Guillaume de MACHAUT. Le Remède de Fortune
Motets · Rondeaux · Virelais / Ensemble Guillaume de Machaut



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Adès 14.077-2, 1975-1977
Selección de la caja de 3 LPs Adès COF 7078

Le Remède de Fortune también como LP individual:
Alvarès C 499 / Adès 680







01 - motet. «Felix virgo ~ Inviolata genitrix» [3:02]
2 hautes-contre, cromornes, bombardes, orgue portatif, luth, rebec

02 - virelay. «Comment qu'a moy lointeinne» [5:21]
haute-contre, flûtes a bec, luth arabe, vièle, percussions

03 - motet. «Bone pastor Guillerme» [2:09]
2 hautes-contre, cromorne, vièle, orgue portatif

04 - rondeau. «Ma fin est mon commencement» [5:59]
haute-contre, rebec, flûtes traversières, orgue portatif, luth



LE REMÈDE DE FORTUNE

05 - 1. introduction instrumentale. «De toutes flours» [2:09]
variations du Codex Faenza sur une ballade de Machaut
luth soprano, luth ténor, cromorne, rebec

06 - 2. lay ou dit. «Qui n'aroit autre deport» [14:15]
luth arabe, guitare mauresque, vièles, flûtes traversières et à bec, percussions

07 - 3. complainte. «Tels rit au main qui au soir pleure» [6:59]
guitare mauresque, luth, vièles, flûte à bec

08 - 4. chanson roiale. «Joie, plaisance et douce norriture» [3:50]
vièle, flûte à bec, luth arabe, guitare mauresque, percussions

09 - 5. ballade. «Dame de qui toute ma joie» [4:40]
luth soprano, luth, rebec, cromorne, flûte à bec

10 - 6. Poème - Estampie [3:30]
estampie aux instruments · saltarelle anonyme du XIVe siècle
vièle, flûte à bec, guitare mauresque, luth arabe, percussions

11 - 7. virelay (chanson baladée). «Dame a vous sans retollir» [3:35]
vièle, guitare mauresque, flûte traversière, cloches

12 - 8. balladelle. «En amer a douce vie» [3:21]
rebec, guitare mauresque, luth, flûte traversière

13 - 9. rondelet. «Dame, mon cuer» [3:52]
cromorne, vièle, luth, flûte à bec



Jean Belliard, haute-contre, récitant, percussions
Bernard Huneau, flûtes traversièrere, flûte à bec, cromornes
Elisabeth Robert, luth arabe, luth, orgue portatif
Guy Robert, luth,guitare mauresque, percussions
Julien Skowron, vièles, rebecs

avec la participation de:

Alain Zaepffel, haute-contre (motets)
Jean-Claude Veilhan, bombardes




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De gauche à droite: Julien Skowron, Bernard Huneau, Jean Bernard, Elisabeth et Guy Robert.


Guillaume de Machaut qui compte sans aucun doute parmi les quelques figures de premier plan de l'histoire musicale du Moyen-Age, paradoxalement n'est pas ce qu'on nomme un musicien de profession, terme auquel la situation d'un Philippe de Vitry, son contemporain, adhérerait plus sûrement. La création musicale ne mobilise pas la totalité de ses forces, mais croît plutôt comme une branche de ces arts libéraux, de ce quadrivium, dont on a nourri son adolescence studieuse, au même titre que la poésie et la géométrie, dans un ensemble cohérent qui satisfait A l'équilibre spirituel de l'intellectuel médiéval. Il cultive ce domaine parallèlement à son grand œuvre poétique: les étapes de la connaissance affermissent, au-delà d'un déchiffrage partiel du monde, l'appréhension globale, par le nombre, le verbe, le son, d'un univers trop limité dont le mystère peu discutable tient tout entier dans le concept théocentriste.

Né presqu'avec le siècle, aux environs de 1300; voué tôt au canonicat dont les bénéfices honnêtes mais substantiels lui assurent le nécessaire en ces temps d'incertitude, ce champenois fidèle à la province qui le verra mourir 76 ans plus tard, n'en parcourera pas moins les terres civilisées en allées et venues à la suite d'aventuriers de droit divin. Cet humaniste de souche rurale, méticuleux dans ses relations comme dans l'édification de son œuvre, sourcilleux en ce qui touche à son indépendance, nullement servile, aimant autant la vie qu'il déteste l'opportunisme, passe une grande partie de son existence dans l'errance songeuse; poursuivant, sur un fond de bouleversement social, de désordres tout comme de catastrophes de nature, le rêve obstiné des créateurs de l'esprit. La crise féodale, les transformations de la monarchie pas plus que les ravages de la Peste Noire n'affectent une démarche tout entière tournée vers la spéculation des formes pures et la découverte heureuse. Elles sont chez lui le fruit d'une réflexion sur un héritage restreint mais tangible, une matière vivante que son génie ordonne et développe de façon concertée, en toutes ses éventualités. Dans ces limites, dans un contexte historique d'effervescence stagnante et avec les moyens dont il dispose, il va explorer ce que lui transmet la tradition. Avec une maîtrise superbe, fixer les traits les plus durables de l'Ars Nova et, au-delà, imposer une certaine idée des rapports du créateur avec sa création. Son œuvre volumineuse dont les trouvailles et les conquêtes brideront les formes jusqu'à la Pléiade, dominant aisément un siècle peu encombré de vrais poètes, est placée, comme l'indique l'auteur dans son Prologue général, sous le triple empire du «Sens, de la Rhétorique et de la Musique». Son instinct inné de la construction le porte à concevoir la pièce à forme fixe comme un objet clos et achevé. Destinés à être chantés, les textes dans ces cas sont parfois dénués d'intérêt véritable, mais c'est au profit d'une virtuosité verbale, du pur jeu des sons, de l'indépendance du dire vis-à-vis de la chose dite.

Michel Bernard


Le Motet religieux ou profane n'est pas un genre nouveau mais le 14e siècle le portera à son apogée. Les Motets de Machaut sont toujours à deux voix de chant portant chacune un texte différent, écrite en contrepoint sur une teneur simple: Bone Pastor, ou double: Felix Virgo. Cette teneur est le plus souvent d'origine liturgique et vouée aux instruments.

Les Rondeaux, comme les Ballades, sont écrits en général en polyphonie libre, mais une exception remarquable est offerte par le rondeau: Ma fin est mon commencement, écrit en canon rétrograde (à l'écrevisse) et dont le texte curieux joint l'allégorie à l'anecdote, puisqu'il explique la construction de la pièce. Les manuscrits n'en proposent qu'une version tronquée: la partie inférieure est apparemment inachevée et la partie chantée est complète; pour l'exécuter, il suffit à celui qui prend le bas de rejouer sa partie à l'envers et à un troisième de jouer la partie du chanteur à l'envers également, et le rondeau devient complet!

Le contraste est flagrant entre cette «musica speculativa», pour reprendre le titre d'un traité de l'époque, et les Virelays. Ces «Chansons baladées que l'on claime virelays» sont en général des chefs-d’œuvre de finesse mélodique: Comment qu'a moy en est un exemple parfait.

Guy Robert

LE REMÈDE DE FORTUNE

Ce qui révèle plus sûrement le tempérament profond de Machaut, ce sont ces grands «Dits» narratifs qui jalonnent sa production. Ils restituent, à travers l'habituel fatras des conventions, une chronique attachante du temps et des mœurs ainsi que les éléments d'une biographie sentimentale du poète qui envahiront, à l'automne d'une vie, le célèbre «Voir-Dit», bâti des pierres palpitantes d'une passion partagée avec Péronne, jeune pucelette d'Armentières.

«Le Remède de Fortune», lui, dont la composition remonte aux alentours de 1356, est un de ces Dits allégoriques, nourri d'une fiction qui se souvient du passablement misogyne «Roman de la Rose», dont l'emblématique se mêle au monde personnel de Machaut; dramaturgie héritée du «jeu-parti», réduite à deux personnages principaux dont l'un est constamment évoqué et invoqué, sans apparaître verbalement: la femme, l'élue, l'aimée, l'objet de ce long poème de plus de 4000 vers.

Le poète raconte son amour pour une certaine Dame assez inaccessible pour qu'il n'ose se déclarer. Mais «Espérance» est là qui le conforte tant et si bien qu'il se trouve invité au Château de la dite dame. Celle-ci à qui la passion de son hôte n'a pas échappé, feint l'indifférence pour ne pas donner prise, soit disant, à la médisance. Feinte peut-être, mais ne soupçonnerait-elle pas plutôt les pièges de la séduction? L'amant s'exile, non sans laisser son cœur en gage, ainsi que le proclame le Rondelet final.

Le poème relate cette longue pérégrination du cœur, admoneste, jubile, moralise, mais ne manque pas de relever, à l'occasion, des topographies révélatrices et des inventaires précieux, tel celui des instruments dont se servent les musiciens pour sonner l'estampie. Vergers et châteaux, lieux clos qui détiennent les clés d'une rhétorique codée dissimulant la réalité des sentiments, car l'amour courtois ne s'assume plus comme une éthique agissante mais comme une quête spéculative. La femme n'y est qu'enjeu, proie muette, objet. Le remède enfin de l'emblématique Fortune, signe usé, puise ses consolations chez Boèce, dans les retraites d'une morale de la sagesse et des richesses vraies.

Sur le plan de la forme, «Le Remède de Fortune» apparaît comme un art de «poétique musicale», ramassé en 7 pièces de structures et de dimensions diverses. Autour de l'axe de la Chanson Royale se répartissent le passé et le présent à la lumière de la pratique nouvelle. Le Lai: «Qui n'aroit autre deport» et la Complainte: «Tels rit au main qui au soir pleure», tous deux monodiques dans la lignée des Trouvères, sont traités là à la façon de la nouba de l'Islam, avec une participation instrumentale qui vitalise et exhorte la déclamation lyrique. Vient la Chanson Royale: «Joie, Plaisence», marquant le point crucial où l'art nouveau forgera désormais toute musique. Puis s'échelonnent une Ballade: «Dame de qui toute ma joie», une Balladelle: «En amer a douce vie» et un Rondelet: «Dame, mon cœur». L'invention de Machaut y taille dans le cristal des vocalises, l'étagement des voix jusqu'aux limites du vertige. Seul, le tour plus populaire, plus «chansonné» d'un Virelay: «Dame, à vous», nous ramène, en chemin, vers des sources d'où coule plus de spontanéité. Deux pièces instrumentales, dans la présente réalisation, ont été ajoutées à seule fin d'introduction (chanson) et d'illustration anonyme (saltarello). En guise d'ouverture, cette chanson: «De toutes flours», dans le contrepoint orné tel que nous le propose le Codex Faenza et auquel on a associé le «cantus» original de Machaut, impose une idée polyrythmique qui suggère en raccourci vertical, les différentes «respirations» de l'œuvre. Étonnant génie, faisant le compte du passé pour ébaucher l'avenir.

MICHEL BERNARD
— extrait du texte paru dans le livret d'origine (coffret de 3 disques microsillons)—



ENSEMBLE GUILLAUME DE MACHAUT DE PARIS
Constitué en 1973, l'Ensemble Guillaume de Machaut de Paris se compose d'un chanteur et de quatre instrumentistes qui se sont intéressés, tant par le choix de leurs instruments que par leur goût personnel, à l'interprétation des œuvres médiévales, sans négliger pour autant cette grande période de la polyphonie qu'est la Renaissance.
L'Ensemble prête une grande attention à la fusion totale qui existait entre le texte et la musique au Moyen-Age et s'attache ainsi à faire revivre la profonde motivation poétique qui, par delà le raffinement des sonorités, présidait à. toute œuvre musicale de cette période.



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