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harmonia mundi HMC 1252 · 1986 LP
harmonia mundi HMC 190 1252 · 1986 CD
harmonia mundi “Suite” HMT 90 1252 (790 1252) · 1997 CD
harmonia mundi “musique d'abord” HMA 195 1252 · 2006 CD
1. CUNELIER. Se Galaas et le puissant Artus [6:26]
ballade, fol. 38 — haute-contre, ténor, baryton
2. GUIDO. Dieux gart [8:10]
rondeau, fol. 25 — haute-contre, ténor, baryton, vièle, clavicythérium
3. Anonyme. Sans joie avoir [2:06]
ballade, fol. 23 — vièle, clavicythérium
4. GUIDO. Or voir tout [5:15]
ballade, fol. 25v — haute-contre, ténor, baryton
5. Anonyme. Toute clerté [2:54]
ballade, fol. 13 — ténor, baryton, basse
6. Baude CORDIER. Tout par compas [2:23]
rondeau-canon, fol. 12 — haute-contre, ténor, baryton
7. Baude CORDIER. Belle, bonne, sage [4:33]
rondeau, fol. 11v — haute-contre, ténor, vièle, clavicythérium
8. GOSCALCH. En nul estat [4:51]
ballade, fol. 39v — haute-contre, ténor, baryton
9. SENLECHES. La harpe de mellodie [2:26]
fol. 43v — vièle, clavicythérium
10. SOLAGE. Fumeux fume par fumée [5:16]
rondeau, fol. 59 — ténor, baryton, basse
11. F. ANDRIEU. Armes, amours [6:05]
double ballade, fol. 52 — haute-contre, ténor, basse, vièle, clavicythérium
12. Anonyme. Adieu vous di [3:44]
fol. 47 — clavicythérium
ENSEMBLE ORGANUM
Marcel Pérès
Gérard Lesne, haute-contre
Josep Benet, ténor
Josep Cabré, baryton
François Fauché, basse
Nanneke Schaap, vièle
Marcel Pérès, clavicythérium Emile Jobin
harmonia mundi s.a., Mas de Vert, 13200 Arles Ⓟ 1987
Coproduction Fondation Total pour la musique et harmonia mundi
Enregistrement septembre 1986
Prise de son Jean-François Pontefract
Traduction des textes en français moderne : Geneviève Brunel
Traductions du texte de présentation : Escha, Charles Johnston, Derek Yeld
Illustration : Très riches heures du Duc de Berry, fête de mai
(province de Limbourg, début XVe s.),
Musée de Condé, Chantilly
Cliché Giraudon
Maquette Relations
English liner notes
Le Manuscrit de Chantilly (Musée Condé, 564),
réputé et redouté à cause de sa notation
extrêmement complexe de l'ars subtilior,
mais aussi admiré pour les belles illustrations qui ornent certaines
pages, nous transmet, à travers les cinq fascicules du vieux recueil, 70
ballades, 17 rondeaux, 12 virelais et 13 motets isorythmiques, tous
composés durant la seconde moitié du XIVe siècle. Seules quelques œuvres
très simples sont de Guillaume de Machaut ou de ses contemporains. La
plupart, beaucoup plus complexes, sont de compositeurs — en partie
anonymes, en partie mentionnés — de la génération suivante, ayant servi
dans les cours de Foix et d'Aragon, au Palais des Papes d'Avignon ou
chez le Duc de Berry.
Seules les deux compositions de Baude
Cordier, un prédécesseur de Dufay, appartiennent par leur style et leur
notation à une époque plus tardive. Il s'agit de pièces dédiées à une
dame et des seigneurs. Notées sous forme de cœur et de cercle, elles
figurent en tête du vieux recueil, comme l'index d'ailleurs,
probablement dans le but de compenser la perte du premier fascicule. Ces
deux pièces sont les seules notées à la manière française, c'est-à-dire
avec des portées de cinq lignes, alors que toutes les autres sont
notées sur six lignes selon le système usuel dans les manuscrits
italiens. Le transcripteur devait être un Italien qui ignorait la langue
française. Les nombreuses erreurs, dans les textes français et dans la
musique, indiquent que les cinq fascicules du vieux recueil ont été
copiés d'après des originaux français d'un autre format, et avec des
portées de cinq lignes, visiblement par un scribe qui ne comprenait pas
ce qu'il copiait. Depuis Delisle, le manuscrit est considéré comme une
copie italienne d'un manuscrit français. De récentes mises en doute de
cette vieille hypothèse sont peu convaincantes car une inscription sur
la page de titre du manuscrit prouve que le livre a appartenu en 1461 à
la famille florentine de Francesco d'Altobianco degli Alberti, qui,
bannie de Florence, avait vécu pendant longtemps en France (*).
L'illustration
de la page 37, qui suggère une exécution purement vocale, correspond à
l'interprétation de la musique italienne autour de 1430, et non pas de
la musique française de la fin du XIVe siècle, où seule la voix
supérieure pourvue d'un texte était chantée, à la rigueur deux voix en
canon ou encore lorsque les deux voix avaient des textes différents.
Comme par exemple, reportons-nous à la Plainte sur la mort de Machaut
(1377) de F. Andrieu (nº 11), où la troisième strophe fait aussi appel
aux instruments :
Ploures rebebe, viele et ciphonie,
plasterion, tous instruments courtois.
L'interprétation
purement instrumentale avec des improvisations ornementées (comme nous
l'entendons dans les ballades anonymes n°3 et 12) correspond également
plus à une pratique italienne que française. La harpe de mellodie
de Senleches est pourvu d'un texte à la voix supérieure du canon ; dans
la transcription de Richard Hoppin (publiée en 1978) il en résulte un
beau virelai. Jacob de Senleches, dont on connaît quatre ballades et
deux virelais, était le principal maître de l'ars subtilior. En
1383, il fut harpiste au service du Cardinal Pedro de Luna, futur Benoît
XIII, le successeur tenace du premier Pape du schisme, Clément VIII.
Le
nom de Guido pourrait être identifié à Guido de Lange, chanteur de la
cour papale dont la présence à Avignon est déjà attestée avant le
schisme. Ses deux pièces furent probablement composées au début de l'ars subtilior
car leurs textes ironisants témoignent du point de vue du style et de
la notation, de voies nouvelles qui se détournent des vieux modèles.
Solage
est le principal maître du manuscrit. Son rondeau, écrit dans une
tessiture extrêmement basse, démontre quel niveau d'excentricité
harmonique pouvait atteindre le nouveau style. Solage pourrait avoir
fait partie des Fumeux (d'après Jean Fumeux), des bohémiens habillés de
façon extravagante et qui sont aussi glorifiés dans une œuvre de
Hasprois (n°47 du manuscrit).
Quant à Cunelier, dont la ballade
sur Gaston Fébus reprend la devise du prince comme poème dans le
refrain, il pourrait s'agir de Jacquemart le Cunelier de Tournai, connu
comme faiseur du Roi Charles V. Il acheva en 1387 sa chronique sur la vie du Connétable Bertrand du Guesclin. La ballade anonyme Toute clerté
est ici interprétée dans une version différente de toutes les
transcriptions publiées. Laurie Kœhler et moi-même la publierons
prochainement en tant que pièce avec accompagnement instrumental.
L'œuvre la plus complexe de cet enregistrement est En nul estat de Goscalch. L'auteur ne nous est connu que par cette ballade.
Plusieurs interprétations s'offrent pour le canon de Baude Cordier avec son accompagnement A la façon d'une caccia.
Celle de Gordon Greene proposée ici néglige la signification symbolique
du texte et de la notation en forme de cercle, dont le tour constitue
33 mesures. Le texte du rondeau s'adapte seulement en faisant violence à
la notation originale et en interrompant à plusieurs reprises la
circonférence du cercle.
Bele, bonne, sage, noté en forme
de cœur se caractérise par des imitations avec anacrouse, typiques du
début du XVe siècle. Les premières lettres de chacun des quatre premiers
vers forment en acrostiche le nom Baude.
Le style des
œuvres de Cordier se différencie clairement du répertoire plus tardif du
manuscrit qui est représenté ici par sept ballades, trois rondeaux et
un virelai, ce qui souligne donc la suprématie de la ballade au XIVe
siècle.
Ursula GÜNTHER
(*) Voir Musica Disciplina, vol. XXXVIII, 1984, de Ursula
Günther, "Unusual Phenomena in the Transmission of Late
Fourteenth-Century Polyphonic Music".
A
bien des égards, l'hermétisme de la musique de la fin du XIVe s. est
fascinant. Le musicien du XXe s. qui désire la faire revivre est tout
d'abord déconcerté, car l'impression première est confondue par le tissu
de complexité dont il faut parcourir les méandres pour atteindre la
réalité musicale.
La première difficulté à résoudre, et non des
moindres, est d'arriver à lire la notation musicale, l'une des plus
complexes qui soit. Elle constitue l'aboutissement d'une tradition issue
des spéculations de la fin du XIIe s. sur les proportions arithmétiques
du temps musical. Au cours des XIIIe et XIVe s., les musiciens
réussirent, en perfectionnant de plus en plus les systèmes de notation, à
se forger un outil permettant de noter les contours les plus
excentriques que puisse présenter une ligne musicale. Les règles
énoncées par les théoriciens ne sont pas sans rappeler parfois les
règles du jeu d'échec, d'un jeu de société on la perspicacité et
l'acuité intellectuelle des chanteurs était mise à l'épreuve.
Cependant,
aussi captivant qu'apparaisse aujourd'hui ce système de notation, le
but ultime de la recherche doit être de retrouver la qualité de
l'énergie sonore qui émanait de cette musique.
La pratique de la
musique savante se situait au carrefour de la transmission orale et
écrite. Il ne nous reste que l'écrit, mais pour les musiciens de ce
temps, l'élément oral était inhérent à la réalisation musicale. Les
musiciens se sentaient assez libres par rapport au texte écrit, et
n'hésitaient pas, lorsque l'occasion se présentait, à modifier, corriger
ou carrément transformer le texte reçu.
La frontière entre la
musique vocale et instrumentale n'était pas aussi tranchée que certains
voudraient le croire. L'usage d'instruments pour accompagner dépendait
plutôt de ce qu'on avait sous la main que de dogmes esthétiques.
Guillaume
de Machaut nous apprend que de son temps, les exécutants ne
considéraient pas une composition comme une entité intouchable, mais
comme le vecteur de leur créativité. Ceci explique la présence de
nombreuses erreurs non corrigées dans les manuscrits, car les musiciens
qui lisaient une version fautive avaient assez de métier pour la
corriger instantanément.
Pour saisir globalement le phénomène
exprimé par cette musique, il faut sans cesse avoir à l'esprit le goût
immodéré que cultivaient les artistes et les hommes de ce temps pour le
paradoxe. C'est peut-être à ce niveau que se situe la principale
difficulté de cette musique : retrouver, au travers d'un solfège
délibérément compliqué, la liberté et l'aisance initiale.
Ce fut,
au-delà de la virtuosité requise, notre principal souci. Faire sonner
la pertinence de cette musique, c'est-à-dire le ton juste qui résume à
la fois le naturel et la complexité, la noblesse et l'extravagance de
cet art hautement courtois.
Marcel PÉRÈS
The Chantilly Manuscript, Musée Condé 564, both
celebrated and notorious for the extremely complicated notation of the ars subtilior,
but also admired for the decorative aspect of some of its pages,
comprises, in the five fascicles of its old corpus, 70 Ballades, 17
Rondeaux, 12 Virelays and 13 isorhythmic Motets, all of them
compositions of the second half of the 14th century. Only some of the
more simple pieces are by Guillaume de Machaut or his contemporaries,
while most of the more complex works are either anonymous or by named
composers of the following generation who were in the service of the
Courts of Foix and Aragon, of the Papal Palace at Avignon, or of the
Duke of Berry.
Only the two compositions by Baude Cordier, a
predecessor of Dufay, are stylistically and in their technique of
notation, of a somewhat later period. They are dedicatory pieces for a
lady and a seigneur written in the shapes of a heart and a circle and
which were placed like the index at the beginning of the old corpus,
probably to replace the original first fascicle, which is missing. These
are the only two pieces written in the French system of the five-line
stave, whereas all the others, probably copied by an Italian who did not
know French, are on the six-line stave system usually found in Italian
manuscripts. The large number of errors in the French texts and mistakes
in the copying of the music lead to the assumption that the five
fascicles of the old corpus were copied original French five-line
stave manuscripts of a different format, obviously done by a copyist
who did not understand what he was copying. For this reason the
Manuscript has, since Delisle, been regarded as an Italian copy of a
French original. Recent doubts expressed concerning the veracity of
these early theories are not convincing, because an inscription on the
title page of the Manuscript proves that in 1461 the book belonged to
the Florentine family of Francesco d'Altobianco degli Alberti, which,
banished from Florence in 1401, had to live for a long time in France
(1).
The drawing in the margin of f. 37, which could suggest a
purely vocal performance of the music, is in accordance with the
execution of Italian music around 1430, but not of late 14th century
French music in which only the upper part was provided with a text and
was sung or, in the case of canonic performances or certain specific
texts like, for instance, E Andrieu's Lament on the death of Machaut of
1377 (No. 11), when there would be two sung parts. The third verse of
the latter piece also includes the following instruments : Ploures rebebe, viele et ciphonie, psalterion, tous instruments courtois.
Even
the purely instrumental peformance, with ornamental improvisations, as
in the anonymous Ballades No. 3 and No. 12, correspond more to the
Italian than the French practice. Senleches' La harpe de melodie
has a text in the canonic upper part and in the 1978 transcription by
Richard Hoppin is a melodious Virelay (Apel and Greene's version is not
credible, if for no other reason than the numerous dissonances in the
transcription of both text and form). Jacob de Senleches, by whom we
know four Ballades and two Virelays, was one of the leading masters of
the ars subtilior, and in 1383 we find him in service as a
harpist to Cardinal Pedro de Luna who, as Benedict XIII, became an
extremely obdurate successor to the first schismatic Pope, Clement VII.
The
two works by Guido could have been composedly Guido de Lange, who is
known to have been a papal singer even before the beginning of the
Avignon schism. They probably date from around the beginning of the ars subtilior,
because the ironical tone in the words of both pieces shows how
deliberately new directions in style and notation, differing from those
of the old models, were being established. Just how eccentric the new
style could be from a harmonic point of view as well, is shown in the
Rondeau by Solage, the principal master in the Manuscript. His piece is,
moreover, distinguished by its extremely low pitch. He is likely to
have been a member of the Parisian Fumeux, that group of ostentatiously dressed Bohémiens who named themselves after Jean Fumeux and are extolled also in apiece by Haspois (No. 47 in the Manuscript).
Cunelier,
in whose Ballade on Gaston Fébus the Prince's heraldic device appears
as Noëma in the refrain, could be identical with the Jacquemart le
Cunelier from Tournai who was celebrated as the faiseur of King Charles V, and who finished his Chronicle on the life of the Connetable Bertrand du Guesclin in 1387.
The anonymous Ballade, Toute clerté,
is performed in a version that differs from all other published
transcriptions, and that Laurie Kœhler and I will publish in the near
future as a piece with an instrumental accompaniment. The most complex
work on the record is En nul estat by Goscalch, who is known only by this one Ballade.
There are several solutions for Baude Cordier's caccia-like
accompanied canon. The one by Gordon Greene chosen here disregards the
symbolic significance of the text and the circular shaped notation,
which contains exactly 33 measures, is one complete cycle. The Rondeau
text can befitted to the notes only by violating the original notation
and repeatedly interrupting the canonic cycle. Imitations and a
typically early 15th century upbeat theme also characterize the
heart-shaped Belle, bonne, sage, of which the first four lines form an acrostic of the name Baude.
The sole of both of Cordier's pieces differs quite clearly from the
earlier repertory in the Manuscript, which is represented here by seven
Ballades, three Rondeaux, and one Virelay, thereby stressing the
privileged position of the Ballade in the 14th century.
Ursula GÜNTHER
(1) Cf. Musica Disciplina, vol. XXXVIII, 1984. U. Günther.
In
many respects the hermetism of the music of the late fourteenth century
is fascinating. The musician of the twentieth century who wishes to
revive it is at once disconcerted, for his first impression is
confoundedly the maze of complexities which must be explored in order to
reach the reality of the music.
The first and not the least of
the difficulties to be resolved is that of reading the musical notation,
which is of a rare complexity. It is the culmination of a tradition
stemming from the speculations of the late twelfth century on the
arithmetical proportions of musical time.
In the course of the
thirteenth and fourteenth centuries, musicians succeeded, by gradually
perfecting their systems of notation, in creating a tool which allowed
them to write down the most eccentric turns that a line of music could
take. The rules set out by the theorists sometimes recall the rules of
chess: here was a parlour game which tested the singers' perspicacity
and keenness of mind.
But, however enthralling this system of
notation may appear to us today, the ultimate object of our research
must be to rediscover the dynamic and the sonorities of this music.
The
practice of learned music was the point of contact between oral and
written transmission. We have only what was written, but for the
musicians of the period the oral element was in the music's realisation.
They felt they had considerable freedom in relation to the written
text, and did not hesitate, when the occasion presented itself, to
modify, correct or even entirely transform the received text.
The
borderline between vocal and instrumental music was not as firmly drawn
as some would like to think. The use of accompanying instruments
depended more on what happened to be available than on aesthetic dogmas.
Guillaume
de Machaut tells us that in his time performers did not consider a
composition as an untouchable entity, but as the vehicle of their
creativity. This explains the presence of numerous uncorrected errors in
the manuscripts, for musicians reading a defective copy had sufficient
expertise to correct it instantly.
In order fully to grasp the
phenomenon which this music expresses, we must constantly bear in mind
the extravagant taste for paradox cultivated by the artists of this
period and their contemporaries. Here, perhaps, lies the chief
difficulty: to go beyond a deliberately complicated system of notation,
back to the initial freedom and grace of the music.
Even more
than the achievement of the required virtuosity, this has been our
principal concern: to sound the appropriate tone for this music, the
tone which embraces the spontaneity and the complexity, the nobility and
the extravagance of this most courtly art.
Marcel PÉRÊS