22e motet sur la teneur Docebit de l'Alleluia Justi epulentur (pour plusieurs saints);

le 27e motet qui possède à Liége un triplum latin (les autres manuscrits donnant un texte en langue vulgaires);

le 29e motet qui, de l'avis de la musicologue S. Clercx, semble composé pour voix mixtes sur la teneur In seculum du graduel Hec dies de Pâques qui est à l'origine de nombreuses compositions (organums et motets).


Les motets sont chantés enchâssés dans la monodie de plain-chant qui les a fait naître avec le respect des particularités de la langue wallone telle que le manuscrit la présente pour les pièces en langue vernaculaire (3).


NOTES
1. André Pons «Droit ecclésiastique & Musique sacrée»

2. Conduit: contrairement à l'organum qui est une construction horizontale sur une «teneur» (thème emprunté) liturgique, toutes les voix du conduit sont inventées et de semblable importance avec de nombreux croisements entre elles. Cependant le conduit a ceci de commun avec l'organurn que les syllabes du texte unique sont prononcées en même temps par les différentes voix. Le conduit a généralement une fonction précise d'accompagnement d'un mouvement liturgique.

3. Nous tenons à remercier ici Madame Rika Van Deyck Bauwens, professeur à l'Université de Gand, qui nous a guidés pour la prononciation de la langue.

Anne-Marie Deschamps