Studio SM 2602
1985 · 1997
The content of this CD has been previously released as Studio SM 30
14.51 (LP):
"Lamentations grégoriennes plaintes
cléricales IXe-XIIIe siècles"
These pieces are monophonic except for track #6. The basic subject
matter is the Biblical lament.
As always with Le Vot, the expression is
very direct.
More recently, it has been argued based on notational style that Sol
eclypsim patitur was probably written for Ferdinand III, King of
Castille, who died in 1252.
CD production: 1997 —
medieval.org
1. Vox in rama audita est [0:58]
2. Audi tellus, audi magni maris limbus [4:23]
3. Squalent arva soli pulvere multo [4:44]
4. O Maria noli flere [3:04]
5. Sol eclypsim patitur [4:03]
6. De lamentatione Jeremiae prophetae [2:22]
7. Aurora cum primo mane [5:37]
8. Hactenus tetendi liram [4:33]
9. Improperium expectavit cor meum [2:18]
10. Quid tu, virgo [2:09]
11. Heu, voce flebili cogor enarrare [5:12]
Transcriptions, arrangements, direction musicale: Gérard Le
Vot, Université Lyon II
Avec la participation de:
Paul Fustier: vielle à roue, organistrum
Tamas K. Kiss: chant
Gérard Le Vot: chant, symphonia, harpe triangulaire
Miquèu Montanaro: flûte en roseau, guimbarde
Jean-Claude Tricbard: luth
Enregistrement:
Miquèu Montanaro
Église Sainte-Philomène, CUERS (Var)
juillet - septembre 1985
Mixage: Michel Prophette
• PLANCTUS ET LAMENTATIO
Au Moyen-Age, le chant était un moyen privilégié
de communiquer. Pour prier Dieu, pour éloigner les forces
maléfiques, la mort, ou même un adversaire, l'homme
chantait abondamment ses peines. Dans le chant grégorien, la lamentatio
se relie le plus souvent à un épisode biblique: la
déploration du Christ sur la croix, la plainte de Rachel
pleurant les Innocents massacrés par Hérode (1, 10),
celle de Jérémie le prophète devant la destruction
du Temple (6), la douleur de David devant la mort de Saül et de
Jonathan, ou bien encore celle de la Vierge au pied de la croix. Dans
la poésie en langue latine, le planctus (une plainte
plus rhétorique et scolaire) sort du cadre liturgique, qu'il
s'agisse de l'éloge funèbre d'un grand de ce monde, ou
bien du rappel d'un épisode désastreux de l'histoire de
la nation. Tous ces chants remontent à des
célébrations très anciennes. Le planctus
funéraire (5, 8) est à comparer avec la
déploration sur la mort d'un chef qu'on observe dans certaines
civilisations. Les pièces historiques (1, 11) se rapprochent des
épopées archaïques. Une autre source d'inspiration
procède d'un arrière-fond païen. L'hymne pour le
retour de la pluie Squalent area soli pulvere multo (3)
présente des ressemblances avec les cantos de Lluvia
ibériques.
• FORMES MUSICALES ET POÉTIQUES
Ces chants montrent une grande diversité formelle. On y trouve
les principales espèces poétiques religieuses: la
psalmodie bâtie sur le verset de psaume (6), l'hymne strophique,
rimé, et sa descendance le versus (1, 2), les compositions
"commatiques" dont la structure libre épouse le sens de la
phrase et la formule mélodique (9), enfin la séquence, (a
partir du IXe siècle), qui associe vers et strophes de longueurs
différentes (10). Les procédés musicaux qu'on
applique à ces poèmes sont aussi très
diversifiés: la litanie à répétition simple
(6, B2), l'hymne en Oda continua, sans répétition
A B C D E F ... (5), souvent orné et plus sophistiqué que
chez les troubadours, la séquence redoublement immédiat
AA BB CC. (10), enfin l'organum (6) et le conduit à
plusieurs voix. Cette hétérogénéité
formelle de la plainte va de pair avec ses dénominations fort
variées (versus, planctus, lamentatio, ritmus, carmen...).
• LES AUTEURS, TRADITIONS ÉCRITE ET ORALE
Aujourd'hui, en notre époque d'individualisme, il est difficile
d'apprécier les ressorts de la création
médiévale. Le poète avec sa personnalité et
sa sensibilité existait. Angilbert, Notker, Guy de Luxeuil et
Philippe de Grève, tous auteurs de Plaintes, le prouvent.
Pourtant, ceux-ci n'ont sans doute pas cherché, comme l'artiste
moderne depuis le Romantisme, à affirmer un style particulier.
Les médiévaux étaient traditionalistes. Ils
réutilisaient l'ancien pour faire du neuf, puisant dans les
chants connus de tous pour les transformer. De là cette
multiplicité des leçons pour un même chant et sa
souplesse mélodique et textuelle imputable (a des degrés
différents) à la transmision orale.
Nous avons choisi de réorganiser les témoignages musicaux
afin de souligner plusieurs des procédés de composition
en vigueur à l'époque. Ainsi, celui de centonisation
mélodique employé pour la déploration sur la Terre
Sainte (11). Ainsi, la contrefacture, adaptation d'une
mélodie-type sur un poème déjà existant
(4), ou bien encore la séquence de Notker évoquant Rachel
(10). Ainsi en est-il du chant en organum parallèle de
la lamentation de Jérémie (6) comme de l'emploi des deux
leçons mélodiques de l'élégie sur la mort
du clerc Constant (8).
• LES INSTRUMENTS ET LA VOIX
En matière d'archéologie musicale, il est impossible de
définir avec précision les timbres vocaux et
instrumentaux de la musique au Moyen Age. Nous avons admis qu'a
l'office, hormis l'organistrum (l'ancêtre de la vielle
à roue) (2, 10) et l'orgue, les instruments étaient
exclus. En revanche, la flûte en roseau (7), la vièle
à archet, le luth (5, 11) ou bien la harpe, utilisée ici
(8) à la façon de la kora africaine, sont
plausibles comme soutien à la récitation
cléricale. Par ailleurs, le latin médiéval
n'était pas unifié. Certes, il est la continuation
naturelle de la langue classique, et conserve un caractère
scolaire (10). Néanmoins, influencé par la langue de la
patristique et la naissance des idiomes locaux, il admettait des
prononciations variées, une diversité encore accrue par
l'espace de cinq siècles qui nous occupe. Pourtant, la dictio
était une discipline exigeante. Sous peine de tomber dans une rusticitas
mal venue, il a fallu réaliser des compromis.
• MEDITATION À SAINTE-PHILOMENE
Au sujet de l'expression de la sensibilité, il est une question
embarassante que l'on ne pouvait éviter: comment les
médiévaux pleuraient-ils? Leur façon d'exprimer la
peine différait-elle de la nôtre? Au bout du compte, ce
disque est une amorce de réponse. Il aurait pu avoir comme
sous-titre MEDITATION A SAINTE-PHILOMENE car le lieu d'enregistrement,
l'église Sainte-Philomène, dans la montagne de Cuers
(Var), appelait la méditation de l'historien confronté
aux traces des hommes passés, la méditation aussi du
musicien qui redonne vie à ces chants, de nouveau instants, des
moments privilégiés partagés par cinq musiciens.
1. VOX IN RAMA AUDITA EST
Einsiedeln, Stiftsbibl, ms. 121, fol 43, début 1Xe s. Graduel
Triplex, p.638.
Antienne de communion tenant place à la Fête des saints
Innocents, le 28 décembre. Rachel pleure les enfants de
Bethléem tués par Hérode (Matth.,2).
2. AUDI TELLUS, AUDI MAGNI MARIS LIMBUS
Montpellier, B.M., lat. 6, fol. 1v, Epistolier, IXe s.
Provenant de l'abbaye d'Aniane (Languedoc) cet abécédaire
à refrain (chaque strophe débute par une lettre selon
l'ordre alphabétique) appartient à un groupe de chants
relatifs au Jugement Dernier. La notation du manuscrit est
imprécise quant à la mélodie, ici transcrite en ré.
Il existe deux autres versions plus tardives (Karlsruhe, 504, fol. 26r;
Las Huelgas, fol. 167v).
3. SQUALENT ARVA SOLI PULVERE MULTO
Rome, B. Apost. Vat., Reg. 334, fol. 74-75v, Processionnaire, vers
1100. Ed. Stdblein, 1023.
Cet hymne pour implorer le retour de la pluie, sans doute du Ve
siècle, se trouve dans un processionnaire de Sora (Latium) du
XIIe siècle. La mélodie très simple
s'achève sur mi aux cadences. Elle appelle le rythme de
la marche. L'usage de la guimbarde se justifie par la fonction
symbolique de l'instrument: un moyen sonore de se protéger
contre le mauvais sort.
4. O MARIA NOLI FLERE
Poème de PHILIPPE DE GREVE (1160-1236).
Mélodie: Paris, B.N., lat. 1235, fol. 152. Ed. Stäblein,
1401.
La Chronique des Frères mineurs écrite par Salimbene de
Adam (Fin XIIIe siècle), souligne l'habitude de mettre en
musique les poèmes de Philippe, chancelier de Paris, et
notamment ses "hymnes en l'honneur de Marie-Madeleine". Une
mélodie du répertoire hymnique au cadre métrique
identique a été adaptée au poème de
Philippe consacré à Marie-Madeleine pour les laudes de
Pâques.
5. SOL ECLYPSIM PATITUR
Florence, B.Laur., Pluteus 29.1, fol. 451r/v.
La plainte sur la mort du roi Fernand II de Léon (1157-1188)
appartient à la collection d'élégies, tant
monodiques que polyphoniques, notées dans l'une des sources
majeures de l'Ars antiqua parisien: le manuscrit Pluteus
29.1. Ce chant présente une forme élaborée. Les
vers de six et sept syllabes alternent avec l'octosyllabe et deux
schémas rimiques (ababcdcd puis aaabbbcccddee) se
succèdent. La mélodie très ornée, une oda
continua (sans répétition), est en deux parties: la
première en fa, la seconde en sol.
6. DE LAMENTATIONE JEREMIAE PROPHETAE
Première leçon du Vendredi Saint, psalmodie
traitée en organum.
Paroissien Romain, 800, p. 693.
Les cinq Lamentations de Jérémie (Jér.52) sur la
destruction de Jérusalem et de son temple par Nabuchodonosor
auraient été écrites par le prophète. Elles
se chantent à l'office lors de la Semaine Sainte. Les strophes
de la première leçon du Vendredi (seconde Lamentation) se
composent de trois versets psalmodiés au moyen d'une formule
d'ornementation pour les lettres alphabétiques initiales, puis,
d'une formule d'intonation avec flexe, enfin, de la formule
d'intonation répétée avec une terminaison
différente. La liturgie n'a gardé que quatre (de huit
à onze) des vingt-deux strophes primitives. La lamentatio
est traitée en organum à trois voix (deux
chanteurs plus l'organistrum) selon une pratique commune au
Moyen-Age.
7. AURORA CUM PRIMO MANE
ANGILBERT. Paris, B.N., lat. 1154, fol. 136v, milieu IXe s.
Ce chant historique carolingien relate la bataille de Fontenoy en
Puisaye près d'Auxerre du 25 juin 841, où, Louis le pieux
mort, ses fils s'entredléchirèrent. Charles le Chauve et
Louis le Germanique, alliés, vaincront Lothaire. Angilbert
combattant sous la bannière du dernier, relate le combat
fraternel. Le poème alphabétique (jusqu'à N)
provient d'un manuscrit de Saint-Martial de Limoges. Ses vers sont des
septénaires trochaïques sans métrique quantitative.
Les neumes aquitains in campo aperto sont imprécis quant
à la mélodie. Transcrite de façon pentatonique,
celle chantée ici, comme le prélude et le postlude
à la flûte restent une proposition.
8. HACTENUS TETENDI LIRAM
GUY DE LUXEUIL. Florence, B. Laur., F III 565, fol.33.
Paris, B.N., lot 7211, fol. 123v.
La mort, vers 1015, de Constant, un clerc savant et philosophe de
Saint-Pierre de Luxeuil, auteur d'un ouvrage sur la nature des liquides
et transcripteur de la Géométrie de Boèce,
inspira l'un de ses élèves: Guy de Luxeuil. Reprenant le
vers rythmique des versus carolingiens (ici encore le septénaire
trochaïque), le poète dans ses réminiscences de
textes antérieurs montre un certain lyrisme. La musique du planctus
consignée en notation alphabétique dans deux manuscrits
présente des variantes de schéma mélodique. Le
manuscrit de Paris propose la formule ABA jouée à la
harpe, tandis que celui de Florence donne la formule AAB suivi par le
chanteur.
9. IMPROPERIUM EXPECTAVIT COR MEUM
Einsiedeln, Stiftsbibl., ms. 121, fol. 184, début IXe s.
Laon, B.m., ms. 239, fol. 91, après 930.
Graduel Triplex, p.148.
L'antienne d'offertoire de la messe du dimanche des Rameaux est l'un
des chants les plus intenses du répertoire grégorien. Une
dernière fois retentit l'appel du Christ abandonné.
Bâti sur le psaume 68, ce "chant long" très orné,
en sol, porte admirablement le cri sans réponse du
Seigneur.
10. QUID TU VIRGO
Texte de NOTKER (840-912). Ed. Von den Steinen, p.86.
Mélodie: Saint Gall mss. 378, 380, 381, 382. Ed. Crocker, p.132.
Le thème de la séquence de Notker, moine de Saint-Gall,
est tiré du massacre des Innocents déjà
cité (Matth 2; Jér.31). Rachel pleure son fils
martyrisé. A la fois virgo et mater, elle
représente l'Eglise face à ses martyrs. Notker utilise la
métrique d'un autre de ses poèmes : "Haec est sancta
solemnitas solemmnitatem" qui permet de les chanter sur une
mélodie-type ("Virgo Plorans") connue dans les manuscrits
suisse-rhénans des Xe-XIe siècles.
11. HEU, VOCE FLEBILI COGOR ENARRARE
Texte: Munich, Bayerische Staatdsbibliothek, Clm 4660, fol. 15. Ed
Hilka et Schumann, 50.
Mélodie: hymnes associées en séquence. Ed.
Stäblein, 773, 1052, 1061, 1003.
Recueilli dans les Carmina Burana, ce chant déplore les
revers chrétiens en Terre Sainte (1187) dus pour une large part
aux désaccords entre Raymond III, comte de Tripoli, et Guy de
Lusignan, roi de Jérusalem. Le poème de vingt cinq
quatrains monorimes, proche encore de l'épopée,
mêle le vrai aux inexactitudes. Ainsi des trois millions de
païens que Saladin entraîne au combat. Il n'existe pas de
musique pour ce poème si bien que nous avons usé des
procédés de contrefacture et de centonisation qui
consistent à associer tout ou partie de mélodies-types
sous forme de séquence.