Que je chatoulle ta fossette / Doulce Mémoire
Pierre ATTAINGNANT. Danceries





arkivmusic.com
Ricercare RIC 294

Enregistrement: réfectoire de l'Abbaye de Fontevraud, février et avril 2009
Prise de son et direction artistique: Jérôme Lejeune
& Grégory Beaufays (pièces pour chant, luth et harpe)










01 - Basse dance La Magdalena & Tourdion   [3:06]
Premier Livre de Danceries, 1530 · hautbois

02 - Première suytte de Bransles d'Escosse   [3:27]
Septième Livre, 1557 · flûtes à bec, violons

03 - [5:25]
Pavane
Quart Livre, 1550 · flûtes à bec colonnes
Pavane La sguizera, Gaillardes 10 et 15
Premier Livre, 1530 · flûtes à bec colonnes

04 - Prélude   [1:31]
Très brève et familière introduction pour entendre et apprendre par soy même
à jouer toute chanson reduite en la tablature du luth, 1529
luth

05 - Claudin de SERMISY. Amour pense que je dorme   [2:56]
chant, harpe, luth


06 - Pavane 18   [1:14]
Quatorze Pavanes...,
le tout réduit de musique en la tablature du jeu d'Orgue, Espinette et Manicordion
et telz semblables instruments musicaux, 1531
harpe

07 - Allemande Et d'où venez vous, Madame Lucette & Allemandes 2, 6, 5, 4   [4:46]
Toisème Livre, 1557 · violons, flûte à bec

08 - [4:12]
Branle gay Que je chatoulle ta fossette & Branles gays 28, 23, 42
Deuxème Livre, 1547 · violons, flûtes à bec
Branle gay 7
Cinquième Livre, 1550 · violons, flûtes à bec

09 - Claudin de SERMISY. Auprès de vous   [1:44]
chant, harpe, luth


10 - Basse dance Auprès de vous   [2:15]
Deuxème Livre, 1547 · harpe, luth

11 - Basse dance Le corps s'en va   [1:20]
Dix huit Basses dances garnies de recoupes et tordions..., 1530
harpe, luth

12 - Pierre SANDRIN. Réveillez vous, mes damoyselles   [1:25]
chant, harpe, luth


13 - Pavane première & Gaillarde première   [3:44]
Septième Livre, 1557 · violons

14 - Basse dance La brosse   [2:55]
Premier Livre, 1530 · hautbois

15 - Bransles de Poictou   [3:51]
Cinquième Livre, 1550 · flûtes à bec, violons

16 - Bransles de Bourgogne   [3:04]
Troisème Livre, 1557 · flûtes à bec, violons

17 - Pavane   [3:01]
Dix huit Basses dances garnies de recoupes et tordions..., 1530
luth, harpe

18 - Claudin de SERMISY, Adrian PETIT COCLICO. Languir me fais   [2:14]
chant, harpe, luth


19 - Gaillarde   [1:07]
Quatorze Pavanes.., 1531
luth, harpe

20 - [4:01]
Pavane
Premier Livre de Danceries · violons
Pavane des Dieux, Gaillarde
Sixième Livre, 1555 · violons

21 - Pierre SANDRIN. M'amye est tant honneste   [1:48]
chant, harpe, luth


22 - Pavane M'amye est tant honneste & Gaillarde   [1:47]
Quart Livre, 1550 · luth, harpe

23 - Pavane 19   [1:25]
Quart Livre, 1550 · luth, harpe

24 - [6:02]
Basses dances 3 & 1
Premier Livre de Danceries · flûtes à bec colonnes
Tourdions 8, 9 & 39
Deuxème Livre, 1547 · flûtes à bec colonnes

25 - Basse dance La gatta & Basse dance La scarpa my faict mal   [5:32]
Premier Livre, 1530 · violons, flûtes à bec colonnes




Doulce Mémoire
Denis Raisin Dadre


Paulin Bündgen, dessus mué
Hélène Houzel, dessus et haute-contre de violon
Sophie Cerf, taille de violon
Françoise Rojat, quinte de violon
Mathurin Matharel, basse de violon
Denis Raisin Dadre, dessus de flûte à bec et taille de hautbois
Elsa Frank, taille de flûte à bec et dessus de hautbois
Johanne Maître, taille de flûte à bec et de hautbois
Jérémie Papasergio, basse de flûte à bec et de hautbois
Pascale Boguet, luth
Angélique Mauillon, harpe simple
Bruno Caillat, percussions









Avec cet album, nous retrouvons l'imprimeur de François Ier, Pierre Attaingnant, auquel noms avions consacré notre premier enregistrement «Chansons et danceries» en 1995.

Quinze ans après, il est intéressant de mesurer le chemin parcouru. En 1995, Doulce Mémoire jouait encore à 440 Hertz. En 2001, nous avons adopté le diapason haut à 464 Hertz avec l'album «Le siècle du Titien». En 2005, toujours plus haut avec 520 Hertz pour la bande d'instruments vent dans le «Grand bal à la cour d'Henri IV» et toujours plus bas avec le diapason à 392 Hertz pour l'enregistrement des «Meslanges» de Du Caurroy.

Cette recherche permanente sur les diapasons, les couleurs spécifiques de la Renaissance et l' organologie est une de nos grandes passions. Régulièrement, nous intégrons une nouvelle famille d'instruments: les tournebouts, les bassons, les haultboys, les ensembles de flûtes à 520 et 392 Hertz, la harpe renaissance, la bande de violons, le lirone, le bassanello, composent maintenant une riche palette; mais d'autres surprises se préparent...

Aujourd'hui, nous pouvons réaliser cette mixité de diapasons qui respecte les couleurs propres des instruments. Nous vous proposons les véritables saveurs de la Renaissance comme les restaurateurs vous proposent les véritables couleurs du Cinquecento, en enlevant les repeints et les vernis du XIXe siècle sur les fresques de Michel-Ange. Cet album est donc, pour filer la métaphore, une invitation a déguster ces saveurs instrumentales et vocales comme un bon vin ou un très bon thé dans l'entrain, la joie et l'énergie qui caractérisent cette Renaissance heureuse.


Denis Raisin Dadre
Tours, décembre 2009

Les Danceries de Pierre Attaingnant


Paradoxe étrange de l'histoire de la musique, il est fréquent en ce qui concerne la Renaissance que notre mémoire attribue la paternité de certaines œuvres non pas aux compositeurs, mais bien aux éditeurs. C'est le cas de bon nombre de recueils musicaux publiés par Pierre Attaingnant à Paris, Jacques Moderne à Lyon, Tielman Susato ou Pierre Phalèse à Anvers.

Si, d'une part, le principe du «droit d'auteur» n'existait pas à cette époque, d'autre part l'éditeur, nanti de ce tout nouveau savoir-faire de l'impression musicale, pouvait se présenter à son public comme un véritable créateur!

C'est en 1528 que Pierre Attaingnant met au point un nouveau procédé d'impression musicale avec des caractères mobiles qui comportent à la fois les lignes de la portée et les notes. Ce système rapide a toutefois le désavantage que les lignes des portées ne sont pas tout à fait parfaites et présentent de nombreuses irrégularités d'alignement entre ces différentes petites sections. Avec son titre d' «Imprimeur et libraire en musique du roy» (1537), Attaingnant conforte sa notoriété. Jusqu'à sa mort en 1553, il ne publiera pas moins de cent cinquante recueils. C'est sa veuve Marie Lescallopier qui prolongera son activité à une époque où d'autres imprimeurs de musique commencent à lui faire ombrage dans la capitale française.

La majorité des publications est évidemment faite de pièces vocales profanes et religieuses. Mais Attaingnant est aussi attentif à l'émergence de la musique instrumentale; plusieurs recueils sont destinés aux instruments, qu'il s'agisse des claviers (orgue, épinette, manicordion) ou du luth pour lequel il publie même en 1529 la toute première méthode connue. Les pièces destinées aux instruments sont majoritairement des danses et des adaptations de chansons.

En ce qui concerne le jeu des autres instruments mélodiques, le répertoire proposé par Pierre Attaingnant est exclusivement consacré à celui des danses. Sept Livres de Danceries seront édités entre 1530 et 1557. Ce n'est que bien plus tard, à l'aube du XVIIe siècle, que l'on verra apparaître dans le répertoire instrumental français les fantaisies de caractère plus complexe (voir à ce sujet le disque consacré à ce répertoire: RIC 284).

Il est d'ailleurs intéressant de noter que ce répertoire de musique de danse, adapté pour les instruments à quatre ou cinq voix, constitue une part majeure du répertoire instrumental polyphonique de la première moitié du XVIe siècle, tant en France, qu'en Italie ou aux Pays-Bas. De plus, il semble également circuler et bénéficier d'un intérêt international. Une fois de plus, l'absence de la notion de droit d'auteur fait que certaines de ces pièces figurent, avec quelques variantes, dans les publications italiennes, françaises ou néerlandaises. C'est ainsi que, dans la sélection de cet enregistrement, se trouvent trois basses danses d'origine italienne: La gatta en italien, La scarpa my faict mal et La Magdalena.

L'origine de ces pièces est très variée. Celles-ci proviennent d'abord du répertoire de danse dont on peut trouver de nombreuses sources dans des documents de la fin du XVe siècle, principalement les «basses dances» italiennes basées sur des «ténors» autour desquels les instrumentistes improvisaient. Les harmonisations à quatre ou cinq voix publiées au XVIe siècle sont sans doute destinées à des instrumentistes qui ne possèdent ni le talent des improvisateurs, ni leur dextérité. Néanmoins, on peut aussi les considérer comme des partitions de base qui permettent aux instrumentistes les plus imaginatifs (comme ceux de Doulce Mémoire) de se livrer à toutes sortes d'ornementations!

Il est tout aussi intéressant de constater que ces danceries proviennent de répertoires d'origines sociales diverses, les basses dances, puis les pavanes et gaillardes provenant des milieux aristocratiques, les bransles, souvent mentionnés selon leur région d'origine (Champagne, Bourgogne, Poitou...) étant des pièces populaires.

Attaingnant (suivi de son épouse) veut certainement varier les possibilités et peut-être, durant le quart de siècle que couvrent ces publications, suivre l'évolution des goûts. Ainsi, les basses dances et tourdions ne se trouvent que dans les deux premiers livres qui semblent donc consacrés à ce répertoire plus ancien, presque démodé.

Il semble qu'Attaingnant ait particulièrement soigné l'édition du Deuxième Livre. Il est non seulement le plus complet et le plus varié, mais l'éditeur insiste aussi sur le principe de l'ordonnance des pièces: Second Livre contenant trois gaillardes, trois pavanes, vingt trois bransles tants gays, simples, que doubles, douze basses dances et neuf tourdions, en somme cinquante, le tout ordonné selon, les huict tons et nouvellement imprimé en musique à quatre parties en ung seul livre.

La datation du Troisième Livre est problématique. En effet, c'est bien l'année 1557 qui est mentionnée, date qui se situe après le décès d'Attaingnant. Serait-ce une réédition d'un Troisième Livre publié avant 1550 et dont nous aurions perdu toute trace? Ou tout simplement la veuve Attaingnant aurait-elle profité d'une erreur dans la numérotation établie par son défunt mari pour compléter la collection?

Les deux recueils de 1550 (Quatrième Livre et Cinquième Livre) sont complémentaires, le premier ne contenant que des pavanes et des gaillardes, le second consacré exclusivement aux bransles gay et bransles de Poitou et de Champagne.

Par contre, les recueils édités par Marie Lescallopier sont tous organisés de la même façon: ils comportent quelques pavanes et gaillardes et majoritairement des branles, variant les origines régionales: Écosse, Bourgogne et ajoutant les allemandes qui apparaissent pour la première fois dans le Troisième Livre. Cette conception uniforme du contenu des Troisième, Sixième et Septième Livres plaide aussi en faveur de la confirmation de la datation de 1557 pour le Troisième Livre.

On peut aussi se poser la question de savoir qui est l'auteur de ces mises en polyphonies. Si les deux premiers livres ne permettent pas de répondre à cette question (Attaingnant serait-il lui-même l'arrangeur?), à partir du Quatrième Livre, un nom apparaît: il s'agit de Claude Gervaise. On ne sait que très peu de choses à propos de ce dernier sinon qu'il devait sans doute être également instrumentiste, ainsi qu'en témoigne une publication, hélàs! perdue, d'un Premier Livre de Violle contenant dix chansons, publié en 1547 et qui serait la première mention connue en France de l'usage de la viole de gambe. La veuve Attaingnant n'a pas hésité à lui conserver sa confiance pour la réalisation des Troisième et Sixième Livres.               

C'est enfin à Etienne du Tertre, connu également comme organiste, que la veuve Attaingnant confie la réalisation du Septième Livre. Celui-ci est intéressant à de nombreux égards. Les six pavanes et gaillardes sont toutes composées de la même façon: chaque fois, le même matériel thématique est utilisé, en rythme binaire pour les pavanes et en rythme ternaire pour les gaillardes. Certes le procédé se trouvait déjà dans les recueils de Gervaise, mais pas d'une façon aussi systématique. D'autre part, les bransles sont groupés en «Suytte». C'est apparemment la plus ancienne trace de la mention de cette pratique qui va gérer l'essentiel de la musique instrumentale des générations futures, et qui deviendra une identité de la musique française: la «Suite».

Parmi les origines de ce répertoire de danses, il faut aussi mentionner le fait que bon nombre d'entre elles sont également connues sous forme de chansons. C'est le cas, par exemple, de la chanson M'amye est tant honneste et saige dont on connaît une version à quatre voix, une Pavane et une Gaillarde basées sur le même thème.

Le titre donné à certaines danses laisse aussi supposer qu'il s'agit de pièces adaptées au départ de chansons, telle celui du Bransle Gay Que je chatoulle ta fossette (qui sert de titre à cet enregistrement): une chanson dont on a perdu la trace mais dont le titre permet de supposer l'existence d'un texte assez grivois!

Pour cet enregistrement, quelques lignes de conduite ont motivé les choix de Doulce Mémoire. La sélection des pièces a été faite selon leurs caractères et organisée en «suites» qui puisent parfois dans différents recueils. Le respect des exigences de la pratique de la danse et la longueur accordée ainsi à ces suites permettent aussi de les rendre aptes à servir également le plaisir des danseurs.

Si deux pièces jouées sur les hautbois (chalemies et bombardes) servent d'évocation festive des musiques de plein air, c'est principalement dans le domaine des «bas instruments» qu'ont été faits les choix instrumentaux en utilisant, non pas en rassemblant plusieurs familles d'instruments dans des ensembles mixtes, mais bien en les réunissant chaque fois de façon homogène, toutes les voix de la polyphonie étant confiées à la même famille.   

Devant l'abondance des possibilités d'instrumentation, les choix se sont portés sur quelques solutions bien caractéristiques. Tout d'abord, le choix des violons qui sont de toute évidence les instruments les mieux adaptés à la musique de danse. Et ici il s'agit, non pas de violons baroques «passe partout», mais bien d'un quatuor d'instruments qui correspondent exactement à ceux qui étaient utilisés dans les orchestres de danse français de la Renaissance, telle la Bande des XXIV violons du roi. Trois de ces instruments (haute-contre, taille et quinte de violon) ont été conçus par Anthoine Laulhère et Giovanna Chitto, sur commande du Centre de Musique Baroque de Versailles, et mis à disposition de Doulce Mémoire pour cet enregistrement. Doulce Mémoire a également utilisé deux ensembles de flûtes à bec. Outre un quatuor d'instruments de Henri Gohin inspiré d'un modèle unique conservé à la Cité de la Musique de Paris, l'ensemble a pu bénéficier du prêt du quatuor de «flûtes colonnes» commandé au même facteur par la même institution (voir notice ci-après). Le luth et la harpe sont accompagnateurs du chant, mais aussi interprètes des réductions et tablatures qui constituent également une part importante des publications d'Attaingnant qui, à côté des sept Livres de Danceries, font aussi la place belle à ce répertoire.

Jérôme LEJEUNE

Les diapasons


Pour jouer, un musicien commence généralement par accorder son instrument. Aujourd'hui, la norme pour un La3 varie quelque peu autour de 440 vibrations par secondes (Hertz), hauteur acceptée internationalement seulement depuis la décision d'une conférence internationale qui s'est tenue à Londres en 1953! Il a fallu en effet décider d'une hauteur standard, car jusque-là plusieurs diapasons cohabitaient. Lorsque les luthiers se sont intéressés aux instruments anciens conservés dans les musées du monde entier, ils ont souvent voulu les adapter au diapason moderne par commodité, souvent au risque de dénaturer le timbre propre à l'instrument. Aujourd'hui, dans le but de tenter de retrouver toutes les palettes sonores anciennes, il s'est avéré qu'il devenait indispensable de fabriquer les copies d'instruments en respectant leur diapason d'origine.

En ce qui concerne le choix des instruments utilisés dans le répertoire français de la Renaissance et du début du XVIIe siècle, l'étude minutieuse de L'Harmonie universelle de Marin Mersenne a permis de traduire les longueurs (donc les diapasons) d'une majorité d'instruments. Il en résulte deux diapasons, deux «tons»: un ton haut et un ton de chapelle. Le diapason haut se situerait environ une tierce au-dessus de notre La actuel, soit environ 520 Hertz alors que le diapason bas sonne une quarte en dessous, soit environ 392 Hertz.

Cette proximité de quarte permettait à tous les instruments de jouer ensemble par le biais d'une transposition courante et aisée. Ainsi, dans cet enregistrement, les flûtes à bec jouent une quarte en dessous pour rejoindre les violons et ces derniers une quarte plus haut pour s'accorder aux flûtes. Pour cet enregistrement, nous avons appliqué ces principes aux familles instrumentales suivantes ce qui a permis également de retrouver ces timbres instrumentaux dans les conditions optimales.

Quatuor de flûtes à bec (520 Hertz)
Reconstitué d'après une flûte anonyme, unique dans son genre (conservée au Musée de la Musique de Paris) considérée comme une taille (ténor) en do. Les autres instruments ont été reconstitués sur les proportions de cet instrument original: un dessus en sol, deux tailles en do et une basse en fa. Ces flûtes sont caractérisées par leur «attaque» précise qui rappelle celle d'un jeu de «principal» d'orgue.

Ensemble de Hautbois (520 Hertz)
Souvent appelé chalemies et bombardes par assimilation avec la terminologie allemande, la majorité des hautbois de la Renaissance conservés sonne aussi à des diapasons hauts. La basse de la famille sonnant à l'octave de la taille (alto) a été reconstituée d'après les informations de Mersenne, car on ne connaît pas d'originaux. Il en résulte un ensemble brillant et très homogène.

La bande de violons (392 Hertz)
L'ensemble des violons qui apparaît dans la tradition des bals de cour français est à la fois profond et clair, car il sonne au ton de chapelle, mais lit dans les clefs aiguës. L'ensemble est composé d'un Dessus (mi-la-ré-sol), de trois instruments pour les voix intérieures, Haute-contre, Taille et, pour la musique à cinq parties, d'une Quinte (ces trois instruments, sans doute de tailles différentes, accordés de la même façon: la-ré-sol-do), et d'une Basse (sol-do-fa-sib ou ré-sol-do-fa-sib). Ce diapason bas, l'absence de deuxième violon, et l'utilisation de la basse en sib n'étaient donc pas une nouveauté dans l'orchestre de Lulli!

Ce même problème de diapason peut aussi être envisagé pour le choix des chanteurs ce qui est le cas pour cet enregistrement. On parle alors de «Dessus mué»: souvent confondu dans les textes avec le cornet à bouquin, il n'est autre qu'un chanteur masculin ayant mué (donc pas castré!). Il chante les dessus en clef d'ut 1e (à ne pas confondre non plus avec la voix de haute-contre, qui chante en clef d'ut 3e).

Jérémie PAPASERGIO

Les flûtes colonnes du Musée de la Musique (Paris)


Depuis son ouverture en 1997, le Musée de la Musique a développé une politique de construction d'instruments fac-similés de ses collections afin de répondre aux besoins des manifestations culturelles (concerts, enregistrements, animations). Le principe consiste à préférer la reproduction ou la reconstitution de certains instruments aux périlleuses restaurations des originaux entreprises dans le passé, qui avaient l'inconvénient d'altérer, presque toujours de façon irréversible, l'authenticité des instruments. Autant un instrument des collections, entré au Musée en bon état, peut être remis ponctuellement en état de jeu, autant certains, parmi les plus anciens et donc les plus rares ne, pourraient plus sonner sans le remplacement de parties essentielles.

Reconstituer un quatuor de flûtes à bec Renaissance, afin de faire sonner dans les meilleures conditions les polyphonies raffinées des maîtres du XVI siècle, s'inscrit dans cette démarche. Denis Raisin Dadre, sollicité sur le choix des modèles, proposa sans hésiter les fameuses flûtes colonnes dont le Musée possède deux exemplaires: un ténor et une basse. Comme ces instruments sont définitivement hors d'état d'être joués (déformations diverses, biseaux abîmés), la solution du fac-similé s'est imposée.

Ces rarissimes flûtes ont été fabriquées très vraisemblablement par Hans Rauch von Schratt, membre d'une famille de facteurs active au XVIe siècle en Allemagne du Sud et à Hambourg. Elles sont toutes deux construites selon le même principe: un conduit replié sur lui-même est foré dans le corps en érable de chaque flûte, faisant ainsi gagner une quarte dans le grave, comme sur un basson. Ces instruments, avec chapiteau et base, se jouaient posés sur une table. Vus dans la position verticale, ces flûtes font penser aux colonnes d'un temple, d'où le nom qui leur est donné aujourd'hui. Par ailleurs, une flûte alto du même facteur est conservée au Musée des Instruments de musique (MIM) de Bruxelles. La reconstitution en fac-similé d'un quatuor constitué d'un alto, de deux ténors et d'une basse devenait alors possible.

L'étude et la réalisation furent confiées au facteur Henri Gohin. Les instruments fabriqués en 2001 sont extrêmement proches des originaux, jusque dans le respect du diapason (La 392 Hertz) ce ton de chapelle qui leur confèrent ainsi noblesse et majesté. Le Musée de la Musique peut aujourd'hui s'enorgueillir, non seulement de pouvoir faire écouter à son public d'aussi beaux instruments, mais encore de les voir joués et enregistrés par l'ensemble Doulce Mémoire, sans qui ce projet n'aurait pas vu le jour.

Joël DUGOT
Conservateur au Musée de la Musique