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EMI "Reflexe" 8 26503 2
1989
LP original (1977): EMI "Reflexe" 1C 063 30 935 Q
01 - Jacques MAUDUIT (1557-1627). Eau vive, source d'amour
[3:12]
02 - (an.) C'est un amant, ouvrez la porte [1:09]
03 - Joachim Thibaut de COURVILLE (um 1535-1581). Si je languis
d'un martire incogneu [2:30]
04 - Gabriel BATAILLE (1575-1630). Un jour que ma rebelle
[1:22]
05 - Pierre GUÉDRON (?, 2.Hälfte des 16.Jh.-1621). Si
jamais mon âme blessée [2:47]
06 - Pierre GUÉDRON (?). Cessés mortels de soupirer
[5:58]
07 - Gabriel BATAILLE. Ma bergère non légère
[2:23]
08 - Pierre GUÉDRON (?). Quel espoir de guarir
[3:53]
09 - Gabriel BATAILLE. Qui veut chaser une migraine
[2:38]
10 - François le FÉGUEUX (?—?). Petit sein
où l'Amour a bâti son séjour [1:28]
11 - Étienne MOULINIÉ (um 1600-nach 1669?)Paisible et
ténébreuse nuit[/b] [3:02]
12 - Antoine BOËSSET (1585?-1643). Plaignez la rigueur de mon
sort [1:56]
13 - Étienne MOULINIÉ. Quelque merveilleuse chose
[2:25]
14 - Antoine BOËSSET. N'espérez plus mes yeux
[3:15]
Diminutionen von Antoine oder Étienne Moulinié, Henry de
Bailly und Antoine Boësset
15 - GRAND RUE (?—?). Lors que tes beaux yeux mignonne
[1:32]
16 - Antoine BOËSSET. Ennuits, désespoirs et douleurs
[4:34]
17 - Étienne MOULINIÉ. Je suis ravi de mon Uranie
[2:26]
18 - Étienne MOULINIÉ. Enfin la beauté que
j'adore [6:08]
Nigel Rogers, Tenor
Anthony Bailes, Laute
Aufgenommen:
6.-9.IX.1976, Séon (Schweiz), Ev. Kirche
Produzent: Gerd Berg
Tonmeister: Johann-Nikolaus Matthes
(P) 1977 EMI Electrola GmbH, D-5000 Köln
Digital remastering (P) 2000 by EMI Electrola GmbH
AIRS DE COUR
A le considérer individuellement, l'«air de cour»
français du XVIIe siècle semble la plus spontanée
des expressions musicales de son temps. La clarté de sa coupe,
sa fraîcheur d'inspiration — en dépit de sa
préciosité poétique —, son caractère
intime cachent en réalité un long travail qui eut pour
conséquence l'effacement progressif de la polyphonie renaissante
au profit de l'air accompagné tel qu'il fut passionnément
cultivé sous le règne de Louis XIII.
La complexe histoire de l'art vocal français du XVIe
siècle laisse apparaître aux alentours de 1530 la
coexistence souvent antagoniste de deux tendances bien
évidemment soumises à l'évolution
littéraire contemporaine: d'un part, l'ancienne chanson
polyphonique, riche vêtement des formes poétiques les plus
savantes et, d'autre part, ces «voix de villes» ou
«vaudevilles» d'origine parisienne, œuvres
polyphoniques ou monodiques que leur légèreté
apparente à l'art populaire, et dont le succès ira
grandissant jusqu'à la fin du siècle. Ces
dernières accordent au texte, voire au mot, une
prééminence tout à fait exceptionnelle,
résultat de l'influence conjuguée d'un certain humanisme
français et des madrigalistes italiens. Désormais les
partisans du nouveau style délaisseront les formes
poétiques anciennes au profit de textes strophiques
agrémentés ou non de refrain et que l'on peut chanter sur
une mélodie unique; l'écriture syllabique favorisera
l'homophonie et donnera la prépondérance à la voix
supérieure de l'ensemble vocal. Vers 1570 enfin, l'Académie
de Poésie et de Musique de Jean Antoine de Baïf tentera
d'unir ces deux arts par des liens comparables à ceux,
très étroits, qui régissaient la poésie
lyrique de l'Antiquité. Ainsi, en l'espace de quelques
décennies, la chanson donne naissance à un genre nouveau:
l'air, dont le rythme quelque peu scolaire ira s'assouplissant au
contact d'une expression littéraire toujours plus subtile.
Dans cette évocation trop hâtive des transformations
esthétiques et formelles qui présideront à
l'avènement de l'«air de cour», nous n'avons dit mot
d'une pratique laquelle ce genre doit sa coloration et son charme si
particuliers. Le chant au luth existe en effet de longue date et, sans
remonter à l’époque lointaine des trouvères,
les publications de Franciscus Bossinensis (1509), Arnolt Schlick
(1512), Pierre Attaignant (1529) ou Pierre Phalèse (1553)
témoignent d'un art raffiné qui s'appuie presque
essentiellement sur des œuvres vocales polyphoniques
adaptées et pour ainsi dire miniaturisées sur
l'instrument à corde, soutien idéal de la voix. Quant au
terme d'«Air de cour», il figure pour la première
fois sur la page de titre du recueil publié en 1571 par
l'éditeur, compositeur et luthiste parisien Adrian Le Roy, dans
lequel celui-ci se contente d'adapter les airs à plusieurs
parties que l'organiste du Roi Nicolas de la Grotte avait écrits
sur des poèmes de Ronsard et ses contemporains. Le choix du
terme est très révélateur de l'engouement que
ressent la société aristocratique pour cette nouvelle
manière: par-delà les frontières Emanuel
Adriaenssen, dans les livres qu'il publie à Anvers et le
Bisontin Jean-Baptiste Besard, dont la copieuse anthologie voit le jour
à Cologne, font connaître ce répertoire et
suscitent des émules. Cependant, le Livre d'Airs de cour,
miz sur le luth d'Adrian Le Roy restera long-temps sans descendance
dans sa propre patrie. En effet, aux troubles politiques et religieux
s'ajoutent les incertitudes d'une période de transformations
linguistiques, poétiques et musicales. Le luth lui-même,
symbole de perfection instrumentale, voit la belle symétrie de
son accord remise en question par ses maîtres les plus illustres.
On comprendra aisément que ce climat d'insécurité
n'ait guère favorisé la publication d'ouvrages fort
coûteux comme les tablatures de luth. Du moins cette
période d'apparente stérilité aura-t-elle permis
à des imprimeurs tels que Ballard de produire une typographie
qui se distingue par son élégance, sa clarté et
son adéquation parfaite au style qui se faisait jour, donnant
à l'ensemble des recueils à venir son apparence d'une
uniforme beauté.
La période qui débute avec le règne d'Henry IV, se
prolonge sous celui de Louis XIII pour ne s'achever
véritablement qu'à l'avènement de Louis XV, est un
second âge d'or de l'histoire du luth. C'est le moment où
la France, prenant la parole dans le concert des Nations, met fin
à cent années de suprématie italienne et dicte ses
lois aux artistes de l'Europe entière. Le luth devient alors
l'instrument français par excellence, pour lequel on se
passionne à tous les étages de la société.
Une sorte de culte est voué cet «arbitre de l'Amour, de la
Paix et de la Guerre» qu'Abraham Bosse représente sur le
frontispice de la Rhétorique des Dieux (*), culte que la
société polissée des salons et des ruelles honore
avec une telle ardeur que les moralistes du temps s'en émeuvent.
Il faut dire que le luth, emblème de la poésie, le fut
aussi de cette mode historique souvent décriée, connue
sous le nom de «Préciosité». On chercherait
vainement dans la première génération des
précieux le sens de l'harmonie, de la mesure, ce goût
enfin qui feront d'eux les précurseurs du classicisme. Au
contraire l'enflure du style, l'hyperbole, l'affectation le disputent
à un pétrarquisme exsangue et mièvre. Lorsqu'en
1608 sort des presses de Pierre Ballard le Livre d'Airs de
différents autheurs, mis en tablature de luth par Gabriel
Bataille, premier d'une longue série de recueils analogues,
les textes choisis par quelques-uns des plus illustres musiciens du
règne de Louis XIII n'offrent que bien peu d'exceptions à
la règle. Chansons, récits et stances rimés assez
mollement par des poètes mondains ou
«crottés» dont il est parfois difficile de percer
l'anonymat, y figurent en majorité; et quand, d'aventure, les
pièces sont signées d'un Desportes, d'un Malherbe ou d'un
Rapin, il est rare qu'elles fassent honneur a ceux qui les concurent. A
l'instar de leurs contemporains d'Outre-Manche, les compositeurs d'airs
français recherchent dans le texte un matériau ductile
qui conditionnera la liberté et la fluidité de leurs
chants: ce qui n'était que fadeur et convention se verra alors
transfiguré en un art d'une subtile unité qui s'imposera
partout sans effort. L'air au luth, souvent intégré au
'ballet de cour', véritable institution nationale,
représente dès lors l'expression la plus authentique de
l'art musical français. En Angleterre, Guédron figure au
côté de John Dowland et Giulio Caccini dans le Musicall
Banquet (1610) de Robert Dowland, fils du célèbre
luthiste et quelques années plus tard Edward Filmer publiera une
éloquente anthologie de dix-neuf French Court-Aires, with
their Ditties Englished of four and five parts, together with that of
the lute... (1629). Dans les pays germaniques, Heinrich Albert, le
père du Lied allemand, ne dédaigne pas non plus se mettre
à l'école française dans ses Arien oder
Melodien (1638-1650) ... et nombreux sont les amateurs friands de
nouveauté qui copient des airs de cour dans ces petits recueils
manuscrits qui constituent le répertoire de toute
«Hausmusik». Il faudrait encore donner l'exemple des
Pays-Bas on cette musique fut appréciée de bonne heure
comme en témoigne la correspondance de Constantin Huygens, dont
la troisième partie de sa Parthodia sacra et profana dit
avec fierté la source de son inspiration. Aujourd'hui les
bibliothèques du monde entier conservent le souvenir de cette
vogue exceptionnelle puisque l'ensemble des livres d'airs
français pour voix et luth compte parmi les ouvrages les mieux
représentés de la bibliographie musicale de tous les
temps.
La structure de l'air de cour est d'une extrême
simplicité. Son caractère syllabique excluant la
répétition des paroles engendre des phrases exactement
calquées sur le vers et donc de longueurs inégales. Les
barres de mesure qui n'apparaissent qu'en fin de vers donnent une
impression de liberté souvent déroutante pour qui ignore
les problèmes de prosodie et de rythmique d'autrefois. Souvent
les mélodies sont divisées en deux parties dont chacune
peut être répétée; lorsque le texte comporte
un refrain, c'est lui seul qui est repris. Parfois le compositeur
lui-même écrit ces reprises en les embellissant, mais
fréquemment celles-ci sont improvisées par
l'exécutant désireux de montrer son invention et sa
virtuosité. Cette pratique selon laquelle on jugeait de
l'excellence d'un chanteur jusqu'à une époque
relativement récente, fait essentiellement appel à deux
éléments complémentaires: l'ornementation
qui, au moyen d'accents, de ports de voix, de tremblements, de notes de
passage, de cadences ou tout autre artifice vocal met en lumière
une syllabe, un mot expressif du texte— «les
diminutions» qui englobent des fragments de plus en plus
importants de la mélodie (lorsque celle-ci se présente en
valeurs longues) et conduisent tout naturellement, au début du
siècle, à la création de «doubles»,
véritables variations permettant aux virtuoses de faire subir
à leurs couplets cette métamorphose musicale qui comble
les auditeurs de l'époque baroque d'une admiration infinie. Sans
doute ne faut-il pas méconnaître l'influence de l'Italie
dans cette mode: le passage de Giulio Caccini, accompagné de sa
femme et ses deux filles, à la cour d'Henry IV pendant l'hiver
1604-1605, a dû impressionner fortement tous ceux qui entendirent
les célèbres ambassadeurs des Nuove Musiche. Pourtant,
aile Père Mersenne, dans le sixième livre de son Harmonie
Universelle (1636), admet volontiers la supériorité
de l'Italie, «où ils se piquent de bien chanter, & de
sçavoir la Musique beaucoup mieux que les
Français», et renvoie son lecteur aux ouvrages de
«Jules Caccin, appelé le Romain» et de Jiacopo Peri,
il fait aussi sentir à quel point la déclamation
théâtrale et passionnée qu'il vient de
décrire doit «s'accomoder à la douceur
Français» pour satisfaire le goût de ses
compatriotes. E est d'ailleurs intéressant de constater que les
Italiens eux-mêmes ne restent pas insensibles aux recherches de
leurs voisins et viennent à la source étudier le
«bel canto a la francese» .
Les différences de conceptions qui existent entre la monodie
italienne chère à la «Camerata» florentine et
l'air français du premier tiers du XVIIe siècle, se
retrouvent également au niveau de l'accompagnement. Alors que
l'on préfère, outre-monts, le timbre glorieux du
chitarrone pour réaliser, «al arbitrio del
sonatore», une basse souvent pourvue de minutieux chiffrages, les
français, fidèles au son intime et mystérieux du
luth encordé de boyau, font graver en tablature les
accompagnements qu'ils écrivent pour leurs airs. En dépit
des mouvements évoqués plus haut en faveur des
«accords extraordinaires», le luth conserve le «vieil
ton» de ses origines, tout comme le théorbe, indispensable
aux compositeurs d'airs de la génération suivante.
L'instrument à dix rangs de cordes, illustré par
Francisque, Nicolas Vallet ou Robert Ballard, se prête
particulièrement bien à l'accompagnement de ces airs
à la tessiture élevée qui, çà et la,
emprunte un détail à la version polyphonique
publiée conjointement en ces premières années du
siècle. Mais bien souvent il s'agit d'accompagnements simples,
indépendants et d'écriture verticale; aisés pour
l'amateur ils peuvent aussi servir de point de départ pour le
luthiste ingénieux.
Quelques mots enfin sur les auteurs des œuvres qui constituent la
présente anthologie, dont certaines se trouvent
enregistrées ici pour la première fois. A l'exception de
Joachim Thibaut de Courville et Jacques Mauduit, tous deux musiciens
attachés au cercle littéraire d'Antoine de Baïf et
représentant dans ce programme l'«air de Cour»
à ses origines; à l'exception aussi de Jean-Baptiste
Besard (ca. 1567—après 1617), esprit universel et virtuose
du luth, auteur de deux anthologies méthodiques d'une
inestimable valeur, tous les compositeurs d'airs de cour virent le jour
pendant le dernier tiers du XVIe siècle. Leur aîné,
Pierre Guédron, «Intendant des Musiques de la
Chambre» du Roi et de la Reine-Mère en 1613, fut un
compositeur particulièrement actif dans le domaine du Ballet de
cour et de la musique vocale polyphonique ou monodique. Les quelques
cent cinquante airs de cour mis sur le luth qu'il laisse à ses
amis le soin de publier entre 1608 et 1620 font ressortir son
tempérament dramatique et son sens très aigu de la
déclamation expressive. L'air Cessés mortels de
soupirer, dont la phrase initiale n'est pas sans rappeler le fameux
Lacrimae de John Dowland, connut un succès tel qu'il est
cité dans l'Histoire comique de Francion de Charles Sorel
(1623). Antoine Boêsset, sieur de Villedieu, gendre de
Guédron, hérita toutes ses charges à la mort de
celui-ci. Chanteur réputé admiré par Luigi Rossi,
il donne à ses airs un peu de la grâce et de la souplesse
qui faisaient parfois défaut à son beau-père. Sept
livres d'airs de cour avec la tablature de luth nous livrent des
œuvres dont la beauté naturelle semble répondre
à l'idéal de Descartes pour qui «la fin de la
musique est de nous charmer et d'éveiller en nous divers
sentiments». N'espérez plus mes yeux donne une
idée de la virtuosité vocale telle qu'on l'entendait au
XVIIe siècle: après le «simple» chanté
sans ornements, ce seront trois exemples de diminutions choisis parmi
ceux notés par le Père Mersenne d'après les
«meilleurs Maistres, les plus experimentez, & ceux qui sont
dans l'approbation de tout le monde«»: Moulinié, Le
Bailly — auquel on attribue la paternité de cette
façon de chanter — et Monsieur Boësset.
C'est à Gabriel Bataille que revient l'honneur de publier le
premier recueil d'airs de cour, bientôt suivi d'autres volumes
qui se succéderont régulièrement jusqu'en 1615.
Luthiste, il est maître de musique de Marie de Médicis et
d'Anne d'Autriche et grand pourvoyeur de ballets royaux. Grandement
désireux de donner à l'«air de cour» ses
premières lettres de noblesse, il transcrit avec un zèle
infatigable des œuvres polyphoniques puisées dans la
génération passée aussi bien que chez ses
contemporains, apportant lui-même une cinquantaine d'airs de sa
façon qui comptent parmi les plus enjouées, les plus
badins du genre. Le cadet de ce groupe, Etienne Moulinié, natif
du Languedoc, est «Chef de la Musique de Monseigneur le Duc
d'Orléans, frère unique du Roy» en 1628, charge
qu'il gardera jusqu'à la mort du prince, en 1660. Chanteur
réputé, ses six livres d'airs de cour pâtiront de
la désaffection du public pour une formule désormais
surannée. En vain tentera-t-il de flatter son auditoire en
introduisant dans ses livres des airs italiens, espagnols et même
gascons accompagnés de la guitare qui fait alors fureur. Les
troubles de la Fronde interrompront dangereusement la publication de
ses œuvres et quelques années plus tard, le retour de
Moulinié au pays natal marquera la fin irrévocable de cet
art fragile, mouvant et unique que fut l'«air de cour».
Claude Chauvel
* Titre du somptueux recueil gravé et calligraphié vers 1650, rassemblant les plus belles pièces de Luth de l'Illustre Denis Gaultier et d'Ennemond, son cousin.