Espris d'amours / Capilla Flamenca
Miniatures flamandes



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medieval.org
www.capilla.be
Musique en Wallonie MEW 1157
2011







01 - Pierre FONTAINE. Mon cuer pleure   [3:33]

02 - Johannes PULLOIS. Les larmes   [1:24]

03 - Guillaume Du FAY. Missa L'homme armé, Kyrie   [4:06]

04 - Robert MORTON. L'ome armé / Il sera pour vous   [2:10]

05 - Richard de Bellengues dit CARDOT. Pour une fois et pour toute ma vie   [2:17]

06 - Gilles BINCHOIS. Espris d'amours   [1:37]

07 - Or sus amans [Bruxelles, CMM 370]   [2:41]

08 - Guillaume MALBECQUE. Quant de la belle me parti   [6:48]

09 - Antoine BUSNOIS. Victimæ paschali laudes   [5:45]

10 - Gilles BINCHOIS. De plus en plus   [4:19]

11 - Walter FRYE. Ave Regina   [1:59]

12 - Walter FRYE. O florens rosa   [3:10]

13 - Guillaume Du FAY. Ave Regina cœlorum III   [6:38]

14 - Guillaume Du FAY. Se la face ay pale   [4:16]

15 - Nicolas GRENON. La plus jolie et la plus belle   [1:25]

16 - Gilles BINCHOIS. Se je souspire, plains et pleure   [4:47]

17 - Guillaume Du FAY. Lamento sanctæ matris ecclesiæ Constantinopolitanæ   [3:19]

18 - Johannes PULLOIS. Op eenen tijd in minen zyn   [4:34]





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Capilla Flamenca
Marnix De Cat

Marnix De Cat - contreténor
Tore Denys - ténor
Lieven Termont - baryton
Dirk Snellings - basse

Jan Van Outryve - luth
Liam Fennelly - viole de gambe et vielle
Thomas Baeté - viole de gambe et vielle
Piet Stryckers - viole de gambe
Patrick Denecker - flûtes à bec



Production: Musique en Wallonie · http://www.musiqueenwallonie.be
Enregistrement: décembre 2010 - janvier 2011, Chapelle Saint-Roch, Cloître Mariadal, Hoegaarden
Prise de son: Jo Cops
Montage: Marnix De Cat et Jo Cops
Direction artistique: Marnix De Cat




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ESPRIS D'AMOURS. Miniatures flamandes

L'apogée du livre manuscrit

Âge d'or de l'enluminure flamande, le XVe siècle marque un tournant dans l'histoire du livre manuscrit. Le Siècle de Bourgogne s'inscrit dans les églises gothiques, les retables brabançons, les splendeurs de la musique polyphonique ou la peinture des Primitifs flamands. Mais cette efflorescence artistique voit surtout l'essor sans précédent dans les anciens Pays-Bas méridionaux de l'art de l'enluminure, la peinture des livres. De l'avènement de Jean sans Peur (1404) à la mort de Marie de Bourgogne (1482), des villes opulentes comme Bruges, Gand, Audenarde, Bruxelles, Valenciennes, Lille ou Tournai s'imposent comme de véritables pépinières de copistes et de miniaturistes au centre d'une production écrite d'une qualité exceptionnelle. Prince centralisateur et bibliophile averti, Philippe le Bon, troisième héritier de Bourgogne de la maison de Valois, donne une impulsion définitive aux arts du livre sous toutes ses formes. Depuis plusieurs années, la «lettre» n'est plus l'apanage des religieux. Avec l'Asseuré ou le Travaillant comme l'appellent les chroniqueurs contemporains, elle acquiert ses titres de noblesse. Pour satisfaire son goût du faste et justifier ses aspirations politiques, le Grand duc d'Occident se tourne vers les meilleurs artistes de son temps. Féru de lettres antiques et de textes classiques, son fils Charles le Téméraire poursuit cette quête du Beau. Le mécénat des ducs et de leurs épouses correspond à un type de manuscrit bien défini, largement répandu: des forts volumes le plus souvent couchés sur parchemin en langue vernaculaire, copiés dans une bâtarde bourguignonne et pourvus de nombreuses illustrations. Dans leur sillage, les dignitaires de l'Ordre de la Toison d'or mais également la noblesse d'épée, les ecclésiastiques, les bourgeois, les marchands et le patriciat urbain, toutes les catégories sociales aisées ou presque, passent commande auprès de miniaturistes de talent. Des artistes comme Liévin Van Lathem, Willem Vrelant, Jehan le Tavernier, le Maître de Wavrin ou Simon Marmion s'attèlent alors sans relâche à la représentation d'ystoires. La réputation de ces miniaturistes n'a rien à envier à l'époque aux peintres Roger Van der Weyden, Hans Memling ou les frères Van Eyck.

Par ailleurs, le XVe siècle correspond à l'émergence d'écrits inédits ou jusque là moins diffusés. Même si les ouvrages de dévotion restent de mise, le monde laïc s'instruit alors dans des chroniques, des chansons de geste, des épopées chevaleresques, des romans ou des traités cynégétiques. Au fil des pages, les lecteurs plongent au cœur d'un imaginaire médiéval peuplé de héros et de légendes où Alexandre le Grand et Charlemagne côtoient Reynaert le goupil, des anthropomorphes, des licornes et des sirènes malveillantes.

Loin de l'idée, tenace mais inexacte, d'un univers médiéval dominé uniquement par le «fait» religieux et la mystique, la littérature de l'époque recèle quantité d'ouvrages profanes, devenus depuis des références obligées du patrimoine européen. On peut en citer quelques-uns comme l'Histoire de Jason, les Douze Dames de Rhétorique de Georges Chastellain, le Décameron de Boccace, les Chroniques de Hainaut traduites par Jean Wauquelin, le Livre du Roy Modus ou de la Royne Ratio d'Henri de Ferrières, le Renaud de Montauban ou encore les Métamorphoses d'Ovide. La plupart de ces récits font la part belle aux faits historiques et aux préceptes didactiques ou philosophiques mais portent aussi une part importante de merveilleux. Des textes comme l'Épître d'Othéa de Christine de Pizan ou l'Image du monde de Gossuin de Metz par exemple offrent alors aux miniaturistes un corpus d'êtres fabuleux qui n'a rien à envier aux bestiaires, aux fables ou aux encyclopédies. Leurs allégories, leurs descriptions des contrées inconnues mettent en scène quantité de monstruosæ gentes, comme les Himanopodes marchant sur les genoux, les Cynocéphales, les Sciapodes dont la seule jambe se termine par un pied gigantesque ou les Astomi sans bouche.

À l'aube du XVe siècle, le marché du livre passe aux mains des laïcs. Désormais bien organisée, la production des manuscrits échappe aux monastères pour s'installer dans les villes. Des gildes se forment pour établir des statuts et imposer des obligations, liées notamment la durée de l'apprentissage et à l'obtention de la maîtrise. À Bruges, la gilde de Saint-Jean l'évangéliste, fondée en 1454 à l'abbaye d'Eeckhout, regroupe outre les miniaturistes, toutes les personnes concernées par le marché du livre. Les parcheminiers se mêlent aux relieurs et aux copistes. Dans la plupart des autres métropoles comme Gand ou Bruxelles, les enlumineurs des pays de par-delà rejoignent les Métiers de peintres, de verriers, de tapissiers ou de sculpteurs. Après paiement d'une cotisation, ils ont le droit d'utiliser des matériaux coûteux comme l'or, l'argent, l'azur et toutes couleurs fines pour autant que icelle enluminure soit faicte sur papier, parchemin, velin ou avortin, et non autrement. Quelques privilégiés parviennent à se soustraire à ce cadre rigide et entrent au service d'un prince, avec le titre envié de varlets de chambre. En réalité, la production des codices répond à une pluralité de cas d'espèces. Pour des commandes de prestige, plusieurs collaborateurs peuvent se partager le travail, mais certains préfèrent travailler seuls de façon itinérante. D'autres se fixent dans les grandes villes en s'appuyant sur des apprentis. Dans le même temps, les livres circulent. Copiés en un endroit, ils peuvent être peints dans un autre, au gré du commanditaire. En aval, les libraires disposent souvent sur leurs étals ou dans leur échoppe de manuscrits prêts à la vente pour satisfaire rapidement une clientèle de plus en plus diversifiée. Des ouvrages courants, comme les livres d'heures ou les traités de dévotion, se font parfois en série d'après des modèles entendus auxquels il suffit d'apporter des aménagements de détail en fonction des acheteurs. Reste que pour l'essentiel, l'enluminure dans les Flandres au XVe siècle se distingue par des artistes hors du commun qui mettront leur talent et leur imagination au service de textes novateurs. Ils feront de ces décennies une des périodes marquantes de la peinture occidentale.

Bernard BOUSMANNE




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Une fameuse miniature: Du Fay et Binchois

Au cœur de ce programme se trouvent deux musiciens immortalisés l'un à côté de l'autre par une mémorable miniature: Guillaume Du Fay et Gilles Binchois [Illustration 2].

Vers 1430 se produisit dans le monde musical européen une évolution dont deux contemporains ont relevé l'importance. Le premier de ces témoignages apparaît dans un vaste poème dédié vers 1440 au duc de Bourgogne, Philippe le Bon, le Champion des dames de Martin Le Franc. Au sein d'un long débat entre deux protagonistes du poème qui s'affrontent sur la question de la décadence ou du progrès de la civilisation, «l'Auteur», défenseur de la seconde thèse, humaniste, prend pour exemple l'art musical. Il souligne notamment que les artistes qui, comme «Tapissier, Carmen, Cesaris», avaient ébahi «tout Paris» au début du siècle, «onques jour ne deschanterent [ne chantèrent en polyphonie] / En melodie de tel chois [...] / Que G. du Fay et Binchois», car ces derniers «ont nouvelle pratique / De faire frisque concordance [une harmonie joyeuse] [...] / Et ont pris de la contenance / Angloise et ensuÿ [suivi] Dunstable», ce qui «Rend leur chant joyeux et notable». Cette évocation poétique des innovations de deux compositeurs nés vers 1400 et influencés par la musique anglaise trouva un écho des plus autorisés quelque trente ans plus tard, sous la plume du principal théoricien de la musique d'alors, Jean Tinctoris, qui précise: «la discipline de notre musique a pris un développement si merveilleux qu'elle semble être un art nouveau. On considère que le fondement et l'origine de cet art nouveau [...] se trouvaient chez les Anglais, avec Dunstable à leur tête; ses contemporains furent, en France, Dufay et Binchois, suivis immédiatement par les modernes Ockeghem, Busnois, Regis et Caron».

Au-delà de la richesse et de la rareté des informations fournies par les six strophes de Martin Le Franc sur la musique du début du XVe siècle, leur célébrité dans l'histoire de la musique a été démultipliée par une des copies du poème. Dans le second manuscrit offert à Philippe le Bon, copié à Arras en 1451 par un clerc qui avait auparavant chanté à la chapelle pontificale de Rome au côté de Guillaume Du Fay, la strophe citant Du Fay et Binchois est ornée d'une miniature qui représente les deux compositeurs en pleine discussion. Reproduite dans la plupart des histoires de la musique, cette image est le premier véritable portrait de musiciens de l'histoire. En représentant (avec une légende explicative) «maistre Guillaume Du Fay» à côté d'un orgue et (simplement) «Binchois», nonchalamment appuyé sur une harpe, le peintre fait manifestement allusion à la production et à la réputation des deux comparses. Tous deux s'illustrèrent dans tous les genres musicaux de leur temps, aussi bien profanes que religieux, mais Binchois fut avant tout le maître de la chanson courtoise, pratiquée dans les chambres princières en compagnie des instrumentistes de la cour - dont les «harpeurs», ou harpistes -, tandis que Du Fay, chanoine de Cambrai, ne cessa de composer, tout au long de sa vie, des motets et des messes dont l'ampleur et l'inspiration rythment la création musicale du XVe siècle.


Les miniatures musicales des chansons «bourguignonnes»

C'est dans l'environnement de la cour de Philippe le Bon que la chanson sur texte français connut un nouvel âge d'or, autour du principal compositeur de la cour à compter de 1430 environ, Gilles de Binche dit Binchois, et de plusieurs de ses collègues (Nicolas Grenon, Pierre Fontaine, Richard de Bellengues dit Cardot). Cet art souvent qualifié de «chanson bourguignonne» par les musicologues émergea dès les années 1420. Il se caractérise globalement par une simplification du discours musical, qui avait atteint autour de 1400 des sommets de complexité, notamment en matière de rythme et de notation. Le nouveau style privilégie, lui, la forme brève et répétitive du rondeau, organisé en quelques phrases de durée équivalente et clairement délimitées par des cadences, ainsi qu'une élégante ligne vocale supérieure, à la mélodie généralement conjointe et aux rythmes fluides et réguliers, presque toujours ternaires et souvent dansants. De ce répertoire ressort une impression de douce gaieté qui ne peut que rappeler la «frisque concordance» et le «chant joyeux» évoqués par Martin Le Franc.

Les textes mis en musique ne célébraient certes pas tous l'amour courtois sur un mode aussi joyeux et serein que dans La plus jolie et la plus belle de Nicolas Grenon, ou dans les «chansons de moi» que l'on composait pour les fêtes célébrant le retour du printemps, comme Or sus, amans. Mais pour chanter les tourments du dépit amoureux, l'expression musicale demeurait contenue dans un registre doucement mélancolique, qui devint avec le temps (et le vieillissement du duc et de son entourage?) la tonalité poétique et musicale dominante des chansons en vogue.




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Musique religieuse et politique

Tous les compositeurs du XVe siècle, y compris ceux qui n'ont laissé à la postérité que des chansons d'amour, gagnaient leur vie en chantant lors de services religieux quotidiens, au sein de petits chœurs dont les plus prestigieux étaient les chapelles princières, à commencer par celle de Philippe le Bon, dont une miniature des années 1450 a conservé l'image [Illustration 9]. Cet environnement est directement évoqué par une chanson humoristique de Robert Morton, compositeur anglais de la chapelle de Philippe le Bon, qui superpose une mélodie alors fameuse, le thème de L'homme armé, et un rondeau adressé à un autre chantre de la chapelle, nommé Simon Le Breton, ironiquement décrit en combat singulier contre le Grand Turc.

Dans les années qui suivirent la prise de Constantinople par les Turcs (1453), les princes chrétiens multiplièrent les promesses de croisade, comme lors du fastueux Banquet du Faisan organisé à cette intention en 1454 par Philippe le Bon à Lille. La Lamentation sur la chute de Constantinople de Du Fay ne fut sans doute pas chantée alors, mais le compositeur en était suffisamment fier pour écrire à Piero de' Medici à Florence: «j'ai fait cet an passé quatre lamentations de Constantinople qui sont assez bonnes». La seule de ces lamentations qui nous a été conservée combine un poème français à un cantus firmus tirés des Lamentations de Jérémie.

Ce mélange d'éléments religieux et profanes, produisant une multiplication des niveaux de lecture des œuvres, devint à cette période un principe central de la composition musicale. À partir de 1460 ou peu avant, les plus grands compositeurs européens se mirent ainsi à composer des messes sur le thème de L'homme armé. Comme le laisse entendre la chanson de Morton, cette monodie d'une origine inconnue, dont le texte est un appel aux armes, semble avoir été associée avec les appels à la reconquête de Constantinople. La messe de Du Fay fut sans doute une des toutes premières composées sur ce thème.

Contrairement à son collègue Binchois, qui demeura fidèle à la cour de Bourgogne pendant un quart de siècle, Guillaume Du Fay multiplia les voyages, servant plusieurs princes italiens, la chapelle du pape à Rome et celle du duc de Savoie, avant de se retirer peu avant 1460 dans l'église où il avait été formé: la cathédrale de Cambrai. Il y composa son troisième et dernier Ave Regina cœlorum. Cette œuvre conçue pour être chantée autour du lit de mort du compositeur demeure une des plus poignantes expressions musicales des aspirations et des angoisses les plus intimes d'un homme de ce temps.

David FIALA



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