Jean MOUTON. Anna requiescat in pace / Ensemble Jacques Moderne
Déploration sur la mort d'Anne de Bretagne · Motets


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medieval.org
Ligia 0202122-03
2003







01 - Quis dabit oculis nostris  [7:35]
chœur & violes

02 - O pulcherrima mulierum  [3:17]
violes de gambe

03 - Costanzo FESTA. Maria virgo prescripta Angeli  [4:23]
C. Greuillet, F. Bétous, P. Froeliger & violes

04 - Maria virgo semper laetare  [5:50]
chœur a capella

05 - Nobilis progenie  [3:18]
E. Parat & violes

06 - O Maria virgo pia  [6:45]
chœur & violes

07 - O Christe redemptor  [6:16]
1ère partie: C. Greuillet & violes
2e partie: chœur & violes


08 - Magnificat  [13:33]
chœur a capella

09 - Nesciens Mater virgo virum  [3:16]
chœur a capella




ENSEMBLE JACQUES MODERNE
Joël Suhubiette

Soprano:
Catherine Greuillet
Edwige Parat

Alto:
Sophie Toussaint
Frederic Bétous
Jean-Paul Bonnevalle
Raoul Le Chenadec

Ténor:
Pascal Bezard
Philippe Froeliger
Thierry Peteau
Benoît Porcherot

Basses:
Didier Chevalier
Jean-Luc Rayon
Emmanuel Vistorky

Consort de violes:
Sylvia Abramowicz
Florence Bolton
Sylvie Moquet
Martin Bauer




Lidi 0202122-03 DDD
Direction artistique: Olivier Vernet
Enregistrement et montage numérique: Eric Baratin
Église Notre-Dame de Sancerre, 28.09 - 1.10.2002
Ligia Digital, 2003

Couverture:
Armes de Louis XII et Anne de Bretagne ajoutées frauduleusement en frontispice du
"Livre d'Heures à l'usage de Rome" (XVe siècle) par le bibliothécaire de Philippe de Béthune,
propriétaire du manuscrit au XVIIe siècle.

Distribution: Harmonia Mundi


English liner notes



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Jean Mouton - Motets et Magnificat

"Maistre Jehan de Hollingue, dit Mouton", comme indiqué dans une épitaphe aujourd'hui disparue, est né à une date encore inconnue (vraisemblablement autour de 1460) vers Samer, bourgade proche de Boulogne-sur-Mer. C'est à l'église collégiale Notre-Darne de Nesle, proche de Péronne, que nous le trouvons "écolâtre chantre" en 1477. Six ans plus tard, il en devient le maître de chapelle et accède à la prêtrise. De trop rares documents d'archives nous apprennent encore que Jean Mouton a été rétribué à Saint-Orner durant l'année 1494-95 comme copiste et chanteur à la cathédrale. Nous le retrouvons en 1500 à Amiens comme "maistre des enffans", où il organise la représentation théâtrale des Mystères. Toujours en charge de l'éducation musicale des enfants, il est employé l'année suivante à l'église collégiale Saint-André de Grenoble. C'est peut-être pendant la visite d'Anne de Bretagne et de son mari, le roi de France Louis XII, en juin 1502 dans cette ville que Jean Mouton intègre, comme chantre, la chapelle de la duchesse et reine. Il en deviendra maître de chapelle en 1510, poste qu'il conservera jusqu'à sa mort. En 1509, elle intercède pour que le musicien ait à Grenoble, comme chanoine, un bénéfice ecclésiastique "in absentia", c'est à dire sans obligation de résidence. Après la mort d'Anne de Bretagne en 1514, il rejoint la chapelle du roi et servira donc Louis XII puis François Ier. Titulaire d'autres bénéfices, il se retire à la fin de sa vie dans son canonicat de Saint-Quentin on il meurt le 30 octobre 1522. Il y est enterré, l'épitaphe précisant: "en son vivant chantre du roy, chanoine de Thérouane et de cette église".

Si l'homme a peu laissé de trace dans l'histoire sociale, le compositeur occupe une place privilégiée dans celle de la musique avec une œuvre importante: 25 chansons, 9 Magnificat, 15 messes et environ 100 motets. C'est, dans ce dernier genre, un des auteurs les plus prolifiques des premières décennies du XVIe siècle.

Musicien actif avant les débuts de l'imprimerie musicale, son œuvre est diffusée essentiellement sous forme manuscrite. Aujourd'hui, environ un quart de sa production nous est parvenu par une seule source alors qu'un certain nombre l'est par une quinzaine. Ces deux extrêmes posent, tout autant l'un que l'autre, la question de la réelle paternité de ces pièces à Jean Mouton. Le motet O pulcherrima mulierum, interprété ici par un quatuor de violes de gambe, est attribué à Jean Mouton dans un manuscrit (Barcelone Ms 454) mais à Festa dans un autre (Bologne R 142) ainsi qu'à Févin (Vienne Mus. 15941). Anonyme dans plusieurs autres sources, ce motet est également présenté d'une manière inverse: la dernière partie devenant le début. L’œuvre est alors repérée sous le titre Descende in hortum meum...

De nombreux textes de motets sont à destination d'une liturgie plus spécifiquement mariale. Empruntant au fonds textuel et musical traditionnel du plainchant (notamment dans les antiennes, séquences ou hymnes comme O Virgo...), Jean Mouton use d'une écriture délicate, contrapuntiquement plus simple, influencée par la laude italienne. Dans la première partie de O Maria virgo pia, l'invocation répétée 5 fois sobrement mais différemment à 4 voix encadre des passages en bicinium aigus ou graves soulignant la ductilité du propos. L'évocation de "Deo grata" dans la deuxième est rehaussée par une discrète prolation ternaire. Dans le motet Maria virgo semper laetare, il incruste le timbre du Salve regina dès le début à la voix du Superius; l'écriture, binaire et très souvent homophonique, laisse place à des passages en bicinium plus volubiles et démonstratifs. Pour souligner la dernière volonté ("ora pro nobis ad Dominum...') tout en restant à quatre voix, là aussi, le compositeur sollicite la perfection du ternaire. L'écriture du Nesciens Mater virgo est remarquable et relativement rare dans ce répertoire. Alonso Lobo, mais bien plus tard à la fin du siècle, rééditera ce cas de figure avec un Ave Maria. Il s'agit d'un quadruple canon a deux parties chacun, basé en partie sur le plain-chant. Les quatre voix du conséquent sont à la même distance de leurs sujets respectifs mais la similitude des motifs musicaux, les hauteurs différentes des réponses empêchent de réduire l’œuvre à un double chœur. Les voix entremêlées, à l'instar des plus belles arcatures flamboyantes, ont toute l'indépendance requise pour évoquer le "lait céleste du roi des anges".

S'il compose pour des liturgies spécifiques - Nobilis progenie présenté dans ce programme évoque Saint François et sûrement la mémoire du père d'Anne: François II -, Jean Mouton écrit également des motets pour des événements politiques ou officiels. Versant sacré de la chanson de Janequin célébrant la bataille de Marignan, il compose pour l'occasion Exalta regina Gallicae et fêtera le couronnement de ce roi avec son Domine, salvum fac regem.

Deux autres pièces proposées dans ce disque sont en résonance avec la vie privée d'Anne de Bretagne. O Christe redemptor est un texte explicite lié à un mariage royal ("Donne au roi la prospérité, à la reine la fécondité"), sans doute celui de leur fille Claude de France. Il se distingue par une écriture alerte avec ses intervalles de quinte. Le motet funèbre Quis dabit oculis nostris, ultime révérence musicale de plusieurs musiciens à celle qui sut si bien les protéger, est explicitement lié à la mort d'Anne de Bretagne survenue le 9 janvier 1514. Jean Mouton déroule une sobre polyphonie dans le mode phrygien (mi), celui de la déploration. Constanzo Festa, diantre à la cour de France à cette époque, composera également sur ce texte une déploration aussi sensible que les précédentes. Cette version remaniée par Ludwig Senti servira d'ailleurs pour les obsèques de Maximilien en 1519 avec qui Anne de Bretagne aurait dû se marier en 1490 si Charles VIII ne l'avait devancé.

Le motet Maria virgo prescripta Angeli est révélateur du métier et de l'intérêt de Costanzo Festa pour les pièces mariales. A cinq voix, cette polyphonie conjugue simultanément trois textes liturgiques, deux d'entre eux ("Angeli Archangeli" et "Salve sancta parens") étant exposés en cantus firmi aux deux parties de Tenor.

Parmi les 9 Magnificat, celui dans le sixième ton est le seul à présenter les douze versets en polyphonie. Ordinairement et tout au long du siècle, ils sont chantés selon le principe de l'alternatim. Jean Mouton renforce cette dimension solennelle dans les derniers versets par une texture à cinq et six voix ainsi que par la mise en valeur de la teneur liturgique à l'une ou l'autre voix, l'exposant une dernière fois en canon aux deux voix graves dans le verset final.

Si un tiers seulement de son œuvre est édité de son vivant - le premier imprimeur de musique, le vénitien Petrucci lui consacrera un recueil entier de messes, signe de sa célébrité - certaines compositions de Jean Mouton continueront à être imprimées une cinquantaine d'années après sa mort. Les presses d'Adrian Le Roy et Robert Ballard fourniront ainsi, en 1555, une collection posthume de 21 motets.

La préface latine d'Adrian rappelle que l'art de Jean Mouton était apprécié du pape
Léon X et que François Ier était particulièrement sensible à sa voix claire et a ses œuvres:

... Ioannis Mouton Sameracensis (cujus ars Leoni X. Pont. Max. Summe probata fuit, vox autem et opera clarissimo Regi Francisco, inter cujus symphonetas habitus est, placuerunt)...
... sic Mutonis, (quem, dum viveret, in aula Francisci Regis suavissime modulantem audire potuisti)...


Qu'il puisse en être encore de même aujourd'hui pour l'auditeur ne serait que rendre justice à un compositeur renommé en son temps, cité par Rabelais, Glaréan ainsi que par le compositeur Pierre Moulu qui, dans le motet Mater floreat résume ainsi l'admiration pour l'homme et sa fonction à la cour: "Mouton cum velle aureo, date gloriam regi et regine".

Jacques BARBIER,
Université de Tours
Centre d'Etudes Supérieures de la Renaissance