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Alpha 517 «Les chants de la terre»
2005
01 - 'Belle jardinière' (~'Voilà le bon vent')
[3:21]
02 - 'Marions les roses' (~Malicorne) [4:08]
03 - Psaume 2 [4:41]
version néerlandaise
version turque suivie d'une melodie turco-azéri: Ayrelik
04 - 'Ma maîtresse' (mazurka, Poitou) [3:25]
05 - 'La galana' (sefardí, Rhodes) [3:43]
06 - Psaume 2 (version française) [1:16]
07 - 'La Louison' (bourrée, Auvergne) [3:25]
08 - Andro breton / Üsküdar [2:11]
09 - 'Quand je menais mes chevaux boire' (~Malicorne)
[4:21]
10 - 'Wa habibi' / 'Adieu Paure Carnavau' [3:38]
11 - Psaume 42 [2:30]
12 - Psaume 65 [1:13]
13 - 'Fel Shara' canet betétmasha' (sefardí, cf.
Üsküdara) [2:17]
14 - 'Alta, alta es la luna' (sefardí, Turquía?)
[2:36]
15 - Psaume 64 [2:22]
16 - 'Era escuro' (sefardí, Balkans) [2:06]
17 - [5:03]
'Yo era ninya' (sefardí, Smyrna), suivi de
'Deme dim mi' (hymne soufi de Turquie)
18 - Psaume 92 [2:47]
19 - 'La fiancée' (~Jean-Pierre Drouet) [3:44]
20 - 'Voici le mois de mai' (chanson de quête,
Dauphiné) [2:11]
21 - 'Colchique dans les prés' (Francine Cockenpot)
[3:08]
Les Fin'Amoureuses
Emmanuelle DROUET, chant
Nannette VAN ZANTEN, chant, vièle, viole
Nathalie WALLER, chant, vièle, viole, dilruba
Enregistré du 9 au 12 mai 2005 la chapelle du Prieuré de
Truel, Roquemaure (Gard)
Direction artistique, prise de son & montage numérique:
Jean-Marc Laisné
«La racine commune à sir.rat, ire. art . lat.
.ars,artus,ritus, qui désigne l'ordre comme adaptation
harmonieuse des parties d'un tout entre elles.. »
Si j'ai choisi la définition que donne le linguiste Emile
Benveniste du mot art c'est parce qu'elle résume parfaitement le
travail de recherche et d'élaboration que nous avons
effectué au cours de ces dernières années, afin de
mettre en place le programme de ce disque. Il y a deux ans, je prenais
rendez-vous avec Jean-Paul Combet, nous avions comme souhait, Les
fin'amoureuses, d'enregistrer un disque chez Alpha dans la Collection
«Les chants de la terre». Notre répertoire
était fait de chansons populaires de tradition française
et judéo-espagnole. Celles-ci pour la plupart collectées
dans l'Empire Ottoman au XIXe siècle.
Nos préoccupations artistiques n'étaient ni historiques
ni identitaires, il était donc très difficile pour nous
de justifier le choix que nous faisions: mettre côte à
côte des chansons issues de traditions de cultures
différentes.
Notre point de départ toutes les trois fut l'apprentissage
d'instruments anciens et de technique vocale baroque.
Sensibles aux musiques modales, depuis 1990 avec Nannette van Zanten,
nous explorons les musiques du Moyen-Age, en particulier celles du
bassin méditerranéen. Affectionnant surtout les romances
judéo-espagnols et portant un intérêt pour leurs
itinérances, notre répertoire s'ouvre naturellement aux
musiques ottomanes.
Sans nous soucier des techniques et esthétiques instrumentales
médiévales et baroques, très conscientes de notre
imprégnation par une culture occidentale, c'est ainsi que nous
abordons ces musiques juives sépharades et turques. En inventant
nos propres harmonisations, nos accompagnements, en inventant notre
propre langage.
C'est en 2000 que nous rencontrons Emmanuelle Drouet. Nous avons plus
d'un répertoire en commun, un parcours musical identique, et, de
plus, le souhait de chanter des chansons françaises. Et c'est
peu de temps après que nous faisons notre première
proposition Alpha. Jean-Paul Combet, séduit par le projet, pense
qu'il est nécessaire de travailler sur un fil conducteur, qui
rend le passage plus confortable et plus compréhensible entre
les chansons françaises et l'univers «plus sensuel et
fleuri» des romances judéo-espagnoles.
De toute évidence il nous manque quelque chose.
Nous savions que depuis François Ier la culture française
était très en vogue dans l'Empire Ottoman. On parle
français dans les milieux sépharades, des mots
français sont introduits dans les chansons chantées en
ladino (espagnol du XIVe siècle parlé dans la
communauté sépharade).
Mais c'était justement ces changements de climat, d'univers
poétiques, que nous aimions pour leurs différences.
Et c'est avec le travail du musicologue Vladimir Ivanoff et son
ensemble Sarbande, autour des musiques ottomanes et occidentales du
XVIIe siècle, que nous découvrons les psaumes huguenots
écrits en 1562, traduits en turc par un musicien de la cour
ottomane Wojciech Bobowsky connu également sous le nom de Ali
Ufki (1610-1675). Il traduisit les quatorze premiers psaumes de
Clément Marot et Théodore de Bèze.
Pour moi cette découverte fut une sorte de choc, une
émotion unique, quelque chose d'inouï. Je ne savais pas ce
que j'entendais. Une mélodie de la renaissance occidentale
chantée en turc, par un chanteur turc, Mustafa Dogan Dikmen,
dans la plus pure tradition classique ottomane, accompagné au
théorbe.
Cette forme musicale m'était intime et pour une raison encore
mystérieuse me ramenait des souvenirs d'enfance. Sa forme
semblait correspondre ce que nous cherchions, proche des musiques
populaires françaises. Ma surprise fut grande lorsque je
découvrais qu'il s'agissait des psaumes de Clément Marot.
Marquées par une culture protestante, jamais nous n'aurions
envisagé, Nannette et moi-même, nous plonger dans ce
trésor musical, à mi-chemin entre les musiques populaires
et savantes de la Renaissance, que présente le Psautier
huguenot, s'il ne nous était pas arrivé sous cette
forme. Réapproprié, c'est ce que nous faisons
au-delà d'une identification culturelle simplement avec ce que
nous sommes.
«On ne se définit pas par des racines, mais par des
routes.» - Amin Maalouf.
Nathalie Waller
LES CHANTS FRANÇAIS
C'est à travers cet univers féminin de chansons
françaises, on l'amour et la mort sont chantés comme un
hymne à la vie, que nous rendons hommage à nos
mères, grand-mères et toutes les femmes qui nous ont
laissé leur empreinte.
Ayant été marquées toutes trois par le groupe
«Malicome» nous pensons à eux, notamment pour les
chants Quand je menais mes chevaux et Marions les roses.
La fiancée a été transmise à
Emmanuelle par son père jean-Pierre Drouet.
Belle Jardinière, version récente de Voilà
le bon vent, fut tout simplement un coup de cœur.
Souvent le répertoire traditionnel chanté se dansait,
comme la mazurka Ma maîtresse du Haut-Poitou et la
bourrée de La Louison. la ballade Voici le mois de
mai, est une chanson de quête du Dauphiné.
Nous avons superposé un andro, danse traditionnelle bretonne,
à Üsküdar, chant traditionnel turc, originalement
à 7 temps, mais adapté à la carrure pour la
rencontre de ces deux mélodies.
Pour finir, Colchiques dans les prés nous a fait
découvrir son auteur, Francine Cockenpot. Guide de France, elle
a laissé derrière elle plus de 500 titres et comme dans
la tradition orale, elle est fière du fait que ses chants soient
presque toujours des créations collectives.
«Nous chantions à tous vents, sur les bords des routes,
des rivières, au fond des caves pendant la guerre. Il nous
manquait peut-être un peu de technique, mais jamais
d'enthousiasme ni d'amour.»
Le hasard a voulu que nos amies Eveline et Denise aient chanté
avec elle en Algérie puis le jour où nous avons
enregistré «Colchiques» dans la chapelle de Maxime
Tardieu à Sauveterre, il nous a appris qu'il l'avait très
bien connue comme voisine du village...
Nannette van Zanten
LES CHANTS SEPHARADES
La civilisation de l'Orient arabo-andalou qui a duré sept
siècles se fondait sur des rencontres tant philosophiques,
scientifiques, qu'artistiques entre Juifs, Chrétiens et
Musulmans. En musique, ils «parlèrent» un langage
commun: le système modal, lequel, pont entre deux rives,
caractérise les musiques arabo-andalouses,
médiévales et judéo-espagnoles, ce qui nous
intéresse ici. Après 1492, à la
«Reconquista», les Sépharades* (Juifs d'Espagne)
sont partis au Maghreb, en Europe, aux Balkans, en Grèce,
Turquie, Israël, jusqu'en Egypte et ont amené avec eux
leurs traditions, leurs chants, colorés des influences
linguistiques (emprunts de mots dans la langue du pays d'adoption) et
musicales (rythmes irréguliers pour les Balkans) de leurs terres
d'exil, de diaspora. Les chants sont toujours chantés par les
différentes communautés, par le «hazan» de
synagogue (le chantre) et aussi repris par les ensembles musicaux
d'aujourd'hui, sépharades ou non, d'ailleurs.
* le mot «sépharade» signifie Espagne, en
hébreu.
1. La galana: chant ancien, sépharade de Rhodes, de
mariage où l'épousée, noble et belle, va au bain
sacré avec sa famille, en musique, tandis que l'attend son mari.
2. Fel Shara' Canet Betetrnasha: chanson d'amour en ladino
à l'origine, et amenée en Egypte, qui a dû
mêler l'arabe à l'espagnol, l'italien au français
et à l'anglais, chantée sur un air turc
célèbre: Üsküdara,
3. Alta es la luna: peut-être de Turquie... chant d'amour
judéo-espagnol dans lequel une jeune fille regarde la mer
à s'en user les yeux dans l'attente du bateau qui lui
amènera la lettre de son ami.
4. Era escuro: cantiga sepharade du XIXe siècle des
Balkans, dans laquelle une dame reproche a son ami de lui avoir
rappelé le passé, ses erreurs, ses mots malheureux, alors
que tout est calme dehors, et que la nuit règne, sombre,
silencieuse.
5. Yo era ninya: chant de Smyrne dans lequel une femme exprime
le regret de la liberté d'avant son mariage au sein duquel,
ravalée au rang de servante, elle souffre, elle qui était
de bonne maison...
Emmanuelle Drouet
Parmi les livres de la bible se trouve le Psautier rassemblant
cent cinquante chants, poèmes, prières, le
«trésor de la lyrique religieuse d'Israël».
La tradition fait de David, roi, prophète et poète,
l'auteur inspiré d'un très grand nombre de ces psaumes.
Par ces chants l'assemblée participe au culte rendu à
Dieu tant dans le temple de Jérusalem que dans les synagogues,
mais appris par cœur, ils sont aussi au service de la
piété personnelle dans la vie quotidienne.
Les chrétiens feront un usage similaire des psaumes lors des
célébrations d'un nouveau type, parmi le peuple ou dans
le cadre monastique. Le latin est alors la langue liturgique des
églises d'occident, mais il n'est plus la langue du peuple. Les
psaumes jouent alors nouveau leur rôle. Dans des traductions en
langue contemporaine de Clément Marot*, Théodore de
Bèze (pour ne citer que les français les plus connus) et
chantés sur des mélodies contemporaines elles aussi, de
compositeurs restés anonymes ou bien célèbres
comme Louis Bourgeois et d'harmonisateurs, tels que Janequin, Goudimel
...
Ainsi se constituera le Psautier huguenot soucieux de son
enracinement biblique et de son langage moderne.
André Waller
* «Clément Marot accusé d'hérésie et
menacé du bûcher pour le plus grand crime: la traduction
de l'écriture simple en langage vulgaire (...) L'homme de
cœur qui avait sacrifié à la réforme sa
famille et sa patrie, pour aller mourir en exil, mais dont fa
fière indépendance n'avait su se plier au despotisme de
Calvin, n'a guère reçu jusqu'ici des protestants
qu'injustice et ingratitude. ›J
O. Douen, Clément Marot et
de Psautier huguenot
(Paris, Imprimerie Nationale, 1878-1879)