fuentes:
Chantilly, Musée Condé Ms. 1047
Modena, Biblioteca Estense Ms. α5.24
FERRARA ENSEMBLE
Crawford Young
Lena Susanne Norin, alto
Kathleen Dineen, soprano
Stephen Grant, baritone
Randall Cook,
viola d'arco
Norihisa Sugawara,
viola d'arco, luth
Debra Gomez,
harpe
Crawford Young,
luth et guitare
"Tout par coinpas suy composés en ceste ronde proprement... "
(Artfully was I composed, correctly upon this circle... ).The opening
words of Magister Baude Cordier's celebrated canon can be applied to a
number of aspects of his composition, including the canonic form of the
work, its careful counterpoint and phrase balance, its tuning system,
and the unique layout of the notation as a visual complement or symbol
(created, one imagines, to enrich the hearing of the piece). Had
Cordier played the tenor of the song on a lute, say, while
singing the cantus, the tune's opening words would have been more
fitting still: the design of that instrument, according to Arnaut de
Zwolle's construction plan of c. 1440 began with a compass-drawn circle
and proceeded exclusively with Pythagorean proportions (all based on
the prime numbers 1, 2, 3) to complete its measurements. It may not be
too farfetched to imagine that Cordier knew the precepts of the
so-called Berke1ey Treatise (Paris, 1375, which included the
following: "It must be noted that one may well syncopate in discanting
and sing various mensurations that differ from that of the tenor, so
long as he knows how to proportion them properly to each other and
maintain properly his co-equal mensuration; otherwise he should not
concern himself with these things".
To be sure, some of the composers represented in Chantilly
Codex concerned themselves very much with these things; they made
fashionable, cutting-edge secular motet-chansons that would prove the
cultural superiority of their patrons' court establishments (courts
that held obedience to papal Avignon); their art was self-conscious
and, with explicit intention, more "developed" than that of previous
masters. Their songs have come down to us only in shadow form, that is,
as musical notation developed after-the-fact of the music tradition
itself. There can be little doubt that what was recorded in musical
notation was not always a literal transcription of performance, and
that singers capabilities went well beyond the limits of the notation.
Within
the same artistic society which dictated proportion, Pythagoras and
rationality, there lived a group of 'irrational fools' - the "fumeurs ".
They were moral-political satirists, "all the musicians, master
astronomers, engineers, masons, carpenters, who willingly follow Fumée,
players of organs and cymbals...", self-described as melancholic,
quarrelsome, lazy, egoistic artist types with a drinking problem: 'beat
poets' of the latter fourteenth-century. Part of Chantilly belongs to them, for their music is that of self-conscious elitists, stretching limits and challenging tradition.
The composer called "Trebor" in Chantilly
is relatively well-represented in the manuscript, yet his identity
remains problematic; his real name was most likely Johan Robert or
Roubert. Six ballades are attributed to this singer, and the quality of
the pieces (listen for example, to the beautifully crafted melody of
[/i]Helas pitié[/i] is such that one longs for a larger body of
preserved works and surer stylistic criteria. Modern research has
linked these pieces with the courts of Aragon, Foix and Burgundy,
specifically with the patrons, respectively, John I, Gaston Fébus and
Jean, Duke of Berry. Of the two "Trebor" compositions presented here,
one can probably be associated with Mathieu de Foix, successor to
Gaston Fébus, dated c 1393-4 (note: for this recording, Gordon K.
Greene's suggestion for two missing lines of text in the third strophe
has been adopted). The opening line of this piece, Se Alixandre et Hector fussent en vie features a conditional construction, and indeed the prevalent use of the conditional mode in a number of Chantilly ballades
(see comments by Nicoletta Gossen) has a kind of parallel in the
musical settings. Cadences are prepared, hinted at, led up to but then
resolved in a different way than expected, as if to say, "if the phrase
ended here, then?" Another technique for extending a phrase, giving it
alternate chances to finish, is the use of sequences, as in [/i]Adieu
vous di[/i] or the second section of Le mont Aon de Thrace. A
counterpoint of "ifs"; what the ear thinks should happen does not in
fact always happen, and the unexpected is the only sure thing to be
expected.
Crawford Young
Les
chansons présentées dans cet enregistrement ont été écrites à la fin du
XIVe siècle et transmises dans les manuscrits Chantilly, Musée Condé
Ms. 1047 et Modena, Biblioteca Estense Ms. α5.24. Elles appartiennent
au style que la musicologue Ursula Günther a appelé Ars subtilior
(Art plus raffiné) en sebasant sur des sources de l'époque. Ce style
était en vogue a la cour des papes à Avignon et à Milan, ville
fortement influencée par la France. Ces chansons se distinguent par
plusieurs actéristiques de ce qu'on connaît par exemple d'un Guillaume
de Machaut. Les différences concernent les relations entre les voix et
surtout le rythme. La complication du dernier produit une complexité
extrême de la notation qui trouve son apogée dans le manuscrit de
Chantilly.
En regardant ces ballades, on reconnaît tout de suite
leur parenté avec la poésie musicale de l'amour courtois. Mais soit
dans le domaine de la musique, soit dans celui du texte, on trouve des
différences importantes. La ballade Le mont Aon de Thrace nous
livre une clé pour la compréhension de ces oeuvres. Dans la deuxième
strophe, nous apprenons que les poètes «subtils» cherchent surtout à
connaître tous les délices amoureux de la fontaine des muses. Il fut
une époque, où les Troubadours et les Trouvères cherchaient en tant que
fins amans l'amour vrai qui devait mener à la béatitude spirituelle. Et encore dans le Roman de Fauvel de la deuxième décade du XIVe siècle, le fin amans
est synonyme de vertu. Avec Guillaume de Machaut nous rencontrons un
poète qui est déjà beaucoup plus occupé à trouver son identité
d'artiste de prestige, que de rendre hommage à l'amour courtois. Chez
les poètes de l'Ars Subtilior il est toujours question d'amour
et de service amoureux, mais il apparaît éloigné dans le royaume des
muses. Il faut conquérir les muses pour devenir un artiste savant et
habile. Il ne s'agit plus du jeu de l'amour courtois avec ses règles
fixes qui, dans sa sublimation, mène à un but spirituel. Les artistes
«subtils» montrent - non sans chercher l'effet - ce qu'ils savent
faire. Ils adorent l'art de vivre raffiné, le vin et les femmes.
Quelques-uns adhèrent à des compagnies d'hommes, comme par exemple les Fumeux, où la consommation de certaines quantités de vin est une vertu et l'abstinence un vice.
Que
cet art ait fleuri à la cour d'Avignon ne surprit pas. Cette ville
était devenue, depuis que les papes y résidaient, un centre culturel de
premier rang. Des hommes comme Francesco Petrarca se détournaient avec
dégout de cette Babylone, où les cardinaux s'occupaient beaucoup plus
de la mode de leurs habits que des âmes des chrétiens. Mais Avignon
exerça un magnétisme exceptionnel. C'était une ville pleine d'ordures,
de bordels et de corruption. Mais c'était aussi une ville flamboyante,
pompeuse, dirigée par des personnalités importantes de la vie
ecclésiastique et politique. Sur la scène dipomatique on nouait des
intrigues sans pudeur - donc il fallait plaire aux hommes importants -
entre autres à l'aide de musique. «Si Alexandre, Hector et Achille
étaient encore en vie, ils ne seraient pas à la hauteur de notre
seigneur» dit une ballade du manuscrit de Chantilly, et dans la troisième strophe on affirme qu'il faut louer le bienfaiteur et seigneur «sans flatterie»!
«Si Alexandre et Hector étaient en vie"... » avec ce «si» commence un autre texte de Chantilly:
«Si Zéphirus, Phébus odeur lignage étaient d'accord pour me consoler».
On trouve toute une série de poésies de caractère conditionnel dans l'Ars subtilior.
La combinaison du conditionnel avec des héros ou des dieux de
l'antiquité éloigne ces textes de la réalité, une réalité qui est tout
autre que «subtile». Des guerres horribles sans fin, des mouvements
révolutionnaires parmi les plus pauvres de la société, et des épidémies
de peste qui tuent une grande partie de la population en quelques mois,
caractérisent l'époque. Une couche très mince de la société se retire
sur la montagne des muses, dans un monde plus subtil, un ars subtilior vivendi. La poésie qui y est produite possède plusieurs racines dans le passé:
-La
tradition de la chanson française remontant au XIIe siècle, enrichie
par la polyphonie du XIVe siècle, forme musicalement et poétiquement la
base là plus importante.
- Dans les pièces de l'Ars subtilior
écrites par des Italiens on reconnaît souvent l'influence du Trecento
italien. Certains sujets et expressions trahissent la provenance de
l'italien qui s'exerce dans un art, qui en comparaison avec l'italien a
été nommé «subtilior» comme par exemple par Prosdocimus de Beldemandis.
-
Une troisième racine se trouve dans le motet français. Des ballades
pour rendre hommage aux princes reprennent le rôle du motet. On énumère
les prouesses du prince et on chante ses louanges. La chanson comme
hommage permet peut-être un contact plus intime entre louant et loué.
Le monde de l'Ancien Testament (Lamech, Judith et Rachel), Thrace (Le mont Aon) ou Troie (Si Alixandre et Hector)
offrent les scènes de fond, devant lesquelles les contenus, qui se
démasquent très vite comme fiction, se déroulent. L'intérêt est
surtout fixé sur le raffinement de la forme et l'amplification des
moyens artistiques. Le système existant (harmonie, notation, rythme,
contenu poétique) est mené jusqu'à ses limites. Le poète subtil se
délecte à Libefrois, le lieu où les muses s'ébattent, qui- ne l'oublions pas - sont des dames!
Nicoletta Gossen