En Galice, où l'on célébrant depuis le VIIe
siècle la liturgie mozarabe ou hispanique, l'implantation du
rite romain ne date que de la fin du XIe siècle (1078). Au
début du siècle suivant, les nouvelles dispositions ne
s'étaient pas encore tout à fait imposées, les
contemporains se plaignant de la confusion qui en résultait.
Devant l'affluence croissante des pèlerins, le besoin d'un ordo
très précis valant pour témoin exemplaire se fit
donc sentir.
— soit celui d'un déchant légèrement
orné, où les deux parties sont conçues pour
être chantées par des voix de semblables niveaux musical
et vocal, la partie supérieure (duplum) comportant
à peine plus de mélismes: on y relève un emploi
élaboré de mouvements contraires, voire de croisements de
voix;
De lecture facile pour ce qui concerne la hauteur des sons (neumes sur
lignes et couleur différente pour chaque voix),
l'écriture musicale employée ne donne en revanche aucune
indication quant au rythme - d'où l'extrême attention
qu'il convient d'accorder au groupement des sons dans les figures
neumatiques.
ULTREIA (Dum Pater)
Les strophes de ce poème sont de six vers, avec un refrain de
quatre vers sur une mélodie originale. Ces quatre vers
contiennent des cris faits de la contraction de plusieurs mots
proférés au moment de l'attaque, lors des Croisades. Au
latin, ils mêlent du goth, du galicien et du basque. On se trouve
là devant un des aspects les plus populaires de Saint Jacques:
le matamore protecteur des familles. Cette pièce prend place
à la fin du recueil polyphonique. La musique est indiquée
en neumes aquitains, sans lignes.
KYRIE CUNCTIPOTENS (mode de ré, authente)
La partie monodique grégorienne se trouve dans l'Ordinaire de la
Messe de l'Edition Vaticane (Kyrie IV, Xe siècle). Le
trope littéraire serait du moine Tutillon de Saint-Gall (+ 916),
un contemporain du premier "tropeur" connu: Notker. Pour le faire
entendre, nous avons inséré ici celui en déchant
du manuscrit de Milan (cantus firmus doublé à l'octave).
En troisième lieu, vient le trope de notre Codex: la
partie soliste, traitée en organum fleuri, est attribuée
A un certain Gauthier de Château-Renault.
REGI PERENNIS GLORIE (3ème ton, sol)
Dans la partie monodique du manuscrit, la teneur de ce chant tient
déjà lieu de Benedicamus à une messe
"farcie" de Fulbert de Chartres. On l'attribue à un anonyme
docteur galicien. Quant au duplum fleuri, il est de ce même
Gauthier rencontré précédemment (Magister
Gauterius de Castello Ranardi decantum fecit).
AD HONOREM (5ème ton, fa)
Très populaire en Galice (ainsi d'ailleurs que la pièce
précédente), cette hymne est la seule composition
musicale attribuée a Aimery Picaud. Il manque au manuscrit le
folio 191 qui contenait les neuf autres strophes (on les trouve dans
d'autres copies).
MISIT HERODES (5ème mode authente, fa avec si
naturel)
Répons de l'office de Saint Jacques. La teneur monodique se
trouve dans la 1ère partie du livre. Le duplum, très
fleuri, serait d'un certain Aton de Troyes (+ à Cluny en 1185)
qui se voit également attribuer d'autres pièces, parmi
les plus importantes du manuscrit. Cet Introït a
inspiré Guillaume Dufay (+ à Cambrai en 1474) qui a
composé une messe complète en l'honneur de Saint Jacques.
KYRIE REX IMMENSE (8ème ton, sol)
Ce Kyrie - dont la version monodique est indiquée dans
l'Edition Vaticane sous le nom d'une autre trope (Pater cuncta)
- figure déjà dans la partie monodique du manuscrit, dans
la très inventive messe "farcie" attribuée à
Fulbert de Chartres (+ 1028) qui serait également l'auteur de la
version en déchant de la 3ème partie.
ALLELUIA VOCAVIT JESU (mode de ré authente, 1er
ton)
Omniprésent dans les offices de Saint Jacques, soit par le texte
(dans divers répons), soit par le thème musical, cet Alleluia
- sous sa forme monodique - se retrouve curieusement traduit en grec
à la fin du manuscrit. L'organum fleuri est attribué A
Gosselin de Soissons, évêque de cette ville de 1126 A 1152.
PORTUM IN ULTIMO (ré plagal)
Cette prose est également attribuée à Athon de
Troyes. Elle dénote une grande pureté dans l'emploi des
consonances,alliée à une belle connaissance de la voix.
O ADJUTOR (mode de ré authente, 1er ton)
Sous sa forme monodique, ce grand répons est attribué au
pape Calixte II: c'est dire la faveur dont l'ont entouré les
auteurs de la compilation. Dans les mélismes de l'organum (qui
auraient pour auteur Aton de Troyes), on retrouve une grande partie des
formules de jubilation vocale connues au XIIe siècle.
AD SUPERNI REGIS DECUS (mode de ré plagal, 2ème
ton)
Attribué à maître Albert, archevêque de
Bourges, ce trope de Benedicamus est l'une des compositions les
plus intéressantes du manuscrit: les versets alternent deux par
deux dans un contrepoint de mouvement contraire presque parfait. Sur
chaque finale, les deux voix chantent un pneuma (utilisation du
reste du souffle) semblable, mais décalé - effet qui
n'est pas sans rapport avec certaines musiques d'aujourd'hui...
NOSTRA PHALANX PLAUDAT (mode de ré authente)
Cette hymne en conduit a deux voix, dont le refrain était
probablement repris par le choeur, est encore attribué à
Aton de Troyes mais pourrait également trouver ses origines
à Saint-Martial de Limoges.
VOX NOSTRA RESONET (mode de sol)
Cette curieuse petite pièce (dont le duplum paraît avoir
été composé en premier) est attribuée
à un certain Juan Legalis dont on ne sait s'il était
français ou espagnol, mais qui s'avère ici un
théoricien inventif: la partie de teneur dessine un accord
parfait de façon répétitive, selon un
procédé très peu usité à
l'époque.
BENEDICAMUS
Très courts organums fleuris sur des teneurs liturgiques encore
en usage dans le répertoire grégorien:
CONGAUDEANT
La plus audacieuse du recueil et, peut-être, de tout le XIIe
siècle, cette pièce allie la technique du conduit en
déchant et celle de l'organum fleuri. Les deux premières
voix sont traitées comme un conduit A deux parties; une
troisième partie (triplum) est ajoutée, beaucoup
plus mélismatique. La synchronisation entre ces parties
indépendantes pose quelques problèmes qui
témoignent de la grande liberté de l'époque par
rapport à une métrique précise. Attribuée
à maitre Albert de Paris, qui fut chantre de Notre-Dame en 1147
et mourut vers 1180. ANNE-MARIE DESCHAMPS
Contrairement aux autres formes de polyphonie du XIIe siècle,
les hymnes en CONDUIT ne sont pas construites sur une base
monodique connue. Les voix, d'une importance égale, ont
donné lieu à de nombreuses inventions contrapunctiques.
— the discant, lightly ornamented and sung by two similar voices with only a few extra melismata in the upper voice (duplum). There is an elaborate use of contrary motion, even to the crossing of the vocal lines;
Whereas
the musical script clearly indicates the pitch of each note (neumes on
lines and a different colour for each voice), there is absolutely no
guide as to rhythm; the grouping of notes within the neumatic figures
therefore requires the closest attention.
ULTREIA (Dum Pater)
The
verses of this poem are of six lines with a four-line refrain on an
original melody. These four lines contain battle cries, made up of the
contraction of several words shouted at the moment of attack by the
Crusaders. They mix Goth, Gallican and Basque with the Latin words. Here
is an image of one of the most popular aspects of St James: the dashing
killer of Saracens and defender of the family. The piece is to be found
at the end of the polyphonic part of the book; it is written in
Aquitanian neumes without lines.
KYRIE CUNCTIPOTENS (authentic mode of D)
The
monodic, Gregorian part comes from the Ordinary of the Mass in the
Vatican Edition (Kyrie IV, 10th c.). The literary trope is probably by
Brother Tuotilo of St Gall († 916), a contemporary of the first known
troper: Notker. To be able to include this trope, we have inserted an
extra piece in discant from the Milan manuscript (cantus firmus doubled
at the octave). In third place comes the trope from our Codex: the solo part, treated as florid organum,
is attributed to Gauthier of Château-Renault.
REGIS PERENNIS GLORIE (3rd tone, G)
In the monodic section of the manuscript, the tenor (original melody) of this chant already stands in place of the Benedicamus in a missa farsa
("troped" mass) by Fulbert de Chartres. It is thought to have been
composed by an anonymous doctor from Galicia. The florid duplum is by
the above-mentioned Gauthier (Magister Gauterius de Castello Ranardi decantum fecit).
AD HONOREM (5th tone, F)
A
very popular hymn in Galicia (as was moreover the previous piece), this
is the only musical composition attribued to Aimery Picaud. A lacuna
occurs at this point in the manuscript at folio 191 which, from evidence
in other extant copies, contained the nine missing verses.
MISIT HERODES (authentic 5th mode, F with B natural)
It
is a responsory of the office of St James. Its monodic version is to be
found in the first part of the book. The extremely florid duplum is
thought to be a certain Aton of Troyes († in Cluny in 1145) to whom
several of the most fully developed compositions in the book are
likewise ascribed. Guillaume Dufay († 1474 in Cambrai) was also inspired
by this Introït; he composed an entire mass in honour of St James.
KYRIE REX IMMENSE (8th tone, G)
The monodic version of this Kyrie is to be found in the Vatican Edition under the name of another trope (Pater cuncta). It exists in the monodic part of our manuscript in the highly imaginative missa farsa attributed to Fulbert of Chartres († 1028) who is also the probable author of the discant version in the third part.
ALLELUIA VOCAVIT JESU (authentic mode of D, 1rst tone)
The
Alleluia, either as a text (in various responsories) or as a musical
theme, is omnipresent in the offices of St James. This example, in its
monodic form, is curiously translated into Greek at the end of the
manuscript. The florid organum is attributed to Gosselin of Soissons,
bishop of that city from 1126 to 1152.
PORTUM IN ULTIMO (D, plagal)
Another
prose ascribed to Aton of Troyes. lt is remarkable for the extremely
pure use of consonant intervals allied to a fine knowledge of vocal art.
O ADJUTOR (authentic mode of D, 1rst tone)
In
its monodic form, this great responsory is thought to have been
composed by Pope Calixtinus II, which shows in what esteem he was held
by the compilers of the book. The melismata of the organum (probably by
Aton of Troyes) contain many of the 12th c. formulae of jubilation.
AD SUPERNI REGIS DECUS (plagal mode of D, 2nd tone)
Attributed to Master Albert, archbishop of Bourges, this trope of a Benedicamus
is one of the most interesting compositions in the manuscript: the
verses alternate in pairs, in contrary motion of contrapuntal
perfection. There is a pneuma (continuation of the sound until its
extinction) on each final note in both voices, an effect that is not
entirely foreign to music of today...
NOSTRA PHALANX PLAUDAT (authentic mode of D)
Another
hymn attributed to Aton of Troyes, but possibly originating in St
Martial of Limoges. It is a conductus for two voices; the refrain was
probably repeated by the choir.
VOX NOSTRA RESONET (mode of G)
A
curious little piece (its duplum appears to have been composed first).
It is ascribed to Juan Legalis, who may have been French or Spanish but
who in any case seems to have been a resourceful theorist; the tenor
outlines a common chord in a repetitive manner, a most unusual procedure
for the time.
BENEDICAMUS
Three very short examples of florid organum on liturgical tenors which are still in use in the gregorian repertoire:
CONGAUDEANT
The
most audacious piece of the whole collection and perhaps of the entire
12th c. It allies the techniques of a conductus in discant and florid
organum. The two basic voices are treated like a two-part conductus; a
third voice (triplum) is added with much richer melismata. The
synchronization of these three independent parts creates a number of
problems and is a proof of the very free attitude of the period towards
rhythmical measure. It is attributed to Master Albert of Paris, who was a
canter of Notre-Dame in 1147 and died circa 1180. ANNE-MARIE DESCHAMPS
GLOSSARY
Unlike
other polyphonic forms of the 12th c., the hymns in CONDUCTUS are not
based on a known monodic theme. The voices, which are of equal
importance, give rise to rich contrapuntal invention.
medieval.org
LP, 1986: Solstice SOL 45
CD, 1990: Solstice SOCD 45
1. Ultreia [2:56]  
cc 117
2. Kyrie cunctipotens genitor [5:20]  
cc 111
3. Regi perennis glorie [2:40]  
cc 94
4. Ad honorem regis summi [0:55]  
cc 115
5. Misit Herodes [4:46]  
cc 109
6. Kyrie rex immense [2:32]  
cc 108
7. Alleluia vocavit Jesu [4:31]  
cc 110
8. Portum in ultimo [2:11]  
cc 107
9. O adjutor [4:59]  
cc 106
10. Ad superni regis decus [2:37]  
cc 98
11. Nostra phalanx plaudat [3:17]  
cc 95
12. Vox nostra resonet [1:50]  
cc 102
13. Benedicamus Domino I [1:40]  
cc 112
14. Benedicamus Domino II [1:50]  
cc 113
15. Benedicamus Domino III [2:31]  
cc 114
16. Congaudeant [3:03]  
cc 96
ENSEMBLE VENANCE FORTUNAT
Anne-Marie Deschamps
Anne-Marie Deschamps, soprano
Françoise Levy, mezzo
Catherine Petit-Heugel, soprano
Dominique Thibaudat, soprano
Bruno Boterf, ténor
Philippe Kahn, basse
Gabriel Lacascade, baryton
Antoine Sicot, basse
Enregistrements réalisés du 10 au 13 spetembre 1985
dans le cadre des carrières Arnaude à Meudon (Hauts-de-Seine)
grâce à l'amicale hiospitalité de Mr ÉLIE GOSSÉ
Prise de son et montage: FRANÇOIS CARBOU
Mastering: RAPHAËL JONIN et FABRICE DELAVEAU (Studio TRANSLAB)
Ⓟ 1985 / 90
English liner notes
Fondé en 1974, l'Ensemble Venance Fortunat est un groupe mixte de
chanteurs professionnels qui cherche restituer pour nos oreilles du XXe
s. les monodies liturgiques et les polyphonies primitives du Vle au XIIe
s. Il s'est placé sous le patronage d'un saint évêque de Poitiers du
VIe s., auteur de nombreuses hymnes dont certaines se chantent encore de
nos jours.
L'Ensemble cherche, à partir des manuscrits, à
retrouver la liberté de la voix non accompagnée, propre aux monodies
anciennes. Ce sentiment monodique, vocal avant tout, est présent
dans la conception des premières polyphonies et persiste à travers les
siècles à côté de courants d'interprétation plus directement
"instrumentale", considérée comme moins sacrée.
Dans son
interprétation, l'Ensemble respecte le principe d'alternance et de mise
en valeur des différents timbres vocaux. Il se libère des conceptions
les plus courantes sur la rythmique du Moyen-Age par une recherche très
précise des valeurs neumatiques. Vécues comme geste vocal homogène, les
formules neumatiques procurent aisance, souplesse et énergie.
Sises
à Meudon, Hauts-de-Seine, les anciennes carrières de craie Arnaudet
(que l'un de leurs propriétaires, Mr Gossé, a mis aimablement à la
disposition de l'Ensemble Venance Fortunat pour les besoins du présent
enregistrement) constituent à coup sûr l'une des curiosités les plus
méconnues de la périphérie parisienne.
Creusées aux XVIIIe et
XIXe s. avec un soin digne à tous égards des carriers médiévaux, leurs
galeries s'étendent sur presque deux hectares et ne comprennent pas
moins de quatre étages! A la suite de Cuvier, des générations de
paléontologues y sont vernis chercher - et trouver - leur provende:
fossiles marins, ossements préhistoriques. Dans une étude récente,
étayée de nombreux graphiques et mesures effectués sur place, le
professeur E. Leipp (du C.N.R.S. et de l'Université Paris VI) a mis en
évidence les exceptionnelles qualités qu'offraient ces galeries, sur le
plan de l'acoustique, et leur "intérêt considérable" en tant que lieu
d'écoute. Un moment promis à la destruction pour cause d'opérations
d'urbanisme, cet ensemble a cependant suscité auprès des pouvoirs
publics la prise de conscience propre à entraîner son classement et,
partant, sa survie dans le cadre du Patrimoine.
Le Liber Sancti Jacobi (Livre de Saint Jacques) répondit
à ce besoin de structure liturgique et de valorisation
historique, au milieu du foisonnement imaginatif et de la
complexité socio-culturelle engendrés par le
pèlerinage de Compostelle. Cet ouvrage (sans doute le
résultat d'un travail collectif effectué à
l'abbaye de Cluny, laquelle a joué un rôle
considérable dans l'organisation du dit pèlerinage et
l'entretien des routes qui y menaient) consiste en une compilation de
textes de provenances, d'époques et de genres fort divers mais
qui, pour la plupart, se voient attribuer des auteurs de grande
réputation.
Le Codex Calixtinus, qui tire son appellation de la lettre
apocryphe du pape Calixte II lui servant de préface (et que l'on
peut consulter a la bibliothèque de la cathédrale de
Saint-Jacques-de-Compostelle) en est la copie la plus complète.
Peut-être a-t-il été conçu sous la direction
d'Aimery Picaud, de Parthenay, des clercs ou des chanoines galiciens
envoyés à Cluny pour y poursuivre leurs études
ayant probablement contribué à sa rédaction et
apporté la touche "locale". L'évêque de Poitiers
Venance Fortunat (VIe siècle) s'y trouve plusieurs fois
cité, tant dans les pages rituelles que littéraires. Le
manuscrit renferme 196 folios de parchemin de 295 x 210 mm,
écrits en minuscules françaises du Xlle siècle, et
comprend cinq livres: Sermons et offices en l'honneur de Saint
Jacques, Livre des miracles, Livre de la translation des reliques du
Saint, Geste de Charlemagne, Guide du pèlerin.
La partie musicale se trouve dans le 1er livre. Elle débute par
des pièces musicales de pur style grégorien que viennent
enrichir des tropes, des séquences et des conduits de procession
originaux, ces pièces n'étant pas regroupées par
genres (comme c'était alors la coutume) mais se succédant
selon l'ordre même suivi à l'office. Chaque pièce
est accompagnée d'une rubrique indiquant son origine et,
parfois, sa "distribution": enfant, chantre, lecteur (ou ces deux
derniers ensemble). La deuxième partie du livre est
constituée par un ensemble de pièces polyphoniques,
à peu près contemporaines de la rédaction du
manuscrit: l'une d'elles porte l'indication perge retro (se
reporter en arrière), c'est-à-dire à l'office
monodique correspondant ou à la monodie sur laquelle elle s'est
greffée. Elles sont toutes à deux parties
différentes (à l'exception de Congaudeant,
l'unique pièce à trois voix qui, de cette époque,
nous soit parvenue). La plupart sont construites selon le principe
d'alternance par phrases parallèles, héritage des psaumes
hébreux qui imprégnera la poésie latine
chrétienne et, plus tard, la poésie de langue romane.
Elles obéissent à deux procédés de
composition:
— soit celui de l'organum fleuri, où le chœur tient
la partie première de style grégorien sous (ou sur) le
soliste, lequel déploie des vocalises parfois fort
développées sur chaque syllabe du texte -
préfigurant les grands organums de Pérotin (XIIIe
siècle) et conçues, déjà, comme un
éclatement de la monodie.
Pour pouvoir goûter pleinement cette musique, nous devons nous
exercer a une écoute tout à fait horizontale - comme si
chaque partie suivait son propre cours, ne se préoccupant de
simultanéité qu'à l'articulation des syllabes ou
au sommet des intervalles consonants: octaves, quintes, quartes. Compte
tenu de la réverbération des lieux, cette
simultanéité ne demandait pas la même rigueur que
de nos jours. Il faut aussi entrer dans un univers sonore où les
rapports entre les sons relèvent davantage du système
pythagoricien que du système tempéré.
Nous avons opté ici pour une interprétation purement
vocale: très précis dans ses rubriques, le manuscrit ne
fait mention que de duos cantores. Par ailleurs, les
pièces choisies sont pour la plupart des pièces rituelles
qui se donnaient dans le chœur du sanctuaire - où les
instruments n'ont pas pénétré avant de longs
siècles. S'y ajoutent seulement deux hymnes (Ultreia, Ad
honorem) qui, chantées par les pèlerins ou
l'assemblée, toléraient d'être accompagnées
par ces mêmes instruments que l'on peut admirer au portique de la
Gloire.
Précieuse recension des traditions musicales du temps et, tout
ensemble, porte ouverte sur ses innovations les plus hardies, le Codex
projette un éclairage nouveau et approfondi sur ce XIIe
siècle qui nous était surtout connu pour sa sculpture et
son architecture.
a. (corde fa, finale mi) pour les vêpres ordinaires en dehors du
Temps Pascal,attribué à un autre maître troyen:
Droard;
b. (ton 5) pour les fêtes des Saints, attribué au
même Droard. Il semble exploiter le mode qui deviendra notre ut
majeur;
c. (ré plagal, ton 2) pour les fêtes solennelles,
attribué à Gauthier de Château-Renault (dont se
manifeste à nouveau le sens de la coulée vocale). Son
origine se trouverait dans un répons de Saint-Martial de Limoges
attribué parfois à Fulbert de Chartres (Stirps Jesse).
GLOSSAIRE
Le DECHANT est un contrepoint appliqué sur un chant
déjà existant (cantus firmus ou teneur). A
partir du XIIe siècle, le cantus firmus est souvent
inventé.
Dans l'ORGANUM, une ou plusieurs voix s'"organisent" sur une
base liturgique connue, en se différenciant point contre point
(cf. DECHANT). Dans l'organum fleuri, la teneur -
exécutée par un ensemble, en valeurs très
étirées - est "fleurie" (= décorée) par les
improvisations du soliste.
La TROPE est la greffe note pour note (ou syllabe pour syllabe)
d'une musique (ou d'un texte) - et quelquefois les deux - dans un chant
déjà existant.
In Galicia, where the Mozarabic or Spanish liturgy had been celebrated
since the 7th century, the Roman rite only began to make its appearance
towards the end of the 11th century (1078). Even at the beginning of the
following century, the changes had not been universally adopted and the
resulting confusion gave rise to many complaints. In the face of an
ever-increasing number of pilgrims it became obvious that a precise ordo, which could be referred to and used as an example, had become a real necessity.
In
the midst of the socio-cultural complexity which characterized the mass
of pilgrims who came to Compostela and the imagination and
inventiveness they inevitably brought to the liturgy, the Liber Sancti Jacobi
fulfilled the need for a liturgy that was structured and historically
sound. The Book is the result of what was most probably a collective
effort of a group in the Abbey of Cluny, which played an important part
in the organization of the pilgrimages and the upkeep of the roads
leading to the shrine. It consists of a compilation of texts of diverse
sources, periods and kinds, but which for the most part were by authors
of considerable repute.
The most complete copy of this work is the Codex Calixtinus,
named after the apocryphal letter of Pope Calixtinus II which serves as
its preface and which may be seen in the Cathedral library of Santiago
de Compostela. It is possible that it was compiled under the guidance of
Aimery Picaud of Parthenay; clerks or canons from Galicia, sent to
Cluny to complete their studies, having doubtless helped to complete the
task and added their own touches of local colour. Venance Fortunat,
Bishop of Poitiers (6th c.), is mentioned several times, both in the
literary pages and those concerning the ritual. The manuscript consists
of 196 parchment folios, written in 12th c. French small lettering and
measuring 295 x 210 mm. It contains five books: Sermons and offices
in honour of St James, The Book of miracles, The Book of the translation
of the Holy Relics, "Geste" of Charlemagne, The pilgrim 's Guide.
The
musical part is to be found in the first book. It begins with pieces in
the pure Gregorian style, enriched by tropes, sequences and original
processional conducti; the pieces are not grouped according to
type, as was the usual practice, but are set out in the order of the
office. The source of each piece is indicated as is its manner of
performance: by a child, cantor or reader (or the last two together).
The second part of the book is a collection of polyphonic compositions
which are more or less contemporaneous with the drafting of the
manuscript; one of them is marked perge retro (see previous
pages), that is to say: refer to the corresponding monodic office onto
which the polyphony is grafted. All the pieces have two independent
voices (except the Congaudeant, the only three-part piece of the
period which has come down to us). Most are built on the principle of
alternation by parallel phrases; a legacy of the Hebrew psalm, found in
the Latin poetry of the Christians and later in other languages of Latin
origin. Two methods of composition are used:
— the florid organum,
in which the choir sings the principal vocal line in Gregorian style,
below (or above) the soloist who unfurls highly developed vocalises on
each syllable of the text, prefiguring the great organums of Pérotin
(13th c.) and already conceived as a breaking up of the monody.
To appreciate this
music fully, we must cultivate a completely horizontal way of listening,
as if each voice followed its own path and only paid attention to
synchronization on the articulation of syllables or consonant intervals:
octaves, fifths and fourths. In the resonant acoustics in which this
music was sung, such synchronization did not require the same precision
as it would today. The listener must also steep himself in the sound and
colour of the early Pythagorean tuning, very different from the equally
tempered scale to which we are accustomed.
We have decided on
the purely vocal interpretation: the manuscript, which is extremely
precise in its indications, only stipulates duos cantores.
Moreover the pieces chosen belong for the most part to the rites which
were celebrated in the sanctuary - where many a long century was to pass
before instruments were allowed to penetrate. Only the two additional
hymns (Ultreia, Ad honorem), which were traditionally sung by
pilgrims or the congregation, could be accompanied by those instruments
which we can admire in the carvings of the Portal of Glory.
The Codex
is an invaluable inventory of 12th c. musical traditions of which it
reveals the most daring innovations, but it also throws a new and
penetrating light on an era which heretofore we had chiefly appreciated
through its sculpture and architecture.
a. (corda F, final E) for the ordinary vespers outside Eastertide, attributed to Droard who also came from Troyes;
b.
(5th tone) for Saint's days, again attributed to Droard. He seems here
to be using a mode which was later to become our C major;
c. (plagal D, 2nd tone) for solemn feast days, attributed to Gauthier of Château-Renault whose sense of the vocal coulée is again apparent here. It may stem from a responsory of St Martial of Limoges ascribed to Fulbert of Chartres (Stirps Jesse).
DISCANT is a
counterpoint which is applied to an existing chant (cantus firmus or
tenor). From the 12th c. onwards the cantus firmus was often a new
melody.
In ORGANUM: one or more voices "organize" a counterpoint
to a liturgical melody. In florid organum, the tenor - sung by a group
of voices in extended note-values - is ornamented (i.e. decorated "as
with flowers") by the improvisations of the soloist.
The TROPE is a musical (or literary) graft, note-for-note (or syllabe-for-syllabe) onto an existing chant.