Sur la terre comme au ciel / Discantus · Alla Francesca
Un jardin au Moyen-Âge




medieval.org
Jade (Universal) 198 796-2
2004







1. Salve rosa venustatis  [1:45]
XIIIe s. “Notre-Dame and related conductus - Opera omnia”, vol. IX, G.Anderson
conduit | chant: TUTTI

2. Hildegard von BINGEN. O pulchre facies  [2:41]
XIIe s. Riesenberg codex, Wiesbaden, Landesbibliotek
antienne | chant: TUTTI

3. Ave parens ~ Ad gratie  [2:35]
XIIIe s. Ms Montpellier, Bib. de l'Ecole de médecine H 196
motet | chant: HD EG LJ / BLB BL / AG CS

4. Iustus ut palma – v/. Plantatus in domo Domini  [3:48]
XIe s. Paris, B.N.E, Latin 776, Graduel de Gaillac
offertoire | chant: HD EG AG LJ CS (v/. CS)

5. Portum in ultimo  [1:46]   cc 107
XIIe s. “Liber sancti Iacobi - Codex Calixtinus” W M. Whitehill et dom G. Prado
prose | chant: TUTTI

6. O Johannes doce nos ~ Inter natos mulierum  [2:42]
XIVe s. Engelberg Stiftsbib., codex 314
motet | chant: TUTTI

7. Alle psallite cum luya  [0:45]
XIIIe s. Ms Montpellier, Bib. de l'Ecole de médecine H 196
motet | cloches: BL

8. Tierche estampie royale  [7:40]
XIIIe s. Ms 844 (Chansonnier du Roi), Paris B.N.E
vièles: BG LG — harpes: AM BL — luth: MG — percussion: PH

9. Jacques de CAMBRAI. Retrowange novele  [3:56]
XIIIe s. “Chansons des trouvères , M. Zink
chant et percussions: BL — flûte double: PH

10. [1:32]
· Guillaume d'AMIENS. Prendes i garde
XIIIe s. Hs. Rom. Vaticana, Fond. Christ 1490
rondeau | chant: AG BLB SCH / HD LJ CS — percussions: BL
· (an.) S'on mi regarde ~ Prennes i garde
XIIIe s. Ms Montpellier, Bib. de l'Ecole de médecine H 196
motet | chant: HD AG / LJ CS / BLB SCH

11. Gace BRULÉ. L'an que voi l'erbe resplandre  [7:32]
XIIIe s. Ms 846 (Chansonnier Cangé). Paris B.N.F, fonds français
chanson | chant et harpe: BL — flûte traversière: PH

12. Guillaume de MACHAUT. J'aim sans penser laidure  [1:30]
XIVe s. “G. de Machaut - œuvres complètes”, L. Schrade
virelai | cornemuse: PH — percussions : BL

13. Sing cucu ~ Sumer is icumen in  [1:25]
XIIIe s.  Londres, British Library, Harley 978, Ms Abbaye de Reading
canon | chant: enfants BLB SCH / HD LJ AG CS — cloches: BL

14. De toutes flours  [3:31]
XIVe s. Codex Faenza, Bib. Comunale, Ms 117
diminution, Guillaume de MACHAUT | luth: MG, harpe: AM

15. Guillaume de MACHAUT. Doulz viaire gracieux  [1:46]
XIVe s. “G. de Machaut - œuvres complètes”, L. Schrade
rondeau | chant: HD CG BL

16. Guillaume de MACHAUT. J'aime mieux languir  [1:56]
XIVe s. “G. de Machaut - œuvres complètes”, L. Schrade
ballade | flûtes doubles: PH PB

17. Johannes VAILLANT. Par maintes fois  [2:37]
“Polyphonic Music of the XIVth c.” Vol. I, G. K. Greene
virelai | chant: HD BL — luth: MG — vièle: LG

18. Petrone  [4:39]
XIVe s. Robertsbridge codex, London, Brit. Mus., add. 28550
estampie | flûtes: PH PB

19. Guillaume DUFAY. Je me complains piteusement  [2:00]
XVe s. “G. Dufay - Opera omnia”, H. Besseler
chanson | chant: HD CG BL

20. Guillaume DUFAY. Resvelons nous amoureux  [1:32]
XVe s. “G. Dufay - Opera omnia”, H. Besseler
chanson | chant: TUTTI — flûte et tambour: PH — luth: MG — vièle: LG - harpe: BL

21. Christo sit laus in celestibus  [1:13]
XIIIe s. Ms Florence, Bib. Mediceo-Laurenziana, Pluteo 29.1
rondeau | chant: HD LJ /AG CS BLB BL — cloche: SCH

22. Alleluya moduletur Syon filia  [4:31]
“Polyphonic music of the XIVth c.”, vol. IV, E. H. Sanders
conduit-motet | chant: TUTTI








ENSEMBLE DISCANTUS
Brigitte Lesne

chant:
Hélène Decarpignies (HD)
Emmanuelle Gal (EG)
Anne Guidet (AG)
Lucie Jolivet (LJ),
Brigitte Le Baron (BLB)
Brigitte Lesne (BL)
Catherine Schroeder (SCH)
Catherine Sergent (CS)
les voix d'enfants:
Lucie et Étienne Genuys-Lesne, Camille et Ariane Bresch-Le Baron, Clotilde et Doette Gaudet-Decarpignies






ENSEMBLE ALLA FRANCESCA
Pierre Hamon et Brigitte Lesne

Pierre Hamon (PH): flûtes à bec et traversière, flûtes doubles, cornemuse, percussions, flûte et tambour
Brigitte Lesne (BL): chant, harpes, percussions
Pierre Boragno (PB): flûte à bec, flûte double
Hélène Decarpignies (HD), Cyrille Gerstenhaber (CG): chant
Birgit Goris (BG), Lucas Guimaraes-Peres (LG): vièles
Michaël Grebil (MG): luth
Angélique Mauillon (AM): harpe





Enregistrement 31 mars, 1,2,3 avril 2002
Église Évangélique Luthérienne Saint-Marcel (Paris)
Ingénieur du son : Igor Kirkwood
Direction artistique : Dominique Daigremont AFN

Victor · UNIVERSAL · JADE
Ⓟ 2002 Éditions Jade © 2004 Éditions Jade

Illustration de couverture : Le Roman de la Rose, Manuscrit enluminé,
Bruges, vers 1500-1510, Londres, British Library
Maquette : William Yonner


Nos REMERCIEMENTS à Monika Musch pour la flûte a bec utilisée par Pierre Hamon plage 18
Nos REMERCIEMENTS à Élisabeth Antoine, Élisabeth Clavé, du Musée National du Moyen-Age
et Alain Madeleine-Perdrillat, de la Réunion des Musées Nationaux pour leur précieuse collaboration




English liner notes









SUR LA TERRE COMME AU CIEL
UN JARDIN AU MOYEN-ÂGE


Comme aucune autre époque le Moyen- Âge célébra les noces du Ciel et de la Terre. Des noces le plus souvent heureuses: on songe aux splendeurs de l'ogive ou de Fra Angelico, aux lumières de la Somme théologique ou de la Divine Comédie. Mais des noces parfois ambiguës: ce Seigneur partant pour la Croisade, ne confond-il point les deux Royaumes? Comment conquérir ce qui n'est pas de ce monde? Comment séparer le bon grain de l'ivraie? Et ce troubadour qui chante un chant si pur, quelle dame célèbre-t-il? Celle d'en-haut ou celle de «loin» ?

La parabole du «bon grain» prend tout son sens métaphorique quand il s'agit d'aborder l'un des lieux privilégiés de ces noces: le jardin. Les différentes recherches sur le jardin médiéval ont certes permis de discerner une évolution à travers les siècles: elle irait du jardin sacré au jardin d'agrément en passant par le jardin d'amour.

Mais cette évolution est d'autant plus riche que ses lignes sont subtiles et perméables. À l'Éden de la Genèse, évocation du paradis perdu et à l'Hortus conclusus du Cantique des cantiques, figure de l'âme, se substitue bientôt le jardin d'amour, le jardin allégorique du Roman de la Rose, lieu privilégié d'un amour courtois qui mêle non sans équivoque sacré et profane. Bientôt, c'est l'amour du jardin pour lui-même qui prendra le pas jardins d'agrément du Prince ordonnés par la science botanique comme les royaumes le sont par la science politique. Pourtant, le jardin d'amour, le jardin d'agrément ne seraient-ils pas des tentatives (inspirées? désespérées?) pour reconquérir le paradis perdu ? Et c'est au moment même où le profane triomphe qu'un puissant courant mystique (dès le XIIIe siècle) voit en la Vierge Marie le jardin des jardins, le jardin clos de l'Incarnation, vrai lieu des vraies noces mystiques du Ciel et de la Terre.

Une telle symbolique ne pouvait qu'inspirer de nombreuses œuvres, aussi bien vocales qu'instrumentales, et la musique médiévale a célébré le jardin avec une diversité de tons, de formes et de genres dont le présent enregistrement se veut un témoignage. De l'ars antiqua à l'ars nova, de l'École de Notre-Dame à Guillaume de Machaut ou Guillaume Dufay, voici un florilège (le mot tombe bien) de pièces - motets, rondeaux, chansons, virelais, estampies, ballades - harmonieusement assemblées comme le jardinier marie essences et couleurs. Deux mouvements bien sûr : le Ciel et la Terre, le sacré et le profane... Mais les mêmes contours flous.

La terre peut être paradisiaque:

Allons-nous en bien vite au mai,
et chacun de nous chanera un virelai
pour sa dame, ce qui nous rendra plus joyeux

(Chanson de Guillaume Dufay)

Et le ciel peut être si proche, puisque Marie en est la porte, cette «rose gracieuse qui jamais ne se fane» (Conduit Salve Rosa venustatis), cette «fleur qui par son parfum met en fuite les démons et surpasse par sa beauté toute chose». (motet Ave Parens). Quelles frontières? Aucune parfois: il n'est certes de fleur plus belle que la Vierge Marie, mais la dame rencontrée dans le verger présente bien des attraits.

Le bon grain et l'ivraie... Nous savons qu'il ne faut rien jeter... Dans l'aube pascale, Marie-Madeleine au tombeau prend le Christ ressuscité pour le jardinier. Il est bien plus que cela, et il nous laisse ce fol espoir que le Ciel aura le dernier mot. C'est là qu'il nous attend. Les derniers chants de ce programme ne pouvaient que s'élever. Ils exultent la louange et l'amour: Christo sit lux in celestibus et Alleluya moduletur.

François Mirabel


Discantus, ensemble de voix de femmes a cappella placé sous la direction de Brigitte Lesne, se consacre aux répertoires sacrés du Moyen-Âge : le chant grégorien tel que les plus anciennes notations permettent de le restituer; les compositions de l'ars antiqua, notamment au travers des manuscrits des écoles Saint-Martial de Limoges puis Notre-Dame de Paris aux XIIe et XIIIe siècles ; la naissance et l'épanouissement de la polyphonie, jusqu'aux motets polytextuels prémices de l'ars nova. Les programmes donnent lieu à des thématiques variées, mettant souvent l'accent sur la spécificité féminine (la maternité, les moniales,...) et ses figures emblématiques (la Vierge, Hildegard von Bingen,...). L'ensemble peut selon les cas être mis en scène (drames liturgiques), rejoint par un chœur d'enfants (chants de Noël) ou par divers instruments (cloches, orgue, instruments à vent,...).


Alla francesca parcourt la très grande diversité des musiques médiévales profanes à la manière d'un groupe de musique de chambre : troubadours et trouvères (XIIe et XIIIe siècles) suivis des grands compositeurs francophones qui leur succèdent (Guillaume de Machaut, Guillaume Dufay). Il se tourne tout autant vers les répertoires italiens (Francesco Landini, Johannes Ciconia), espagnols (Llibre vermell de Montserrat, Cantigas de Santa María, chants séfarades), et les musiques plus spécifiquement destinées aux instruments (estampies et danses, notamment en Italie) en établissant un lien avec les musiques traditionnelles. L'effectif est variable d'un programme à l'autre : du récital intime en trios, duos ou solos, jusqu'à un effectif vocal et instrumental plus fourni, incluant parfois le travail avec comédien ou conteur. L'ensemble est placé sous la direction conjointe de Brigitte Lesne et Pierre Hamon, ce dernier en dirigeant la version uniquement instrumentale.

Depuis leurs créations au tout début des années 90, Alla francesca et Discantus se sont produits dans les principaux festivals français et européens, et dans le monde entier (jusqu'en Australie, au Brésil, aux États-Unis...). De nombreux concerts ont été retransmis par la radio. La plupart de leurs enregistrements ont paru sous le label Opus 111.


Discantus, an ensemble of a cappella female voices under the direction of Brigitte Lesne, is dedicated to a repertory of Music from the Middle Ages: Gregorian chants interpreted according to the earliest notations; the compositions of ars antiqua, particularly the manuscripts of the Saint-Martial school in Limoges and Notre-Dame de Paris in the 12th and 13th centuries; the beginnings and the development of polyphony, up to the poly-textual motets, premise of the ars nova. The programmes lead on to varied thematics, often putting the accent on female specificity (maternity, the moniales,...) and emblematic female figures (the Virgin, Hildegard von Bingen,...).The ensemble may perform within a production (liturgical drama), or with a child's choir (Christmas songs) or joined by different instruments (bells, organ, wind instruments...).

Alla francesca interpret the variety of medieval profane music in the style of a chamber music group: troubadours and trouvères (12th and 13th centuries) followed by the great francophone composers who succeeded them (Guillaume de Machaut, Guillaume Dufay). They select from Italian repertories (Francesco Landini, Johannes Ciconia), Spanish (Llibre vermell de Montserrat, Cantigas de Santa María, sefarade songs), and music more specifically created for instruments (estampies and dances, especially in Italy) by establishing a link with traditional music. The number of players may vary from one programme to the next: from a trio for the intimate recital, or duos and solos, to a more numerous vocal and instrumental corps, including on occasion an actor or a storyteller. The ensemble is under the direction of Brigitte Lesne and Pierre Hamon, who directs the all-instrumental version.

Since they got together at the beginning of the 90s, Alla francesca and Discantus have performed at the major French and European festivals, and throughout the world (as far as Australia, au Brazil, the United States...). Many concerts have been broadcast over the radio. Most of their recordings were published by Opus 111.









ON EARTH AS IN HEAVEN
A MEDIEVAL GARDEN

The nuptials of Heaven and Earth were celebrated in the Middle Ages as in no other period in Western history. Whether we consider the splendors of a gothic vault, Fra Angelico, the Summa Theologica or the Divine Comedy, the overwhelming effect is of matrimonial bliss. But at times one may detect a touch of ambiguity: the knight setting out on a Crusade — does he not confuse his Heavenly and Earthly kingdoms? Can one attempt to conquer what is not of this world? Can the chaff truly be separately from the wheat? And the troubadour, whose song is so pure, who is the lady he truly celebrates — the One on High or the one ‘afar’?

The parable of the ‘good seed’ takes on all its metaphorical power when considered in the context of marriage's preferred venue: the garden. Research on the medieval garden has demonstrated a certain evolution over the centuries from the sacred garden to the pleasure garden, passing through the garden of love.

And this evolution is all the richer for the subtle and permeable quality of its boundaries. The Eden of the lost Paradise of Genesis and the walled garden as the figure of the Soul in the Song of Songs soon give way to a garden of love, the allegorical garden of the Roman de la Rose, high seat of courtly love, but not without a certain mingling of sacred and profane. The garden of love soon takes over: as flower gardens of the Prince are organized through principles of botanical science, so is the kingdom by political science. But the garden of love or the pleasure garden, are they not attempts, inspired or desperate, to regain Paradise lost? It is just as the profane finally triumphs in the 13th century that the powerful mystical cult of the Virgin worships Her as the Garden of gardens, the enclosed garden of the Incarnation, true seat of the true Celestial Wedding between Heaven and Earth.

Such a symbolic force could only inspire a profusion of vocal and instrumental works. Medieval music celebrates the garden with a diversity of tone, form and genre which the present recording testifies. From ars antiqua to ars nova, from the school of Notre Dame to Guillaume de Machaut or Guillaume Dufay, here is a florilege (happy term) of pieces: motets, rondos, chansons, virelays, estampies and ballades harmoniously chosen as a gardener would blend scents and colors. And of course, two themes: Heaven and Earth, the sacred and the profane... with the same vaguely defined contours.

The Earth may be heavenly:

Run to the wood to gather the May
Each one of us singing a virelay
For his lady. That will increase our joy.

(Chanson de Guillaume Dufay)

And Heaven may be so near, since Mary is its Gate, this "gracious rose, flower ever blooming" (conductus: Salve Rosa venustatis), this "flower who drives away the devil and who is the rarest beauty of all". (motet: Ave Parens).

Where are the boundaries? Sometimes nowhere: there is no lovelier flower than the Virgin Mary, yet the lady of the orchard does have her charms....

The wheat and the chaff— we know that nothing should be cast out; on Easter morning Mary Magdelene mistakes Christ for the gardener, but He is much more than that, and we are left with the wild hope that Heaven will have the last word. Heaven is where He awaits us. The last pieces on this program can only rise to exultation in praise and in love: Christ sit laus in celestibus and Alleluya moduletur.

François Mirabel