medieval.org
Accord 220 632, 1986
Accord Baroque 465 942 2
Enregistrement numérique réalisé à
Blumenstein (Suisse)
par le Pr. Jakob Staempfli
en avril 1986
Cinquième centenaire de la naissance de LUDWIG SENFL (1486-1543)
Motet pour Saint-Paul ·
Lied autobiographique ·
Chants d'amour, chants à boire et it danser
Ode d'Horace ·
Ode funèbre pour l'Empereur Maximilien
PRAEAMBULUM
01 - Carmen ''Nun grüeß dich Gott'' [0:53]
cornet à bouquin, bombarde, 2 trombones, tambour
MUSIQUE SACRÉE
02 - O gloriosum lumen omnium [5:32]
MOTET POUR ST-PAUL
2 contre-ténors, ténor, basse, cornet à
bouquin, 2 trombones, orgue regal
03 - Vita in ligno moritur [2:39]
Tabulature de Jan von Lublin, 1540
orgue regal
LIED AUTOBIOGRAPHIQUE
04 - Lust hab' ich ghabt zuer Musica [9:05]
ténor, luth, flûte à bec
DEUTSCHE LIEDSÄTZE
05 - Lieblich hat sich gesellet [2:46]
contre-ténor, ténor, basse
06 - Tag, Zeit noch Stund [4:40]
ténor, 3 violes de gambe
07 - Carmen in la [1:19]
4 flûtes à bec
08 - Patientiam mueß ich han [2:19]
cornet à bouquin, 3 violes de gambe
09 - Ich hett mir ein endlein fürgenommen [1:42]
luth, 3 violes de gambe
10 - Ach Elslein, liebes Elselein mein [1:42]
contre-ténor, luth, viole de gambe
11 - Ach Elselein - Es taget vor dem Walde [2:00]
2 contre-ténors, ténor, 3 violes de gambe
12 - Mag ich unglück nit widerstan [1:13]
Tabulature H. Judenkünig, 1523
luth
13 - Mein fleiss und müeh [1:11]
Tabulature H. Neusiedler, 1536
luth
14 - Ich stuend an einem Morgen [1:38]
3 flûtes à bec
15 - Ich schell' mein Horn in Jammers Ton [3:13]
2 contre-ténors, ténor, basse, 3 violes de gambe
16 - Kein Adler in der Welt so schon · Es taget vor dem
Walde · Ich stuend an einem Morgen [5:56]
2 contre-ténors, ténor, cornet à bouquin,
flûte à bec, 2 violes de gambe, luth
LAMENTATION
17 - Lamentatio [2:00]
cornet à bouquin, dolzian, 2 trombones
HUMANISTENODE
18 - Iam satis terris [3:37]
ODE D'HORACE
2 contre-ténors, ténor, basse, lira da braccio
CHANSONS A BOIRE ER A DANSER
19 - Was wird es doch [1:40]
Tabulature Elias Nikolaus Ammerbach, 1571
orgue real
20 - Mit Lust tritt ich an diesen Tanz [2:53]
2 contre-ténors, ténor, basse, cornet à
bouquin, flûte à bec, cromorne, 2 trombones, tambour
21 - Es hett ein Biedermann ein Weib [2:16]
2 contre-ténors, ténor, basse, luth
22 - So trinken wir alle [1:17]
2 contre-ténors, ténor, b, cornet à bouquin, 2
bombardes, trombone, tambour basque
TRAUERODE AUF DEN TOD KAISER MAXIMILIAN
23 - Quis dabit oculis nostris [4:14]
2 contre-ténors, ténor, basse, cornet à
bouquin, trombone
CLEMENCIC CONSORT
René Clemencic
Luiz Alvez da Silva, contre-ténor
Graham Pushee, contre-ténor
Martin Klietmann, ténor
Joseph Cabré, basse-baryton
Sylvia Abramowicz-Dunford, viole de gambe 3
Jean-Pierre Canihac, cornet à bouquin
René Clemencic, flûte à bec Renaissance
Randall Cook, viole de gambe 2, flûte à bec
Renaissance, bombarde, dulcian
Heinrich Huber, trombone Renaissance
András Kecskés, luth Renaissance
Igor Pomykalo, lira da braccio, viole de gambe 1, flûte
à bec Renaissance, cromorne
Wolfgang Schmid, trombone Renaissance
Peter Widensky, orgue Regal, flûte à bec Renaissance,
percussion
LUDWIG SENFL
Ludwig Senfl n'est pas seulement l'un des plus grands compositeurs
suisses, mais l'un des plus grands maîtres de l'histoire de la
musique occidentale, un de ces derniers compositeurs issus de la grande
école polyphonique néerlandaise ou, plus
précisément, franco-flamande. Il naquit à
Bâle en 1486. En 1496, il entre comme jeune chanteur et copiste
au service de l'empereur Maximilien 1er, tout d'abord à
Augsbourg, puis à Vienne. Comme il se montre plein d'ardeur
l'étude et comblé de dons, le grand Henri Isaac, alors
compositeur à la cour de Maximilien, le prend comme copiste et
lui enseigne la composition. A la mort d'Isaac, survenue en 1517, il
lui succédera à la chapelle de la cour impériale.
Il occupa ce poste jusqu'en 1520, année de la mort de Maximilien
et de la dissolution de la chapelle. Il ne tarde pas alors à
trouver à Munich, à la cour des ducs de Bavière,
un nouveau milieu propice à l'exercice de ses talents. Il y sera
"musicus intonator", "compositeur du prince à Munich". C'est
vers 1530 qu'il se marie. De cette union naîtra une fille en
1537. Fréquemment surchargé de travail, Senfl eut
souffrir presque toute sa vie des intrigues de la cour. Bien que
catholique, il s'intéresse vivement à la cause des
protestants et fut grand ami de Martin Luther, lequel aimait beaucoup
la musique. Une cordiale amitié le lia aussi à Paul
Hofhaimer et à l'humaniste Minervius. Il donne l'impression,
d'une façon générale, d'avoir été un
homme qui alliait "amabilité et caractère". Il meurt
à Munich entre le 2.XII.1542 et le 10.VIII. 1543.
Dans ses œuvres, Senfl apparaît moins comme un compositeur
qui innove que comme un musicien qui continue et accomplit une
tradition. Chez lui le Moyen Âge et la Renaissance s'unissent de
la manière la plus heureuse. L'esprit du Moyen Âge respire
dans nombre de ses pièces: rigueur de la construction,
traitement très artistique du cantus firmus, maîtrise
achevée du contrepoint. L'esprit de la Renaissance se fait jour
dans le texte traité avec amour et humanité, dans la
simplification, par endroits, de la phrase, la déclamation par
accords, la recherche de la plénitude du son dans l'harmonie, le
parallélisme des tierces et des sixtes, etc... ainsi que dans
une cordialité et une chaleur subjectives du langage tonal, dans
de nombreuses pièces. Son œuvre comprend 7 messes, environ
240 motets, 262 chants et 8 morceaux pour instruments. Les messes sont
construites tout à fait dans la tradition des Pays-Bas, et elles
unissent les tendances d'Isaac et de Josquin des Prés. Il en va
de même de la plupart des motets. Le motet à 5
voix pour la gloire de Saint Paul "O gloriosum lumen omnium" est
construit sur un cantus firmus liturgique. L’œuvre est
divisée en 3 parties et le cantus firmus est confié
à la 3ème voix, au milieu du mouvement, ce qui
répond très certainement à des
considérations sur la Trinité. Le cantus firmus,
mené souvent avec pondération, est repris en filigrane
par les 4 autres voix dont la substance mélodique est souvent
prélevée sur la mélodie du cantus firmus. Dans la
2ème partie, la 4ème voix répète le cantus
firmus en canon, à l'unisson. La fin de l’œuvre
("agnoscere") sert de transition vers une mesure à 3 temps,
rapide et légère. La suprême réussite de
Senfl, du point de vue de l'histoire de la musique, réside
certainement dans la phrase allemande, la mélodie, le lied,
pourrait-on dire, car on est presque tenté de la comparer
à celle de Schubert. Toutefois, la gamme des thèmes, chez
Senfl, est encore plus large que chez Schubert. Il est des
thèmes qui sont satiriques, critiques de l'époque,
d'autres pleins de gaieté exubérante ou d'impertinence,
d'autres encore sont courtois, populaires, religieux,
autobiographiques, etc...).
Généralement, les compositions sont à 4 voix. La
voix principale qui porte le cantus firmus est presque toujours la
3éme voix de ténor. La disposition formelle correspond
l'ancienne forme strophique allemande du Moyen Âge (la
"Barform"), c'est-à-dire: 1 ère strophe
répétée suivie d'une 3ème strophe (A A B).
Quelques textes sont l’œuvre de Senfl. Quant aux autres
textes, il les choisissait avec une dilection toute
particulière, selon des critères très personnels.
Amoureux de l'interprétation du texte, Senfl épure et
simplifie souvent. Comme le dit l'humaniste Minervius, Senfl peut, "en
excellent poète, exprimer par des sons les sentiments divers que
recèle le texte et les faire éprouver par l'auditeur".
Senfl traite ses chants avec un art achevé. Ceux-ci, par leur
effet architectonique font penser au Moyen Âge, mêlant le
cantus firmus à plusieurs mélodies populaires qui n'ont
donc pas été inventées par Senfl.
Il arrive souvent que Senfl superpose 3 mélodies disparates et
qu'il laisse aux autres voix le soin de les utiliser, avec un art
remarquable. Dans ce cas, le sens du texte cède le pas à
une polyphonie complexe. Dans l’œuvre à 6 voix "Kain
adler - Es taget - Ich stuend" le cantus firmus de "Ich stuend"
s'achève prématurément: C'est alors
qu'apparaît une partie de la mélodie "und ich bin da", 3
fois, puis la fin "stand auff Ketterlin", 8 fois, dans les rythmes les
plus différents. De nombreux motets et chants de Senfl furent si
populaires que le 16ème siècle en fit un nombre
considérable d'arrangements destinés aux instruments
à clavier, aux divers instruments de la famille du luth et
aussi aux ensembles instrumentaux. Ces arrangements pour instruments
à clavier et pour luths (tablatures) enrichissent les
pièces de plus ou moins d'ornements propres aux instruments. Les
odes humanistes occupent une place bien particulière. Pour
les cours sur Horace, donnés par le célébre
humaniste Conrad Celtis, Ingolstadt, l'élève de Celtis,
Petrus Tritonius, avait mis en musique les odes d'Horace (Texte
d'Horace ici chanté:Depuis trop longtemps Jupiter nous
éprouve par neige et grêle; on a vu déborder le
Tibre jaune: qui peut expier tous les crimes? Nous venons toi, Apollon,
implorer ta grâce). Dans un mouvement "note contre note", on
respecte strictement la métrique du vers antique. La
mélodie principale est confiée à la voix
ténor. L'humaniste munichois et son élève
Tritonius demandèrent à Senfl d'améliorer la
composition musicale en utilisant les mélodies existantes.
Soucieux de mieux se conformer aux usages de l'école, Senfl
confie le cantus firmus à la 2ème voix, en tenant compte
de l'étendue des voix d'enfants. La phrase de Senfl est plus
ronde et elle sonne mieux.
L'ode funèbre pour la mort de l'empereur Maximilien 1er "Quis
dabit oculis" a été attribuée, dans les textes
du 16ème siècle, à Senfl. Cette tradition s'est
maintenue jusqu'à notre siècle. Or, le vrai compositeur
de cette œuvre est Costanzo Festa qui l'avait écrite en
1514, à la suite de la mort de la reine Anne de France. Nous
n'avons de Senfl qu'une adaptation du texte pour la mort de l'empereur
Maximilien. Nous ne voulions pas, en présentant Senfl, renoncer
à cette œuvre, si expressive, que la légende lui a
attribuée. Le fait que Senfl ait choisi
précisément cette musique pour la mort de son grand
protecteur, si vénéré, montre combien grandes
étaient ses affinités avec elle.
L'exécution des chants:
Il y a la une grande variété de possibilités:
exécution a capella ou bien en mêlant les instruments et
les voix, ou encore pour instruments seuls. Comme il arrive souvent que
seule la voix de ténor soit indiquée sur le texte, tout
porte à penser que l'auteur avait une préférence
pour cette voix, en tant que voix principale chantée. Toutefois,
l'usage a tout permis au cours des âges.
"A chanter joyeusement et à jouer sur toutes sortes
d'instruments": telle est l'indication que l'on rencontre toujours sur
les textes imprimés du 16ème siècle. En principe,
les voix indiquées dans le texte peuvent être
jouées aussi par des instruments, et, inversement, la partition
prévue pour des instruments peut être
interprétée vocalement.
L'exécution des odes humanistes:
Il faut penser avant tout - ne serait-ce que pour des raisons
pratiques, d'école - au chant de la voix du cantus firmus. Quant
aux autres voix, le plus souvent, elles ont été rendues
par des instruments polyphoniques. Mais, là encore, il est
possible de faire chanter toutes ces odes par des élèves
et des professeurs plus âgés. Nous avons utilisé
ici, la lira da braccio, conçue au 15ème siècle,
à partir de la vielle du Moyen Age. C'est un instrument dont on
peut se servir presque exclusivement pour accompagner le chant, en
improvisant plus ou moins. Dürer a fait figurer cet instrument
dans le livre de prières de l'empereur Maximilien 1er, ce qui
montre qu'il était également en usage dans les pays
germaniques.
Lust hab ich ghabt suer Musica,
est un Lied autobiographique dont Senfl a écrit le poème
et la musique. Il y exprime "son amour pour la musique dès
l'enfance, raconte cette enfance, et sa carrière: d'abord
chanteur, puis copiste pour le compte de son maître Heinrich
Isaac, qui lui enseigna l'art de la composition, ce dont il lui sera
éternellement reconnaissant.
Il prie le Christ d'accorder à Isaac la grâce divine.
Il est maintenant sous la protection de l'Empereur, remercie Dieu de sa
grâce, et sait que Dieu n'abandonnera jamais celui qui croit en
Lui".
Dr. René Clemencic