Renaissance Winds / Doulce Mémoire
Regal and Popular 16th Century Music for Wind Band





medieval.org/
Dorian DOR-90261
Recorded at the Troy Savings Bank Music Hall in Troy, NY in January 1998







01 - Pavanes II & III, à 5   [2:27]
02 - Galliarde, à 5   [1:17]
Claude GERVAISE, ed.
Quart Livre de Danceries, Paris, Pierre Attaingnant, 1550

03 - JOSQUIN. Cueurs desolez, à 5   [1:55]
04 - JOSQUIN. Plaine de dueil, à 5   [2:03]
Le Septiesme Livre, contenant vingt & quatre chansons..., Anvers, T. Susato, 1545.

05 - (incerto). T'meiskin was jonck, à 4   [2:39]
Harmonice Musices Odhecaton A, Venezia, O. Petrucci, 1501, f. 29'-30

06 - Henrich ISAAC. La Spagna, à 4   [6:03]
Milano, Fabbrica del Duomo, Librone II

07 - Fortuna disperata, à 4  [Bologna Q 18]   [3:42]
Bologna, Civico Museo Bibliografico Musicalee, Codex Q 18 (ca. 1502), f. 28'-29

08 - HENRY VIII. Taunder naken, à 3   [2:03]
London, British Museum, Mus. Add. Ms. 31922, f.82'

09 - Petrus ALAMIRE. T'andernacken, à 5   [2:20]
Wien, Österreichische Nationalbibliothek, Ms. 18810

10 - Ludwig SENFL. Tandernac II, à 5   [2:28]
Hundert und ainundzweintzig newelieder, J. Ott, Nürnberg, 1534

11 - Almande d'amour, à 4  [ed. Phalèse]   [2:03]
12 - Suite de Branles simples, à 4  [ed. Phalèse]   [3:59]
13 - Branles gays, à 4  [ed. Phalèse]   [1:20]
Pierre PHALÈSE, ed.
Chorearum Molliorum [...], Recueil de Danseries [...], Anvers, Pierre Phalèse, 1583

14 - [2:38]
Pavane d'Angleterre, à 5
Claude GERVAISE, ed. & VIème Livre de Danceries, Paris, Pierre Attaingnant, 1550
Estienne du TERTRE. Pavane III, à 5
VIIème Livre de Danceries, 1557

15 - Estienne du TERTRE. Gaillarde, à 5   [1:27]
VIIème Livre de Danceries, 1557

16 - Clément JANEQUIN. L'Alouette (Or sus, or sus), à 4   [2:22]
Chansons de Maistre C. Janequin, Paris, Pierre Attaingnant, 1528

17 - Pavana El bisson, à 4   [2:09]
18 - Gagliarda La traditora, à 4   [1:48]
19 - La Ternerina, à 4   [3:36]
20 - Il Marchese di Saluzzo, à 4   [2:31]
21 - L'Inglese, à 4   [1:12]
München, Bayerische Staatsbibliothek, Mus. Ms. 1503h

22 - Heinrich ISAAC. A la Battaglia, à 4   [3:43]
Firenze, Ms. Panciatichi 27, Biblioteca Nazionale Centrale

23 - Pavane de la Bataille, à 4   [3:29]
24 - Gaillarde de la Bataille, à 4   [1:26]
Pierre PHALÈSE, ed.
Chorearum Molliorum [...], Recueil de Danseries [...], Anvers, Pierre Phalèse, 1583



TITRES SUPERIUS CONTRA TENOR QUINTUS BASSUS
Pavanes II & III Cornet Bombarde Bombarde Sacqueboute Bombarde Percussions
Gaillarde Cornet Bombarde Bombarde Sacqueboute Bombarde Percussions
Cueurs desolez Cornetto muto Doulciane Doulciane Sacqueboute Doulciane
Plaine de dueil Cornetto muto Doulciane Doulciane Sacqueboute Doulciane
T'meiskin Chalémie Bombarde Bombarde
Sacqueboute
La Spagna Chalémie/Cornet Bombarde Bombarde
Sacqueboute Percussions
Fortuna disperata Flûte à bec Flûte à bec Flûte à bec
Flûte à bec
Taunder naken Flûte à bec Flûte à bec
Flûte à bec
T'andernaken Cornet Bombarde Bombarde Bombarde Sacqueboute
Tandernac II Comet Bombarde Bombarde Bombarde Sacquebaute Percussions
Almande d'amour Flûte à bec Flûte à bec Flûte à bec
Flûte à bec
Branles simples Flûte à bec Flûte à bec Flûte à bec
Flûte à bec Percussions
Branles gays Flûte à bec Flûte à bec Flûte à bec
Flûte à bec
Percussions
Pavane d'Angleterre
& Pavane III
Cornetto muto Doulciane Doulciane Sacqueboute Doulciane Percussions
Gaillarde Cornetto muto Doulciane Doulciane Sacqueboute Doulciane Percussions
L'Alouette Flûte à bec Flûte à bec Flûte à bec
Flûte à bec
El Bisson Cornetto Doulciane Doulciane
Doulciane/Sacqueboute Percussions
La Traditora Cornetto Doulciane Doulciane
Doulciane Percussions
La Ternerina Cornetto Doulciane Doulciane Doulciane Percussions
It Marchese di Saluzzo Cornet Doulciane Doulciane
Doulciane Percussions
L'inglese Cornet Doulciane Doulciane
Doulciane Percussions
A la Bataglia Chalémie Bombarde Bombarde
Sacqueboute
Pavane de la Bataille Cornet/Chalémie Bombarde Bombarde
Sacqueboute Percussions
Gaillarde de la Bataille Cornet/Chalémie Bombarde Bombarde
Sacqueboute Percussions



Ensemble Doulce Mémoire

Elsa Frank, flûte à bec, chalémie, bombarde alto, doulciane ténor
Jean-Paul Boury, cornet à bouquin, cornetto muto, flûte à bec
Denis Raisin-Dadre, flûte à bec, bombarde alto, doulciane alto
Franck Poitrineau, sacqueboute ténor
Jérémie Papasergio, flûte a bec, bombardes alto et basset, doulciane basse
Bruno Caillat, tambourins








En cette matinée de Juillet 1508, le jeune Domenico conduisait sa monture vers Bologna. Il n'était plus très éloigné des murailles de la cité lorsque se mirent à sonner les cloches de la cathédrale. A ces sons graves et majestueux se mêlèrent bien vite les timbres clairs et arrogants d'un grand nombre de trompettes qui, installées au sommet de la grande porte ou montées à cheval, donnèrent quelques fanfares militaires. Un premier groupe de musiciens s'avança alors avec force tambours sur la route d'Urbino. Dans cette direction, on percevait au faîte de la première colline un important nuage de poussière, arrachée à la route par les sabots d'un imposant cortège.

Quelques instants plus tard, un nouveau concert de trompettes se fit entendre de la tour, accompagné des clameurs de la foule assemblée sur l'artère principale: le Réverendissime évêque de Bologna parut sur son cheval, encadré de sa garde et précédé de la bande d'instrumentistes du Concerto Palatino. Les musiciens de la cité chevauchaient de belles montures et, vêtus de somptueux costumes, portaient avec fierté les couleurs de la ville aux bannières de leurs instruments. Ils étaient au nombre de six, trois joueurs de bombardes et trois de sacqueboutes qui comptaient parmi les meilleurs musiciens de la Péninsule. C'est assurément aux sommes considérables qu'ils consacrent à la musique que l'on reconnaît la distinction et la grandeur d'un prince ou d'une cité: qui n'a pas entendu parler des prodigieuses chapelles des Sforza, des Este ou de son Excellence le Pape, qui n'a pas envié un jour les concerts de la Sérénissime République ou du palais ducal de Mantova? Les fantaisies coûteuses des puissants sont certes sans limites, mais est-il meilleur moyen de montrer à la face du monde sa noblesse et sa puissance que de se faire précéder par les meilleurs sonneurs de piffari ou que d'offrir au Très-Haut les plus belles louanges chantées que l'esprit puisse concevoir: quel prince aujourd'hui refuserait de sacrifier ses finances pour confier sa chapelle à un Josquin, un Mouton ou un Isaac?

Fort de ces considérations et de la grande estime dont on entourait cette corporation d'élite, Domenico arrêta son cheval sur le passage du cortège pour goûter au mieux le concert qui se préparait. Dans le même temps, la délégation apparue à l'horizon avait achevé son approche et ne se trouvait plus qu'à trente perches des murs de la cité. Le Révérendissime Évêque stoppa sa monture, suivi par tout le cortège. De l'important groupe qui lui faisait face, se détachèrent douze trompettes magnifiques qui sonnèrent très noblement en l'honneur de leur hôte. Ils portaient les armes de la Papauté et annonçaient à la cité l'entrée en ses murs du très éminent Légat pontifical en visite dans les états de l’Église. A ces sonneries répondirent les trompettes bolonaises, puis les piffari du Concerto Palatino sonnèrent une grande Spagna, très puissante et complexe. Les trompettes leur répondirent plus brièvement puis, ayant accompli les saluts et multiples rituels du protocole, les très puissants Seigneurs voyagèrent de conserve vers la cité tandis que reprenaient les fanfares, alternées de pièces très remarquables sonnées aux bombardes. On entendit ainsi quelques compositions nouvelles à quatre et cinq parties, dont certaines, construites sur des chansons bien connues de l'assistance, remportèrent un grand succès: Fortuna disperata, Cent mille escus, De tous bien plen, La Morra...

Les membres de la délégation, précédés des deux groupes instrumentaux et des trompettes traversèrent ainsi dignement la ville jusqu'à la Piazza Maggiore on trônaient, sur un échafaud de bois paré de tentures et de décors peints, les Magistrats de la Cité, les membres de l'Université et du Clergé et tout ce que la ville pouvait compter de personnages importants. La foule innombrable accueillit l'arrivée des dignitaires par de très nombreux cris. Domenico, qui avait poussé sa monture à la suite du cortège, ne perdait rien du spectacle. Il venait à Bologna sur les conseils de son maître pour parfaire sa formation de sonneur d'instruments et c'est aux membres de ce prestigieux Concerto Palatino qu'il souhaitait proposer ses services il jouait avec aisance de la flûte à bec et du cormet, pouvait tenir avec une certaine grâce la partie de ténor sur le livre de chœur puisque, contrairement à nombre de ses concurrents, il maîtrisait la lecture de la polyphonie, et pouvait de surcroît jouer quelques pièces au trombone. Fort de cette expérience qui lui avait déjà valu de travailler quelques temps à Brescia puis à Venezia auprès du fameux Alviso, il espérait convaincre l'un des membres du Concerto de l'accepter chez lui comme élève. Il savait la partie difficile, tant sont exigentes ces corporations qui assurent à leurs membres de très bons emplois et d'excellents salaires, mais la lettre de recommandation de son maître et sa maîtrise remarquable pour son jeune âge lui inspiraient confiance, atténuant par là-même l'appréhension qu'il éprouvait à l'idée de devoir passer l'examen de réception.

Après le cérémonial d'entrée, la délégation se rendit à San Petronio pour y entendre la messe. Domenico suivit la foule et assista à l'office qui fut servi d'excellente musique avec la Messe chantée par la Chapelle et de nouvelles interventions du Concerto Palatino. Il entendit notamment de très belles compositions vocales jouées aux instruments. Certaines recelaient d'artificieux arrangements tels que des voix supplémentaires confiées aux trombones ou des contreparties très fleuries. Ces pratiques qui permettaient de maintenir au goût du jour les compositions des anciens maîtres étaient très prisées de son professeur vénitien: il avait autrefois joué des motets de Busnoys ou d'Obrecht à quatre cornets et quatre trombones, ou à huit flûtes à bec, et plus personne à Venezia ne voulait entendre les anciennes versions tant celles-ci avaient de charme et d'éclat. Il ne pensait pas trouver à Bologna d'adaptations aussi sophistiquées et bien qu'il ait entendu parler de fameux recueils manuscrits dont on disait des merveilles, il n'avait pas encore entendu de musique à plus de cinq parties. Sans doute ne connaissaient-ils pas encore, ici, toutes ces nouvelles pièces qui circulaient à Venezia et que les progrès de l'imprimerie musicale commençaient à populariser.

En fait, Domenico attendait surtout de son futur maître un enseignement très poussé dans l'art de la diminution. Il y pensait précisément lorsqu' Alessandro di Bartolomeo et ses comparses attaquèrent pour l'Élévation une pièce très subtile, qu'il attribua à Isaac, dont la partie de dessus était embellie d'infinis mélismes, très complexes et merveilleusement libres. La vélocité et l'invention de ces figures improvisées sur la simple mélodie le laissèrent béat d'admiration. Il savait depuis longtemps que ces artifices étaient le lot des véritables virtuoses, c'est pourquoi nul recueil pédagogique n'avait encore été publié sur le sujet. C'est à Bologna qu'il apprendrait les arcanes de cet art, il s'en fit la promesse...

À l'issue de l'office, il suivit avec la foule la procession des dignitaires qui retraversèrent la place pour gagner les lieux du festin. Là, dans les salles du palais, si l'accès à la table des Anziani n'avait été aussi sévèrement gardé, il aurait pu, lui aussi, entendre tous les raffinements des flûtes à bec et des "concerts de table" où cornets et doulcianes donnaient les chansons de Josquin Desprez, d'Agricola et de Compère ainsi que toutes ces charmantes danses italiennes comme Il Marchese di Saluzzo, La Ternerina, El Bisson, et tant d'autres.

Il alla donc déjeuner en ville, puis revint à proximité du Palazzo Pubblico, pour ne manquer sous aucun prétexte l'ultime aubade, donnée à la première heure du coucher du soleil depuis le balcon. Là, au son éclatant des bombardes, il entendit les Tandernaken, et d'autres compositions solennelles propres à ravir l'assemblée par leur grande harmonie. Ainsi s'achevait normalement la journée des piffari bolonais, mais il y avait fort à parier que, pour le divertissement des notables, on donnerait dans le cortile ou dans la plus vaste salle du palazzo un grand bal très joyeux; et là encore, il appartiendrait aux sonneurs de satisfaire l'assistance avec force pavanes, gaillardes, pive, saltarelli. C'était l'existence, à la fois très privilégiée et pleine de contraintes des gens de cet Art, que Domenico venait partager à Bologna. C'est pourquoi, eu égard à la fatigue de son futur maître, il remit au lendemain, tard dans la matinée, sa visite au Borgo Loco.

—Jean-Paul Boug, Tours, Juillet 1998