Francisco de PEÑALOSA. Missa Nunca fue pena mayor
Antonio de CABEZÓN. Tiento du 5º ton, Pange lingua
Ensemble Gilles Binchois





Auvidis AV 4952
1981







[FACE A]
Antonio de CABEZÓN (1500-1566)
1. Himno Pange Lingua IV  [3:27]
orgue: principal  8 - octave 4 - doublette 2-2 rgs

Francisco de PEÑALOSA (1470-1537). Missa Nunca fue pena mayor
soprano, contre-ténor, ténor, basse
2. Kyrie    [4:44]
3. Gloria  [6:43]

Antonio de CABEZÓN
4. Tiento IX de Quinto Tono  [3:48]
orgue: principal  8 - octave 4

Francisco de PEÑALOSA. Missa Nunca fue pena mayor
soprano, contre-ténor, ténor, basse
5. Credo  [8:15]
[FACE B]
6. Sanctus  [3:02]
7. Agnus Dei  [2:32]

Anonyme, attribué à Juan de CABEZÓN, frère d'Antonio
8. Quién llamó a partir  [2:16]
orgue: flûte 4

9. Juan URREDE. Nunca fue pena mayor  [3:44]
ténor, luth

10. Francisco de PEÑALOSA. El triste que nunca os vio  [1:58]
flûtes à bec soprano & alto, organetto

11. Francisco de PEÑALOSA. A tierras agenas  [4:45]
contre-ténor, ténor, basse, flûte à bec alto, luth

12. Juan ROMÁN. O voy  [1:52]
flûtes à bec soprano & alto, organetto, percussion

13. Anonyme. Enemiga le soy  [0:54]
soprano, luth

14. Francisco de PEÑALOSA. Por las sierras de Madrid  [1:58]
soprano, contre-ténor, ténor, basse, flûte traversière, luth, organetto






ENSEMBLE GILLES BINCHOIS

Anne-Marie Lablaude, soprano
Emmanuel Bonnardot, contre-ténor
Dominique Vellard, ténor, flûte
Philippe Balloy, basse
Georges Lartigau, orgue et organetto
Eugène Ferré, luth Renaissance
Pierre Hamon, flûtes à bec et traversière Renaissance




Enregistrement effectué en l’Église Sainte-Madeleine de Charnay-lès-Mâcon.
Orgue construit par Didier CHANON en 1975.
Prise de son : Georges KISSELHOFF.
Assistante : Mireille LANDMANN.
Photo recto : GIRAUDON, Paris.




INSTRUMENTS
Flûte à bec Renaissance Soprano de Friedrich von Hüne
Flûte à bec Renaissance Alto de Bernhard Junghänel
Flûte traversière Renaissance en Ut de Friedrich von Hüne, diapason 440
Luth Renaissance six chœurs de Mathias Durvie, diapason 440
Organetto de Didier Guiraud, diapason 440
Orgue de Didier Chanon, diapason 415








Francisco de PEÑALOSA est un de ces musiciens de génie dont la production fut assez abondante et que la postérité a négligé, le laissant dans l'ombre de ses illustres successeurs, Cabezón. Morales ou Victoria. Étrange phénomène que ces oublis de l'Histoire, mélange de hasard, d'incompréhension ou de négligence, de correspondance entre une musique du passé et le présent.

De la vie de Peñalosa, nous ne connaissons que peu de choses: Il est né à Talavera (près de Tolède) vers 1470, il rentra au service du Roi Ferdinand «le Catholique» en 1498 et resta à la cour d'Aragon jusqu’à la mort de celui-ci en 1516. Parallèlement, il dirigea la Chapelle de l'Infant Don Fernando, frère de Charles Quint. Après un passage à la Chapelle Pontificale de Rome, on perd sa trace jusqu'au moment où on le retrouve chanoine à Séville dans les derniers mois de sa vie.

Musicien extrêmement apprécié tant du Roi d'Aragon et du Pape Léon X que de nombreux de ses contemporains, il nous laisse sept Messes, une quarantaine de motets, quelques hymnes, Magnificat et chansons, témoignage de son grand talent.
Peñalosa possède la science contrapuntique héritière de l'école franco-flamande du début du XVe siècle, au même titre que nombreux de ses contemporains comme Loyset Compère ou Josquin des Prés (de nombreux manuscrits espagnols contiennent des musiques de compositeurs franco-flamands, tels que Josquin des Prés, Obrecht, Busnoy, Agricola, Compère, Mouton, Pierre de la Rue...), mais tout comme Victoria quelque cinquante ans plus tard, il y insuffle un caractère spécifiquement espagnol. On retrouve particulièrement ce caractère dans la Messe qui fait l'objet de ce disque où l'expression d'un mysticisme fervent relie Peñalosa au grand courant religieux des peintres, musiciens et mystiques espagnols de ce XVIe siècle. La tension musicale contenue dans cette Messe est linéaire et constante, ne laissant qu'une faible place aux contrastes, tant sur le plan du tactus (la lisibilité du contrepoint n'accorde qu'une marge limitée au choix de la pulsation) que sur le plan de l'expressivité (la musique exclut pratiquement tout figuralisme», exception faite des deux passages de l'«Et incarnatus est» et du «Hosanna» qui sont homophoniques, et d'une petite suggestion mélodique sur les mots «et resurrexit»).
Toute la force de cette œuvre réside dans l'agencement des tensions et des détentes contenues mélodiquement dans le mode de Mi (particulièrement l'attraction Fa - Mi) et dans leur exploitation sur le plan harmonique.

Il ne nous reste malheureusement pas de littérature pour le clavier, contemporaine de Peñalosa, et le premier recueil que l'on possède est le fameux «Libro de Cifra nueva para Tecla Arpa y Vihuela» de Venegas de Henestrosa (Livre de tablatures nouvelles pour clavier, harpe et vihuela, 1557). Ce recueil contient quelque quarante pièces sous le nom d'«Antonio» (de Cabezón). Hernando de Cabezón, son fils, publiera plusieurs œuvres de son père sous le titre «Obras de musica para Tecla, Arpa y Vihuela de Antonio de Cabezón» (1578).

Antonio de CABEZÓN (1500-1566), aveugle de naissance, fut organiste à la chapelle d'Isabelle de Portugal, femme de Charles Quint. A la mort de celle-ci, il resta au service du prince Philippe, futur Philippe II, avec qui il voyagea dans toute l'Europe.
Son œuvre, exclusivement instrumentale, propose un style de contrepoint d'une conception plus stricte (dans les entrées des voix, dans l'équilibre sonore...) que celui de Peñalosa dont la facture est plus spontanée. Ils déploient l'un et l'autre, avec des moyens différents, un édifice polyphonique d'une prodigieuse grandeur.

Toutes les chansons qui composent l'autre volet de ce disque sont tirées d'un chansonnier espagnol appelé le «Cancionero Musical del Palacio» qui contient quelque 457 chansons.

Le thème de la Messe vient d'une chanson extrêmement célèbre a la fin du XVe siècle: «Nunca fué pena mayor», écrite par Juan Urrede qui fut maître de la chapelle royale d'Aragon, une vingtaine d'armées avant que Peñalosa n'y entrât comme chanteur. On retrouve cette chanson dans de nombreux manuscrits européens et elle fut exploitée, selon l'habitude de l'époque, par des musiciens tels que Pierre de la Rue qui en fit le thème d'une de ses Messes, ou Matthaeus Pipelare qui construisit son motet «Memorare Mater Christi» à 7 voix sur le Tenor de cette chanson; on trouve aussi en Italie au début du XVIe, siècle une tablature pour Luth de la même chanson, par Vincenzo Capirola, sous le titre «Nunquam fuit pena maior».

Deux des chansons sont données dans une version instrumentale, comme il était d'usage en ce début du XVIe siècle. Ainsi on trouve des versions instrumentales de chansons dans des recueils comme celui de Hernando de Cabezón, que nous avons cité précédemment, ou dans des traités comme celui du célébre Diego Ortiz: on y trouve des adaptations de chansons pour divers instruments, largement ornementées et d'autre part des formules de gloses (diminutions) cataloguées de façon méthodique; nous nous sommes servi de ces documents pour l'ornementation, notamment de «A tierras agenas».

On peut considérer «Por las sierras de Madrid» comme la première «Ensalada» tout à fait accomplie, genre que Mateo Flexa exploitera avec bonheur. Cette pièce à six voix combine admirablement la mélodie de quatre refrains de chansons avec un déchant instrumental très élégant et une phrase latine chantée la basse. Cette phrase souligne ironiquement, en se référant au récit de la Pentecôte dans les actes des Apôtres, le mélange des musiques et des textes que seul un jeu de composition fort complexe rend tout à fait génial.

Dominique VELLARD