De Amore. Le Manuscrit de Montpellier
Polyphonies françaises du XIIIe siècle / Ligeriana


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medieval.org

Calliope CAL 9360
septiembre de 2004
Abbaye royale de Fontevraud






01 - A Paris ~ On parole de batre · Mo 319    [1:39]
YL - tutti
02 - Benedicamus Domino · Mo 4    [1:34]
tutti - cloches
03 - Hoquet · Mo 5    [1:21]
tutti
04 - Je gart le bois · Mo 228    [1:55]
CM - EF, LP - harpe
05 - Hé monier! · Mo 252    [0:32]
YL - EF, CM, LP - vièle
06 - A Cambrai · Mo 49    [0:49]
YL - luth médiéval - percussions
07 - Prenez i garde ~ S'on me regarde · Mo 325    [1:29]
EF, LP - tutti - percussions
08 - Endurez les maus d'amer · Mo 248    [1:05]
KC - organetto - crwth
09 - Ne m'oubliez mie · Mo 236    [2:00]
KC - luth médiéval - crwth
10 - Haro! Je n'i puis durer ~ Ci mi tient li maus d'amer · Mo 161    [1:40]
YL - FC - harpe
11 - Amor potest conqueri ~ Ad amorem sequitur · Mo 328    [1:00]
tutti
12 - Ja pour longue demourée · Mo 247    [0:35]
cloches
13 - Mors morsu ~ Mors, que stimulo ~ Mors a primipatris vicio · Mo 35    [1:42]
tutti
14 - Quant je parti de m'amie · Mo 200    [2:07]
YL - Deux harpes
15 - La belle en qui je me fi ~ La bele estoile de mer · Mo 345    [2:40]
FC, CM, LP - tutti - vièle
16 - Ne sais que je die ~ Quant vient en mai · Mo 274 et 185    [2:42]
KC - CM - vièle
17 - Robin m'aime ~ Mout me fu grief · Mo 265    [3:04]
LP - tutti - luth médiéval - crwth
18 - Virgo virginum ~ Quant voi revenir · Mo 45    [2:05]
DF, EF, LP
19 - Qui d'amours se plaint · Mo 215    [2:19]
EF - tutti - harpe
20 - Hui main au doz mois de mai · Mo 184    [1:14]
FC - KC - harpe - percussions
21 - Hé! Berchier ~ Hé! Sire ~ Par un matinet · Mo 22    [3:06]
YL - FC. CM, LP
22 - Pensis, chief enclin · Mo 239    [1:28]
FC - luth médiéval - organetto
23 - Je langui ~ Pucelette · Mo 143    [1:59]
CM - tutti - crwth
24 - Moine qui a cuer jolif ~ Nonne sans amour · Mo 110    [1:54]
YL - CM - harpe
25 - Que ferai, biau sire Dieus? ~ J'ai les biens d'amours · Mo 138    [1:13]
CM - YL - harpe
26 - Lonc tans a ~ Amis ~ Dame que je n'os noumer · Mo 337    [1:33]
CM - KC - YL
27 - Trois serors sur rive mer · Mo 27    [2:07]
KC - LP - CM - FC - Viéle
28 - Hijus chori ~ Marie assumptio · Mo 322    [3:37]
tutti - DF - CM - cloches
29 - Post partum virgo ~ Ave, regina glorie · Mo 64    [0:45]
tutti - percussions



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LIGERIANA

Voix:
Katia Caré (KC), Florence Carpentier, (FC) Estelle Filer (EF),
Déborah Flornoy (DF), Caroline Montier (CM), Laure Pierredon (LP)

avec Yves Lenoir (YL): contre-ténor

Instruments:
Caroline Montier: organetto
Jean Luc Lenoi: viéle, crwth, harpe, jeu de cloches
Guy Robert: harpe, luth médiéval, percussion

Direction et recherches: Katia Caré


English liner notes



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Le manuscrit H 196 conservé a la Bibliothèque de l'École de Médecine de Montpellier est l'une des sources majeures des polyphonies françaises du XIIIe siècle: ses huit fascicules, auxquels ont travaillé de nombreux copistes, conservent plus de 330 compositions profanes ou religieuses témoignant de l'évolution des genres et des styles tout au long de cette période, depuis les organa et conduits de l'École de Notre Dame jusqu'aux motets tardifs, attribués pour partie a Pierre de La Croix. On distingue ainsi un corpus ancien, copié vers 1270 et représenté par les six premiers fascicules, d'un corpus plus tardif copié dans les deux derniers, respectivement à la fin du XIIIe siècle et dans les premières années du XIVe siècle. Ces fascicules se distinguent au premier abord par la disposition des voix sur les folios, mais aussi par le classement des pièces, principalement selon le nombre de voix et la langue des textes. Le fascicule II ne contient ainsi que des motets français à 4 voix, le fascicule V à 3 voix, et le fascicule VI à 2 voix; le fascicule IV ne contient que des motets latins à 3 voix, tandis que le fascicule III contient une dizaine de motets dont les voix supérieures chantent l'une en français et l'autre en latin (voir ici Mo 45). Corollaire de l'extension chronologique du répertoire, l'évolution de la notation rythmique est très visible et marque d'autres différences: certaines compositions sont dépendantes du système des modes rythmiques mais d'autres s'en écartent pour adopter progressivement une écriture et des règles de lecture plus précises des valeurs de notes. Enfin, le caractère des textes et leur mode d'association au sein de chaque composition sont très variables: on trouve des thèmes religieux (prières ou louanges à la vierge — Mo 322 —, glose sur la mort — Mo 35 —, ...) mais le plus souvent des sujets courtois, traités sur un ton plus ou moins personnel, dans un registre tantôt populaire tantôt plus raffiné, alternant l'expression de la joie et celle de la tristesse amoureuse; un ton moraliste n'est pas exclu, comme dans Mo 328 ou dans le duplum de Mo 274. Ces discours sont combinés de plusieurs manières: les voix peuvent s'accorder ou au contraire s'opposer, et certains motets sont entés (greffés) sur des refrains probablement préexistants. Les pièces présentées dans ce disque sont exemplaires de cette diversité qui touche non seulement la musique mais aussi les textes.

Les seules compositions n'appartenant pas ici stricto sensu au genre du motet sont le conduit Benedicamus Domino (Mo 4) et un hoquet sur la teneur portare (Mo 5). Aucun des deux ne comporte aux voix supérieures un texte distinct de celui du ténor, réduit a un ou deux mots. Le conduit ici représenté est assez simple: il s'agit d'une courte polyphonie dont les deux voix supérieures (duplum et triplum) ornent une mélodie de ténor en notes régulières. Ce petit verset, auquel devait répondre un Deo gratias, concluait les offices et parfois les messes. Le hoquet est un style de composition consistant à entrecouper de silences les voix supérieures, et souvent à les engager dans un jeu d'écho l'une avec l'autre. Parfois ciselées en valeurs très courtes, les notes du triplum alternent ainsi avec celles d'un duplum tirant parti, quant à lui, des contretemps: l'ensemble constitue une sorte d'ornement complexe, mais essentiellement rythmique, par différence avec les ornements mélodiques. Cette composition est en vérité un type particulier de clausule d'organum, c'est-à-dire un segment polyphonique rythmé, embellissant un mot précis du plain-chant. Toujours fondée sur un ténor grégorien, une clausule orne rarement plus d'un mot, parfois une seule syllabe, mais il pouvait exister plusieurs clausules différentes inventées sur un même ténor, probablement afin de pouvoir renouveler les insertions polyphoniques au sein d'un chant ou d'une composition plus vaste.

Le motet, genre majeur du XIIIe siècle particulièrement bien représenté dans le manuscrit de Montpellier, a précisément pour origine ces clausules d'organum sur les vocalises desquelles des mots ont été adaptés, d'où l'origine du terme. La voix appelée duplum dans l'organum a pris ainsi le nom de motetus, et celle de triplum s'est également vue attribuer un texte, la plupart du temps différent de celui du motetus; on rencontre plus rarement une quatrième voix (ici dans Mo 22, 27 et 35). Un motet est donc un genre fréquemment polytextuel fondé sur un ténor emprunté, et il se définira principalement comme tel jusqu'à la fin du XIVe siècle. Un certain nombre de motets sont pourtant à 2 voix, comprenant un seul texte chanté au-dessus du ténor; il est tout à fait possible que pour certains motets polytextuels, les textes n'aient pas été associés dés l'origine, mais ajoutés parfois successivement. Une même polyphonie peut aussi donner lieu à des contrafacta: elle peut avoir porté des textes latins d'abord, se trouver ensuite dans une autre source avec un seul texte français, et enfin être copiée ailleurs avec deux textes vernaculaires. Le motet 22 par exemple, qui comporte trois textes (avec une voix de quadruplum) ne se trouve à 4 voix que dans le manuscrit de Montpellier, où il figure aussi sans triplum, mais il est copié dans deux versions à deux voix dans deux autres sources: deux fois avec le motetus et le ténor et une fois avec le triplum et le ténor. Dans certaines pièces de cet enregistrement, on entendra les voix s'ajouter successivement les unes aux autres, ce qui permet d'écouter plus attentivement les différentes strates de la polyphonie, mais il est impossible de dire si ces compositions étaient autrefois interprétées de cette manière.

Fondement musical de la polyphonie, le ténor emprunté est souvent identifié par un mot, qui ne doit pas être chanté. Sa mélodie est souvent reprise plusieurs fois et se déploie en valeurs rythmiques plus simples que les voix supérieures, notes longues égales ou formules simples et répétitives conçues selon les modes rythmiques. Aucune indication instrumentale ne figure sur aucune des portées, mais cela n'exclut pas la possibilité d'employer des instruments, tout particulièrement pour le ténor.

La plupart des teneurs sont issues du chant grégorien mais il peut arriver que certains motets se fondent sur des mélodies profanes voire populaires. C'est le cas du motet A Paris / On parole (Mo 319) fondé sur une sorte de cri de Paris, Frese nouvelle et de A Cambrai (Mo 49), dont les textes sont par ailleurs assez grivois. C'est également une teneur profane, He mi enfant, qui soutient le motet 325 Prenez i garde / S'en me regarde, fondé sur le refrain d'un rondeau de Guillaume d'Amiens. Le motet 337 Lonc tans / Dame / Amis est tout à fait singulier: la teneur consiste en une véritable chanson dont le texte est aussi long que ceux des deux voix supérieures. Ces dernières forment en fait un dialogue entre l'amant et la dame, tandis que le ténor, locuteur plus extérieur, fait écho aux souffrances amoureuses énoncées par le triplum. Ce dispositif peu habituel de chanson à trois textes préfigure celui que Machaut adoptera dans sa ballade De triste cuer / Quant vrai amant / Certes je di (ballade n° 29), écrite environ un demi-siècle plus tard.

Certaines teneurs grégoriennes ont servi plus que d'autres de fondement à de nombreuses polyphonies. C'est particulièrement le cas du mélisme sur les mots in seculum qui sert de fondement au motet 138 ainsi qu'a une trentaine d'autres du manuscrit. Cette teneur est un fragment du verset du graduel de Pâques Haec dies, dont l'incipit sert lui-même de voix inférieure a plusieurs motets (Mo 45 et 184).

L'art du motet est aussi celui de la combinaison de textes. Certaines compositions intègrent par exemple des refrains (éléments poétiques et parfois musicaux) préexistants. C'est le cas par exemple des motets 22, 161, 228, 236 et 265. Mo 228 est un exemple de motet enté: le texte inventé de la voix de motetus se trouve serti entre les deux vers d'un refrain; Mo 161 emploie cette technique au motetus mais cite également le refrain au triplum au début, dont les deux vers sont chantés en chiasme avec la voix de motet.

Les textes chantés simultanément peuvent parfois être redondants, mais ils peuvent aussi se compléter, comme les trois méditations sur la mort de Mo 35. Ailleurs, les textes font entendre des discours contradictoires ou du moins exprimant des sentiments contraires, comme dans Mo 22 opposant à travers le dialogue d'un berger et d'un seigneur l'amour vulgaire et l'amour courtois, ou dans Mo 265 où la joie de la dame contraste avec la douleur de l'amant.

Ce jeu de combinaison de textes pouvait parfois prendre l'apparence d'une véritable dispute universitaire, témoignant du développement de ce répertoire dans les milieux de clercs cultivés, mais qui savaient aussi intégrer des éléments de traditions musicales et poétiques diverses, issues par exemple de chansons de trouvères voire d'un répertoire plus populaire.

Gilles Dulong



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