Fons Luminis. Codex Las Huelgas / Ensemble Gilles Binchois
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Evidence EVCD051
2018
FONS LUMINIS
Cet enregistrement commence par « Rex obiit » [1],
déploration (planctus) pour la mort du fondateur du
monastère : Alphonse VIII de Castille (1158-1214).
Allefonsus rapitur ad celi gloria[m]. Fons aret et moritur donandi copia.
Chaque année, le six octobre, jour de l'anniversaire de sa
mort, des religieux de toute la région se rendaient à Las
Huelgas pour célébrer son fondateur. Parmi les consignes
stipulées pour ce jour-là : un psautier complet devait
être dit à sa mémoire, les cloches étaient
interdites soit aux Vêpres soit à la Messe et
l'église restait ouverte pour que le peuple puisse venir
se recueillir sur les tombeaux royaux (en 1253 le Pape accorda un an
d'indulgence aux fidèles qui s'y rendaient le jour
anniversaire de la mort des rois). Le reste de l'année,
les moniales devaient leur consacrer des prières de façon
quotidienne.
Primogenitus Marie, virginis matris, Ad Marie gloriam, Mariam santificans,
Mariam gubernans, Mariam coronans
Dans le trope du Sanctus
(composé sur le 3e mode rythmique), la Mère du Christ est
encore mise en avant : « Ô Marie, pieuse mère,
réjouis-toi avant tout d'un si illustre fils »
tandis que le trope d'Agnus Dei
[6], qui utilise un rythme syllabique, se concentre sur la figure du
Christ, le « bien-aimé » des moniales –
« dulcis consolator, O pacis amator, O bonorum dator ».
Heu miser !
Le Sanctus tropé « Veni redemptor gencium
» [8] est une supplique à Dieu – « Viens,
rédempteur des nations, vie des vivants, consoler nos
gémissements. Affermis nos âmes dans la foi ». Il
intègre aussi, comme pour les monodies non mesurées du
manuscrit (par exemple le planctus
initial du disque), des indications rythmiques telles que
l'utilisation de longues, brèves ou semi-brèves, de
pliques ou de longa florata (ornement mettant en valeur une note par
une « flos », vibration sur le même degré).
in manus tuas domine commendo spiritum
et à côté, une silhouette agenouillée montre
ledit rotulus. Une main divine semble bénir le livre juste en
face de ce personnage. La tradition manuscrite montre souvent le
copiste offrant son travail au Tout-Puissant. En voyant ce dernier
folio, je ne peux qu'imaginer l'ensemble Gilles Binchois,
représenté par cette silhouette agenouillée, nous
offrant ce cadeau merveilleux : la beauté de ces pièces
et leur interprétation par la voix de ses chanteurs.
Paloma Gutiérrez del Arroyo
Références bibliographiques :
Dominique Vellard
Glossaire
FONS LUMINIS
This recording begins with “Rex obiit” [1], a lament (planctus)
on the death of the founder of the monastery: Alfonso VIII of Castile (1158-1214).
Allefonsus rapitur ad celi gloria[m]. Fons aret and moritur donandi copia.
Every year, on October 6th, the anniversary of his death, religious
from all over the region would go to Las Huelgas to celebrate their
founder. Among the instructions stipulated for that day we find that a
complete psalter was to be read in his memory, the ringing of bells was
forbidden either at Vespers or at Mass, and the church remained open so
that the people could come and pray by the royal tombs (in 1253 the
Pope granted a year's indulgence to the faithful who went there
on the anniversary of the kings' deaths). During the rest of the
year, the nuns were to dedicate prayers to them on a daily basis.
Primogenitus Marie, virginis matris, Ad Marie gloriam, Mariam santificans, Mariam gubernans, Mariam coronans
In the Sanctus trope (composed
in the 3rd rhythmic mode), the Mother of Christ is again to the fore:
“O Mary, pious mother, rejoice above all at such an illustrious
son” while the trope of the Agnus Dei [6], which uses syllabic rhythm,
focuses on the figure of Christ, the “beloved” of the nuns - “dulcis consolator,
O pacis amator, O bonorum dator”.
Heu miser!
The troped Sanctus “Veni redemptor gencium”
[8] is a supplication to God - “Come, Redeemer of the nations,
life of the living, comfort our groaning. Strengthen our souls in
faith.” It also includes, as with the manuscript's
unmeasured monodies (e.g. the disc's opening planctus),
rhythmic indications such as the use of longae, breves or semi-breves,
plicae or longa florata (an ornament highlighting a note by a “flos”,
a vibration on the same pitch).
in manus tuas domine commendo spiritum
And next to it, a kneeling silhouette shows the said rotulus. A divine
hand seems to bless the book just across from this figure. The
manuscript tradition often shows the copyist offering his work to the
Almighty. Seeing this last folio, I cannot but imagine the Ensemble
Gilles Binchois, represented by this kneeling silhouette, offering us
this wonderful gift: the beauty of this program and its performance by
the voices of the singers.
Paloma Gutiérrez del Arroyo
Bibliographical references:
Dominique Vellard
Glossary
1. Rex obiit et labitur [1:57] Planctus
Hu 169
VOIX FÉMININES
2. Casta catholica / Da dulcis domina [2:31] Conductus à deux voix
Hu 134
VOIX FÉMININES
3. Kirie, fons bonitatis [2:03] Kyrie tropé à deux voix
Hu 3
VOIX MASCULINES
4. Gloria, spiritus et alme [5:43] Gloria tropé à trois voix et plain-chant alterné
Hu 6
VOIX MASCULINES
5. Sanctus, cleri cetus psallat letus [4:03] Sanctus avec trope à deux voix
Hu 14
VOIX FÉMININES
6. Agnus dei, o Jhesu salvator [3:29] Agnus en plain-chant avec trope à trois voix
Hu 20
VOIX FÉMININES
7. Audi pontus, audi tellus [2:54] Conductus monodique
Hu 161
Y. SATO | Ch. BOIRON
8. Sanctus, veni redemptor gencium [3:21] Sanctus tropé
Hu 164
VOIX FÉMININES | VOIX MASCULINES
9. Bonum est confidere [2:59] Conductus monodique
Hu 162
D. VÉLLARD | G. SCHIAVO
10. Mater patris et filia [5:33] Conductus à trois voix
Hu 154
VOIX FÉMININES
11. Plange castella misera [2:59] Planctus
Hu 172
VOIX FÉMININES
12. Quod promisit ab eterno [6:29] Conductus à deux voix
Hu 146
VOIX FÉMININES
13. Omnium in te Christe credencium [1:15] Conductus monodique
Hu 159
G. CANTARINI | D. VÉLLARD | G. SCHIAVO
14. Claustrum pudicicie / Virgo viget melius / Flos filius [1:01] Motetus à trois voix
Hu 126
D. VÉLLARD | G. SCHIAVO | C. SADEK
15. De castitatis thalamo [1:33] Conductus à deux voix
Hu 145
VOIX MASCULINES
16. Benedicamus Domino cum cantico [1:58] Benedicamus à trois voix
Hu 29
VOIX MASCULINES
17. Virgo virginum [2:10] Motetus à deux voix
Hu 112
A. DELAFOSSE | Y. SATO | Ch. BOIRON
18. Iocundare plebs fidelis [4:35] Prosa
Hu 67
VOIX FÉMININES | VOIX MASCULINES
19. O Maria maris stella / O Maria dei cella / [Veritatem] [1:28] Motetus à trois voix
Hu 137
G. CANTARINI | G. SCHIAVO | C. SADEK
20. O Maria virgo davitica / O Maria maris stella / [Veritatem [1:36] Motetus à trois voix
Hu 104
Y. SATO | A. LABLAUDE | Ch. BOIRON
21. Benedicamus Domino [4:57] Organum à trois voix
Hu 144
VOIX MASCULINES
ENSEMBLE GILLES BINCHOIS
Direction DOMINIQUE VELLARD
ANNE DELAFOSSE — 1, 2, 5, 6, 8, 10, 11, 12, 17, 18
YUKIE SATO — 1, 2, 5, 6, 7, 8, 10, 11, 12, 17, 18, 20
ANNE-MARIE LABLAUDE — 1, 2, 5, 6, 8, 10, 11, 12, 18, 20
CHRISTEL BOIRON — 1, 2, 5, 6, 7, 8, 10, 11, 12, 17, 18, 20
GIOVANNI CANTARINI — 3, 4, 8, 13, 15, 16, 18, 19, 21
DOMINIQUE VELLARD — 3, 4, 8, 9, 13, 14, 15, 16, 18, 21
GIACOMO SCHIAVO — 3, 4, 8, 9, 13, 14, 15, 16, 18, 19, 21
CYPRIEN SADEK — 3, 4, 8, 14, 15, 16, 18, 19, 21
Enregistré par Little Tribeca en la Basilique de Vézelay du 18 au 23 septembre 2017
Direction artistique : Dominique Vellard et Clément Rousset
Prise de son, montage, mixage et mastering : Clément Rousset
English translation by Peter Bannister
Traduction française des textes chantés : Anne-Marie Lablaude et Giovanni Cantarini
English translation: Dennis Collins
Photos © Stéphanie Hammarstrand
Couverture © L'Annonce faite à Marie, Fra Angelico (ca. 1431-1433 - Detroit Institute of Arts)
Design © 440.media
℗ Ensemble Gilles Binchois 2017 | © Little Tribeca 2018
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L'Ensemble Gilles Binchois est conventionné par le Ministère de la Culture et de la
Communication – DRAC Bourgogne-Franche-Comté – et bénéficie du soutien du Conseil
Régional de Bourgogne – Franche-Comté et de la Ville de Dijon.
MÉCÉNAT MUSICAL SOCIÉTÉ
GÉNÉRALE, mécène principal de
l'Ensemble Gilles
Binchois.
Le programme « Fons Luminis » a
bénéficié du soutien de la Cité de la Voix
de Vézelay lors
de sa création et de son enregistrement.
L'Adami a apporté son soutien à cet enregistrement.
L'Adami gère et fait progresser les droits des artistes-interprètes en France et dans le monde.
Elle les soutient également financièrement pour leurs projets de création et de diffusion.
Manuscrit du monastère Santa Maria la Real
de Las Huelgas
Le monastère cistercien féminin de Las Huelgas Reales
fut fondé à la fin du XIIe siècle près de Burgos par
Alphonse VIII de Castille et son épouse, Aliénor
Plantagenêt (fille d'Aliénor d'Aquitaine). Doté d'un
riche patrimoine et habité dès sa fondation par des
moniales d'origine noble, ce monastère est devenu
très tôt le plus important des monastères féminins du
royaume de Castille et Léon. Il jouissait de pouvoirs
comparables à ceux de l'abbaye de Fontevraud. C'est
là que sont enterrés Alphonse et Aliénor, et qu'eut lieu
le couronnement d'Alphonse XI et Marie de Portugal
en 1331. L'abbesse de Las Huelgas était sous l'autorité
directe du Pape.
Le manuscrit, connu sous l'appellation de « codex
Las Huelgas », dont la copie a été récemment datée
des années 1340, rassemble 186 chants liturgiques et
paraliturgiques (organa à deux et trois voix ; conduits à
une, deux ou trois voix ; motets à deux, trois ou quatre
voix et proses à 1-2 voix) dont quelques-uns, les plus
anciens, faisaient certainement partie du répertoire
du monastère depuis plus d'un siècle. On y trouve
des unica (pièces sans concordances dans d'autres
sources), des pièces ayant des concordances seulement
dans d'autres manuscrits de la péninsule ibérique, et
également – et en grande proportion – des chants
provenant du répertoire de l'École de Notre-Dame de
Paris (datant de la fin du XIIe et de la première moitié
du XIIIe siècle), un répertoire très célèbre et répandu
dans toute l'Europe des XIIIe et XIVe siècles.
Le « codex Las Huelgas » fait toujours partie de la
bibliothèque du monastère (E-BUlh Ms. IX). Il s'agit
clairement d'un manuscrit d'usage car ni le parchemin
ni la facture ne sont de grande qualité ; le répertoire,
riche et complexe, avec une esthétique caractéristique
de la fin du XIIIe siècle (excepté quelques exemples
de l'Ars Nova), montre l'importance dont la musique
jouissait dans ce monastère.
Dans l'enceinte du monastère de Las Huelgas Reales,
les moniales, dont certaines (les freyras) avaient pour
rôle d'aider les autres soeurs et de former les jeunes
nobles qui y recevaient leur éducation, cohabitaient
avec un groupe de clercs et chapelains, et avec des
servants (clerc ou laïc qui assiste le prêtre à la messe).
Ces clercs et chapelains célébraient, alternativement
ou avec les moniales, les offices et les messes selon la
fête du jour. Un livre coutumier du monastère, datant
de la fin du XIVe siècle, récemment réétudié par le
musicologue David Catalunya, révèle les particularités
de la liturgie pratiquée au monastère lors de quelques
fêtes spécifiques et le rôle tenu par les célébrants, les
chantres et la communauté. On y apprend ainsi qu'un
groupe de clercs s'ajoute parfois au choeur des moniales,
dirigées par la cantora, en certaines circonstances. Le
choeur des moniales chante dans la nef principale de
l'église du monastère, les chantres (hommes) et les clercs
dans le chœur.
À en juger par les notes ajoutées aux marges des folios
du « codex Las Huelgas » (les marginalia), un certain
Iohanes Roderici (Juan Rodríguez en castillan) serait
compositeur de quelques pièces (« Iohanes Roderici me
fecit »), mais il serait aussi enmendador (« correcteur »)
du contrepoint dans quelques autres, voire également
chantre.
Cet enregistrement inclut des pièces qui ont été le
sujet de commentaires dans ces marginalia, peut-être
ajoutés par Iohanes Roderici lui-même. C'est le cas du
motet Virgo Virginum [17], au-dessus duquel on lit la
phrase « cantat me sin miedo que Johan Rodrigues me
enmendó » – « qu'on me chante sans crainte, car Juan
Rodríguez m'a corrigé » –, et où effectivement quelques
notes ont été grattées et corrigées pour rendre la pièce
plus consonante. Également dans la marge, au-dessous
d'un conduit, on peut lire « me canta toda barba que
me quisiere cantar » – « me chante toute barbe qui
voudrait me chanter ». Le reste de la phrase est illisible,
même aux infrarouges, mais cela donne une première
indication sur les interprètes d'une partie du répertoire
du codex. En d'autres endroits on peut lire cantores
ou omnis homo – « chantres ou tous les hommes ».
Ceci semble indiquer qu'en plus des moniales, les
clercs et les chapelains du monastère chantaient les
polyphonies de ce manuscrit. Cela donne donc la
possibilité d'interpréter ce répertoire par des voix de
femmes comme par des voix d'hommes, comme cela
nous est proposé dans cet enregistrement.
• • •
Alphonse a été élevé vers la gloire
céleste. La source qui répandait les richesses se tarit
et se meurt.
Suit un conduit à double texte, « Casta catholica / Da dulcis Domina
» [2], qui loue la Vierge dans l'une des voix, lui
demandant de répandre sa douceur, et dans l'autre voix,
loue la pureté des voeux des novices. Il allie donc une louange
à la Vierge – dont la figure est au centre du manuscrit,
le monastère étant placé sous patronage marial
– et des références au chant du monastère et
à celles qui y demeuraient ; références que nous
retrouvons tout au long du manuscrit.
Ce conduit est un unicum, il alterne de longs mélismes et des sections cum littera (portant du texte) dans chacune des voix, et confronte les sections mélismatiques d'une voix avec les cum littera
de l'autre pour une meilleure compréhension des textes. Sa
notation est mesurée, suivant le système décrit
par Francon de Cologne vers 1280, donnant une valeur fixe à
chaque note. L'Amen final, très ciselé, revêt le style du hoquet (hoquetus),
un procédé déjà utilisé par les
compositeurs de l'École de Notre-Dame de Paris.
L'enregistrement se poursuit par l'ordinaire d'une messe :
Kyrie, Gloria, Sanctus et Agnus Dei. Le Kyrie [3],
à deux voix, est basé sur la mélodie du trope «
fons bonitatis » et suit la déclamation latine
sans adopter un rythme métrique, comme font les plains-chants du Gloria,
du Sanctus et de l'Agnus Dei.
Ces tropes citent souvent la Vierge : ainsi, dans le trope du Gloria,
de manière très surprenante, le poète associe
à la figure du Christ, celle de Marie :
Premier né de Marie, vierge et mère, pour la gloire de
Marie, sanctifiant Marie, gouvernant Marie, couronnant Marie
Les trois monodies qui suivent ont un caractère moralisant et doctrinaire.
Le conduit monodique « Audi pontus, audi tellus
» [7] – « écoute mer, écoute terre,
écoute homme, écoutez, vous tous qui vivez sous le soleil
: voici le jour » – évoque les horreurs
décrites dans l'Apocalypse et provoquées par
l'ouverture des sept sceaux, et finit par un cri :
Hélas, malheureux ! Homme, pourquoi poursuis-tu de vaines joies ?
Vient ensuite la première strophe d'un conduit de Philippe
le Chancelier (vers 1160-1236), figure importante du Paris du XIIIe
siècle, que l'on trouve aussi dans le plus grand manuscrit
de l'École de Notre-Dame, aujourd'hui
conservé à Florence (I-Fl, Pt 29.1) ; cette version du
« Bonum est confidere » [9] est plus ornée que la composition d'origine.
Le splendide conduit « Mater Patris et filia
» [10] à trois voix chante à nouveau les louanges
de Marie – « Mère et fille du Père, joie des
femmes, belle étoile de la mer » –, la priant
d'intercéder auprès de son fils pour obtenir le
pardon et la consolation « dans cette vallée de
souffrances ». Les rubriques qu'on peut lire au milieu du
conduit, invitent à interpréter « à la
manière hispanique » (manera hespanona)
des sections entières en rythmes parfaits (ternaires) puis
d'autres sections en rythmes imparfaits (binaires) à la manera francessa,
montrant qu'en France de nouvelles notations se faisaient jour
pour codifier de nouveaux rythmes. Ce même conduit
n'apparaît que dans une autre source, connue comme «
codex Madrid » (E-Mn 20486), cette fois-ci à deux voix, ce
qui pourrait indiquer sa composition, sinon à Las Huelgas, du
moins dans la péninsule ibérique. Il s'agit
d'un contrafactum (une
contrefaçon qui reprend la musique et change le texte)
d'un autre conduit de l'École de Notre-Dame, «
Veri solis presentia », ici « modernisé » avec ladite alternance rythmique.
La schola féminine, comme autrefois les moniales, chante un autre planctus monodique, « Plange Castella misera
» [11], dédié à Sancho III de Castille (vers
1133-1158), père du fondateur de Las Huelgas, Alphonse VIII,
à qui, comme on le déplore dans la pièce, il
laissa très tôt le royaume, un an seulement après
avoir été couronné et alors qu'Alphonse
n'avait que trois ans.
Contrastant, le conduit suivant, « Quod promisit ad eterno
» [12] à deux voix, célèbre la naissance de
Jésus de manière très imagée : «
Aujourd'hui pleut sur nous la plénitude de la rosée
spirituelle ». Ce conduit, l'un des plus beaux exemples du
genre, tout comme le « Benedicamus Domino cum cantico
» [16] et tant d'autres du codex Las Huelgas, reste proche
de la version de Notre-Dame de Paris. Il utilise le système des
modes rythmiques et contient aussi des copulae,
moments suspendus à la façon de cadences, hors de tout
rythme et très caractéristiques du style parisien.
D'autres conduits comme le précédent « Mater patris et filia
» [10] ou le trope polyphonique du Gloria [4], utilisent des
éléments tout à fait novateurs de l'Ars Nova du XIVe siècle.
Le conduit monodique « Omnium in te Christe credencium
» [13] est une prière déchirante : « O
Christ, daigne laver les impuretés des âmes de tous ceux
qui croient en toi ».
Suivent ensuite, interprétées par les voix d'hommes
de l'ensemble, trois pièces polyphoniques très
marquées par l'esthétique de l'école
parisienne, dont les deux dernières sont des unica
et qui partagent le même mode rythmique (le premier :
longue-brève) et le même mode mélodique de la
teneur (mode de ré). D'abord un motet à
trois voix construit sur le tenor (la voix inférieure sur laquelle se construit la polyphonie), « Flos filius eius
» [14], sûrement très connu à
l'époque puisqu'il servit de base à plusieurs
contrafacta profanes. Marie y
reçoit les vocables de « cloître de pudeur, couche
de la virginité, espoir de toute joie ».
Ce motet est suivi d'un conduit à deux voix [15] où
le ventre de la Vierge est présenté comme « chaste
lit nuptial, berceau d'exception ».
Un trope de Benedicamus à trois voix, « Benedicamus Domino cum cantico
» [16], conclut ce groupe à connotation très
musicale : « Bénissons le Seigneur […] avec les
cordes et l'orgue, avec le psaltérion et la danse ».
Dans le motet à deux voix « Virgo Virginum
» [17] qui suit, la structure purement « parisienne »
(seuls intervalles de quinte, octave et unisson) apparaît de
manière limpide dans cette belle interprétation.
La prose « Iocundare plebs fidelis
» [18] utilise le même mode rythmique que le motet qui le
précède et le même mode mélodique (mode de ré).
Vers après vers, les deux riches couleurs de cet enregistrement
alternent : celle des voix des femmes puis celle des hommes, à
l'unisson parfait.
Conservant les mêmes modes rythmique (1er) et mélodique (mode de ré), les deux motets à trois voix suivants, « O Maria maris stella / O Maria Dei cella » [19] et « O Maria Virgo davitica / O Maria maris stella » [20] sont composés sur le même tenor, fragment d'un graduel grégorien, et utilisent aussi le même duplum
(texte et mélodie). La différence principale entre les
deux motets se trouve dans la déclamation du texte des tripla, presque totalement syllabique dans le deuxième motet [20].
Le disque se termine par un dernier Benedicamus Domino monumental [21], en organum à trois voix, le seul organum
de l'enregistrement, une forme très caractéristique
de l'école de Notre-Dame de Paris et de ce manuscrit. La
ligne de tenor est construite sur les seules notes ut et ré. Les voix du duplum et du triplum se développent et s'entrecroisent sur le tenor avec
les consonances déjà mentionnées. Elles suivent
des rythmes modaux (1er et 3e modes) et se détendent dans de
courtes copulae… Un beau résumé du style parisien si bien transmis par ce codex et par ce disque.
À la fin du codex de Las Huelgas, nous lisons dans un rotulus (rouleau de parchemin) la phrase suivante :
dans tes mains, Seigneur, je remets mon esprit
Nicolas Bell (2004), Juan Carlos Asensio (2001), David Catalunya (2017), Wesley D. Jordan (1996), Higinio Anglés (1931).
Notes sur l'interprétation des monodies
du manuscrit
Dans un article sur l'étude du manuscrit de Las Huelgas,
le Professeur Wulf Arlt a mis en évidence le caractère
pragmatique de la notation musicale. Celle-ci utilise
en effet plusieurs systèmes pour témoigner le plus
précisément possible des différents styles et des évolutions
stylistiques présents dans le manuscrit.
Suite à la lecture de cet article, je me suis plongé dans
l'étude de la vingtaine de monodies présentes dans
le manuscrit et y ai découvert que le ou les scribes
utilisaient en effet des éléments de la notation mesurée
pour indiquer des inflexions rythmiques, non métriques,
assurant ici la fonction qu'ont les neumes de Saint-Gall
et de Laon au Xe siècle pour les mélodies du chant
grégorien.
Cette clarification de la notation du plain-chant est
étonnamment éclairante ; la conduite mélodique prend
tout son sens et cette précision est une véritable aubaine
pour l'interprète, souvent obligé de faire des choix délicats
dans les répertoires du plain-chant de cette époque ; en
effet de nombreuses compositions monodiques écrites
aux XIIe et XIIIe siècles ne comportent que très peu
d'indications rythmiques (voir l'exemple ci-après).
Au-dessus des mélismes, j'ai traduit en neumes de
Saint-Gall les informations que l'on peut tirer de la
notation du manuscrit.
Contrairement à la notation mesurée, les rapports de
longueur ne sont pas mathématiques mais donnent
des indications pour la conduite de la mélodie ; en
particulier, les semi-brèves indiquent des accélérations
qui structurent les mélismes.
Comme pour toute la musique du Moyen Âge, le sens
de la composition ne peut se comprendre que par un
geste vocal adéquat. C'est par la vocalité que se révèlent
les moyens utilisés par le scribe pour noter la musique.
D'autre part, l'étonnante diversité trouvée dans les pièces
polyphoniques témoigne tout à la fois de la stabilité de la
tradition comme de la vivacité de la création. Véritable
défi pour l'interprète, de par sa complexité, le manuscrit
de Las Huelgas permet de faire entendre dans un même
programme des styles extrêmement variés réunis pour
les besoins du monastère.
Exemple : extrait de « Bonum est confidere » [9]
version 1 : École de Notre-Dame (ms. de Florence) dont la notation ne présente aucune indication rythmique.
version 2 : ms. de Las Huelgas plus ornée avec les indications rythmiques induites de la notation mesurée.
Organum : composition (à 2, 3 ou 4 voix) basée sur un
fragment de chant grégorien et portée à son
apogée par Pérotin et l'Ecole de Notre-Dame de Paris
à la fin du XIIe siècle.
Copula (copulæ) : aux XIIe et XIIIe siècles, ce terme
désigne une courte cadence finale à la fin des
différentes sections d'un organum ou d'un conductus.
Conductus : à l'origine, chant accompagnant une procession
ou un déplacement sur un texte latin. Contrairement
à l'organum ou au motet, le conductus n'est pas
construit sur un chant liturgique. Toutes les voix sont nouvellement
composées (de 1 à 4 voix).
Motet : forme prépondérante dans les compositions du
XIIIe siècle. Œuvres basées le plus fréquemment
sur un fragment de chant grégorien (tenor) auquel on ajoute une autre voix (duplum), une troisième voix (triplum) et
éventuellement une quatrième (quadruplum). Leur
particularité est de pouvoir mélanger divers textes
simultanément.
Trope : le trope est une amplification du chant liturgique par
l'ajout de vers et de mélodies nouvellement composés
pour développer et magnifier un chant préexistant.
Prose : souvent assimilée à la séquence, la prose
est une pièce de style plutôt populaire écrite en
vers rimés, le plus souvent en rythme ternaire.
Planctus : chant de déploration.
Modes mélodiques : classification médiévale des
mélodies liturgiques définies par leurs finales et leur
ton de récitation. Par exemple, le mode de ré a sa finale sur
ré et sa récitation sur la (1er mode) ou sur fa (2e mode).
Modes rythmiques : le mode rythmique apparaît chez les théoriciens du XIIIe siècle pour désigner une
formule rythmique sur laquelle s'appuyait la composition d'une monodie ou d'une polyphonie. Le 1er mode
(longue-brève-longue, etc.) et le 3e mode
(longue-brève-brève-longue, etc.) sont utilisés
dans cet enregistrement.
Notation mesurée : il s'agit d'une notation musicale
définie principalement par Francon de Cologne, théoricien
du XIIIe siècle qui a cherché un compromis entre un
système de notation idéal et logique et celui qui existait
avant lui. Il a cherché à attribuer à chaque signe une valeur précise.
Rythme syllabique : scansion régulière qui tient compte de la prosodie et de la ponctuation d'un texte.
Manuscript of the monastery Santa Maria la Real de Las Huelgas
The Las Huelgas Reales female Cistercian monastery was founded in the
late twelfth century near Burgos by Alfonso VIII of Castile and his
wife, Leonor Plantagenet (daughter of Eleanor of Aquitaine). Endowed
with a rich heritage and inhabited from the time of its foundation by
nuns of noble origin, this monastery very soon became the most
important of the female monasteries of the kingdom of Castile and Leon.
It enjoyed powers comparable to those of the Abbey of Fontevraud. It is
here that Alfonso and Leonor are buried, and that the coronation of
Alfonso XI and Maria of Portugal took place in 1331. The abbess of Las
Huelgas was under the direct authority of the Pope.
The manuscript, known by the name of the “Las Huelgas
codex”, a copy of which was recently dated to the 1340s, is a
collection of 186 liturgical and paraliturgical songs (two- and
three-voice organa, conductus
for one, two or three voices; two-, three- or four-voice motets and
proses for one or two voices), some of which - the oldest - had
certainly been part of the monastery's repertoire for more than a
century.
There are unica (pieces
without counterparts in other sources), pieces only concording with
other manuscripts of the Iberian Peninsula, and also - and in great
number - songs from the repertoire of the School of Notre-Dame de Paris
(dating from the late twelfth and first half of the thirteenth
century), a very famous repertoire that spread throughout Europe in the
thirteenth and fourteenth centuries.
The “Las Huelgas codex” is still part of the monastery
library (E-BUlh Ms. IX). This is clearly a manuscript for practical
use, because neither the parchment nor the finish is of high quality;
the repertoire, rich and complex, with an aesthetic characteristic of
the late 13th century (except for some examples of Ars Nova), shows the
importance accorded to music in this monastery.
Within the Las Huelgas Reales monastery, the nuns, some of whom (freyras)
had the role of helping other sisters and training the young nobles who
received their education there, lived alongside a group of clerics and
chaplains, and with servants (clerics or laymen who assisted the priest
at Mass). These clerics and chaplains celebrated, in alternation or
together with the nuns, the offices and masses according to the feast
of the day. A book on monastic custom, dating from the end of the 14th
century, recently studied by the musicologist David
Catalunya, reveals the specificities of the liturgy practised at the
monastery on various specific feasts and the roles played by the
celebrants, cantors and community. Thus we learn that a group of
clerics was sometimes added under certain circumstances to the
choir of nuns, who were led by the cantora. The nuns' choir sang in the main nave of the monastery church,
the cantors (men) and clerics in the chancel.
Judging by the notes added in the margins of the folios of the “Las Huelgas codex” (marginalia),
a certain Iohanes Roderici (Juan Rodríguez in Castilian) seems to have been the composer
of some pieces (“Iohanes Roderici me fecit”), but also the enmendador
(“corrector”) of the counterpoint in some others, as well as a cantor.
This recording includes pieces that have been the object of comments in these marginalia,
perhaps added by Iohanes Roderici himself. This is the case
with the motet Virgo Virginum [17], above which the sentence
“cantat me sin miedo que Johan Rodrigues me enmendó”
can be read - “I can be sung without fear, because Juan
Rodríguez corrected me” - and where some notes have
indeed been scratched out and corrected in order to make the piece more
consonant. Also in the margin, beneath a conductus, the words
“me canta toda barba que me quisiere cantar”
can be read - “let any beard sing me who would like to sing
me”. The rest of the sentence is illegible, even using infrared
light, but it gives a first indication of the performers of a part of
the repertoire of the codex. In other places we read the words cantores or omnis homo
- “singers or all men”. This seems to indicate that, in
addition to the nuns, the clerics and chaplains of the monastery used
to sing the polyphony in this manuscript. This therefore affords the
possibility of performing this repertoire with women's as well as
men's voices, as is offered to us on this recording.
• • •
Alfonso has been raised to heavenly glory. The wellspring that poured forth riches dries up and dies.
This is followed by a conductus with a dual text: “Casta catholica / Da dulcis Domina”
[2], which praises the Virgin in one of the voices, asking her to
spread her sweetness, and praises the purity of the vows of the novices
in the other voice. It thus combines a song of praise to the Virgin -
whose figure is central to the manuscript, the monastery being placed
under Marian patronage - with references to the singing of the
monastery and to those living there: references that we find throughout
the manuscript.
This conductus is a unicum; it alternates long melismas and cum littera
sections (carrying text) in each of the voices, and sets the melismatic
sections of one voice against the cum littera of the other for a better
understanding of the words. Its notation is mensural, according to the
system described by Franco of Cologne around 1280, giving each note a
fixed value. The final Amen, finely sculpted, is in hocket style (hoquetus), a procedure already used by the composers of the School of Notre-Dame de Paris.
The recording continues with the Ordinary of a Mass: Kyrie, Gloria, Sanctus and
Agnus Dei. The Kyrie [3] for two voices is based on the melody of the trope
“fons bonitatis” and follows the Latin declamation
without adopting a metrical rhythm, as do the plainchants for the Gloria, Sanctus and Agnus Dei.
These tropes often mention the Virgin: thus in the Gloria trope, the poet associates the figure of Mary with that of Christ in a very surprising way:
Firstborn of Mary, virgin and mother, for the glory of Mary, sanctifying Mary, governing Mary, crowning Mary
The three monodies that follow are moralizing and doctrinal in character.
The monodic conductus “Audi pontus, audi tellus” [7]
- “listen, sea, listen, earth, listen, man, listen, all you who
live under the sun: this is the day” - evokes the horrors
described in the Apocalypse and caused by the opening of the seven
seals, finishing with a cry:
Alas, unhappy one! Man, why dost thou pursue vain joys?
Then comes the first stanza of a conductus by Philip the Chancellor
(ca. 1160-1236), an important figure in thirteenth-century Paris, which
is also found in the largest manuscript of the School of Notre-Dame,
today kept in Florence (I-Fl, Pt 29.1); this version of
“Bonum est confidere” [9] is more ornate than the original composition.
The splendid three-voice conductus “Mater Patris et filia”
[10] once more sings the praises of Mary - “Mother and daughter
of the Father, joy of women, beautiful star of the seas” -
praying to her to intercede before her son in order to obtain
forgiveness and consolation “in this vale of
suffering”. The rubrics that can be read in the middle of the
conductus call for performance “in the Hispanic manner”
(manera hespanona) of whole sections in perfect (ternary) rhythms,
then other sections in imperfect (binary) rhythms in the manera francessa,
showing that in France new forms of notation were emerging to codify
new rhythms. This same conductus only appears in one other source known
as the “Madrid codex” (E-Mn 20486), this time for two
voices, which could be an indication that it was composed, if not in
Las Huelgas, at least in the Iberian peninsula. It is a contrafactum
(an imitation that takes the music and changes the text)
of another conductus of the Notre-Dame School, “Veri solis presentia”,
here “modernized” with the rhythmic
alternation mentioned above.
The female schola, as the nuns of the period, sings another monodic planctus, “Plange Castella misera”
[11], dedicated to Sancho III of Castile (around 1133-1158), father of
the founder of Las Huelgas, Alfonso VIII, to whom, as the piece
laments, he left the kingdom very early, only a year after being
crowned, and when Alfonso was only three years old.
By contrast, the next conductus, “Quod promisit ab eterno”
[12], for two voices, celebrates the birth of Jesus in a very pictorial
way: “Today is raining on us the fullness of spiritual
dew”. This conductus, one of the most beautiful examples of the
genre, just like the “Benedicamus Domino cum cantico”
[16] and so many others in the Las Huelgas codex, stays close to the
version of Notre-Dame de Paris. It uses the system of rhythmic modes
and also contains copulae,
moments of suspension in the manner of cadences, outside any rhythmic
framework and very characteristic of the Parisian style. Other
conductus pieces, such as the preceding “Mater patris et filia” [10]
or the polyphonic Gloria trope [4], use very innovative elements of fourteenth-century Ars Nova.
The monodic conductus “Omnium in te Christe credencium”
[13] is a heart-rending prayer: “O Christ, deign to wash the
impurities of the souls of all who believe in you”.
Next, performed by the men's voices of the ensemble, come three
polyphonic pieces that are very much marked by the aesthetics of the
Parisian school, the last two of which are unica
and share the same rhythmic mode (the first: long- short) and the same
melodic mode regarding the tone (D mode). First there is a three-voice
motet built on the tenor (the lower voice on which the polyphony is
constructed), “Flos filius eius” [14],
surely well-known at the time since it served as the basis for many profane contrafacta.
Mary receives the terms “cloister of modesty, bed of virginity, hope of all joy”.
This motet is followed by a conductus for two voices [15] where the
womb of the Virgin is presented as a “chaste nuptial bed,
exceptional cradle”.
A Benedicamus trope for three voices, “Benedicamus Domino cum cantico”
[16], concludes this group with very musical connotations: “Let
us bless the Lord [...] with the strings and the organ, with the
psaltery and the dance”.
In the ensuing two-voice motet “Virgo Virginum”
[17], the purely “Parisian” structure (the only intervals
being the fifth, octave and unison) comes out clearly in this beautiful
performance.
The prose “Iocundare plebs fidelis”
[18] uses the same rhythmic mode as the motet that precedes it and the
same melodic mode (D mode). Verse after verse, the two rich colours on
this recording alternate: that of the women's voices and then
that of the men, in perfect
unison.
Keeping to the same rhythmic (1st) and melodic (D) modes, the following two motets for three voices, “O Maria maris stella / O Maria Dei cella” [19] and “O Maria Virgo davitica / O Maria maris stella” [20] are composed on the same tenor, a fragment of a Gregorian gradual, and also use the same duplum (text and melody). The main difference between the two motets is in the declamation of the text of the tripla, which is almost completely syllabic in the second motet [20].
The disc ends with a final monumental Benedicamus Domino
[21], in three-voice organum, the only organum on the recording, a very
characteristic form of the school of Notre-Dame of Paris and this
manuscript. The tenor line is built just on the notes C and D. The voices of the duplum and triplum
develop and intersect on the tenor with the consonances already
mentioned. They follow modal rhythms (1st and 3rd modes) and come to
rest on short copulae... A fine summary of the Parisian style so well conveyed by this codex and this disc.
At the end of the Las Huelgas codex, we find the following sentence on a rotulus (roll of parchment):
into your hands, Lord, I commend my spirit
Nicolas Bell (2004), Juan Carlos Asensio (2001), David Catalunya (2017), Wesley D. Jordan (1996), Higinio Anglés (1931).
Notes on the interpretation of the monodies
of the manuscript
In an article on the study of the Las Huelgas manuscript, Professor
Wulf Arlt has highlighted the pragmatic character of the musical
notation. This in fact uses several systems to testify as precisely as
possible to the different styles and stylistic developments present in
the manuscript.
After reading this article, I immersed myself in the study of the
twenty monodies present in the manuscript and discovered that the
scribe or scribes indeed used elements of mensural notation to indicate
rhythmic, non-metrical inflections, here assuming the function that the
neumes of St. Gall and Laon in the tenth century have for the melodies
of Gregorian chant.
This clarification of plainchant notation is astonishingly
enlightening; the melodic line acquires its full meaning, and this
precision is a real boon for the performer, often obliged to make
difficult choices in the plainchant repertoires of the period; indeed,
many monodic compositions written in the 12th and 13th centuries
contain very few rhythmic indications (see the following example ).
Above the melismas, I have translated into St. Gall neumes the
information that can be drawn from the notation of the manuscript.
Contrary to mensural notation, relations in terms of length are not
mathematical but give indications for the conduction of the melody; in
particular, semi-breves indicate accelerations that structure the
melismas. As with all music in the Middle Ages, the meaning of the
composition can only be understood when sung properly. It is through
the voice that the means used by the scribe to notate the music reveal
themselves.
On the other hand, the astonishing diversity found in the polyphonic
pieces evidences simultaneously to the stability of the tradition and
to vivacious creativity. A real challenge for the performer because of
its complexity, the Las Huelgas manuscript allows extremely varied
styles, assembled for the needs of the monastery, to be heard in the
same programme.
Example: excerpt from “Bonum est confidere” [9]
version 1: School of Notre-Dame (Florence ms.), whose notation provides no rhythmic indications.
version 2: The more ornate Las Huelgas ms. with the rhythmic indications conveyed by the mensural notation.
Organum: composition (for 2, 3
or 4 voices) based on a Gregorian chant and brought to its peak by
Pérotin and the School of Notre-Dame de Paris at the end of the
12th century.
Copula (copulæ): in the
12th and 13th centuries, this term referred to a short final cadence at
the end of the different sections of an organum or a conductus.
Conductus: originally a song on
a Latin text accompanying a procession or movement. Unlike the organum
or the motet, the conductus is not based on a liturgical chant. All
voices are newly composed (1 to 4 voices).
Motet: the dominant form in thirteenth-century compositions.
Works most frequently based on a Gregorian fragment (tenor)
to which another voice is added (duplum), a third voice (triplum)
and possibly a fourth (quadruplum).
Their particular feature is the possibility of mixing various texts simultaneously.
Trope: The trope is an
amplification of the liturgical chant by the addition of verses and
newly-composed melodies to develop and magnify a pre-existing chant.
Prose: often included under the
term sequence, the prose is a piece in rather popular style written in
rhyming verse, most frequently in ternary rhythm.
Planctus: a song of lamentation.
Melodic modes: medieval
classification of liturgical melodies defined by their final notes and
reciting tone. For example, the D mode has D as its final note and has
its recitation on A (1st mode) or on F (2nd mode).
Rhythmic modes: the term
“rhythmic mode” appears in thirteenth-century theorists,
designating a rhythmic formula on which the composition of a monody or
a polyphonic piece is based. The 1st (long-short-long, etc.) and 3rd
(long-short-short-long, etc.) modes are used on this recording.
Mensural notation: this is a
form of musical notation principally defined by Franco of Cologne, a
13th century theorist who sought a compromise between an ideal and
logical notation system and the one that existed before him. He sought
to give each sign a precise value.
Syllabic rhythm: regular scansion taking into account the prosody and punctuation of a text.