Les Cris de Paris. Chansons de JANEQUIN & SERMISY
Ensemble Clément Janequin



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medieval.org
Harmonia Mundi "musique d'abord" HMA 195 1072
2005
grabación de 1981









Clément JANEQUIN
01 - Voulez ouyr les cris de Paris   [5:57]

Claudin de SERMISY
02 - Languir me fais   [2:25]
03 - Je n'ay point plus d'affection   [1:35]

04 - Adrian LE ROY. Je n'ay point plus d'affection   [1:39]
d'après Claudin de SERMISY · lute

Claudin de SERMISY
05 - La, la maistre Pierre   [1:15]

Clément JANEQUIN
06 - Ung mari se voulant coucher   [1:19]

Claudin de SERMISY
07 - Secourez moy   [2:53]

Clément JANEQUIN
08 - Du beau tétin   [4:02]
09 - Or vien ça   [2:39]
10 - La Bataille   [6:54]
11 - La Meusnière de Vernon   [1:50]

Claudin de SERMISY
12 - Dont vient cela   [3:13]

Clément JANEQUIN
13 - L'amour, la mort et la vie   [1:51]
14 - Martin menoit son pourceau   [1:51]

15 - Francesco da MILANO. Las, je my plains   [1:22]
 lute

Clément JANEQUIN
16 - Au joly jeu   [1:47]

Claudin de SERMISY
17 - Joyssance vous donneray   [3:26]
18 - Au joly bois   [2:10]
19 - Tu disoys que j'en mourroys   [1:50]



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previas ediciones:
LP. 1982: Harmonia Mundi HM 1072
CD, 1984: Harmonia Mundi HMC 90 1072






Ensemble Clément Janequin
Dominique Visse

Dominique Visse, cotre-ténor
Michel Laplenie, ténor
Philippe Cantor, baryton
Antoine Sicot, bass

Claude Deboves, luth


Enregistrement avril 1981
Prise de son: Jean-François Pontefract
Assistance musicale: Marcel Frémiot




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Alors que la carrière de Claudin de Sermisy est essentiellement parisienne — dans la mouvance immédiate de la cour, notamment comme "soubz maistre de la chapelle" —, Clément Janequin se présente au contraire comme musicien provincial: après Bordeaux, Angers et Chartres, il ne s'installe enfin à Paris que pour les dix dernières années de sa vie, vers 1549, où il reçoit son titre rare et envié de "compositeur ordinaire du Roi".

C'est par la chanson polyphonique que les deux hommes sont proches. Leur production religieuse (messes et motets), en dépit des fonctions qu'ils occupent, semble relativement mineure en regard de l’œuvre profane — 169 chansons chez Sermisy, 250 environ chez Janequin — pour laquelle les contemporains les ont déjà placés au premier rang. Outre qu'elles sont très souvent rééditées, par Pierre Attaingnant lui-même d'abord, puis par d'autres (Moderne, Phalèse...), les chansons de Claudin sont au centre d'un véritable rayonnement musical: leurs mélodies sont l'objet de multiples emprunts, dans de nouvelles compositions vocales (paraphrases), pour des parodies pieuses (contrafacta), des psaumes (même en Allemagne), des danceries instrumentales, des messes. Quant à Janequin, il n'est plus besoin de vanter la postérité de sa Bataille; elle ne saurait éclipser cependant le reste de l’œuvre et son succès. Dès 1528, Pierre Attaingnant lui consacre en totalité l'une de ses premières éditions (Chansons de Maistre Clement Janequin) et, de 1533 à 1549, quatre autres livres sortiront des presses parisiennes de la rue de la Harpe, ainsi qu'un cinquième en collaboration avec Passereau.

Reste pour nous, aujourd'hui, à dépasser une appréhension abstraite de ces musiques, celle que peut nous fournir la fréquentation des publications d'Attaingnant. Déjà, cependant, l'imprimé, dans sa matérialité même, est instructif: le plus souvent, quatre petits volumes (un par partie, supérius, contratenor, tenor et bassus), parfois deux (un pour deux voix, imprimées en regard), de format oblong.

Il est clair que les quatre parties de la polyphonie vocale sont tenues par des solistes. Manifestement, ainsi concrètement située, la chanson n'est pas un objet de concert au sens moderne du terme, mais bien un plaisir partagé en privé — "pour s'esjouir... ès maisons" comme dira Goudimel à propos de ses psaumes polyphoniques. On comprend mieux alors que l'auditeur soit surpris de n'en pas saisir le texte: c'est avant tout pour eux-mêmes que les chanteurs le profèrent et, s'il est apparemment maltraité, voire violenté, c'est qu'il se prête aux jeux de la polyphonie, pour un surplus de plaisir de ceux qui la font. Cette dimension domestique, l'iconographie la confirme et l'illustre; elle nous oblige en même temps à en nuancer la réalité sonore, à la lumière aussi d'autres sources d'informations. L'exécution par quatre chanteurs n'est, en effet, qu'une des interprétations possibles. La chanson peut aussi être exécutée par un ensemble de voix et d'instruments mêlés diversement, voire par un seul instrument polyphonique, tel le luth, comme les Attaingnant et autres Le Roy l'enseignent aux luthistes dans leurs Instructions.

La diversité touche aussi, ne l'oublions pas, la facture même de la chanson ainsi que le texte poétique qu'elle véhicule. C'en est bien fini du ton uniformément aristocratique et courtois des chansons de la cour de Bourgogne. Certes, la chanson amoureuse garde bien quelque chose de la courtoisie médiévale et de son expression poétique: bon nombre de textes, élégiaques surtout, le rappellent encore nettement. Mais la poésie à chanter, tout comme l'autre, n'échappe pas pour autant à d'autres modes plus "actuelles" le pétrarquisme, par exemple (cf. L'Amour, la mort et La vie), ou la mode des blasons que Clément Marot lance en 1535 à la cour de Ferrare avec le blason "Du beau tétin", aussitôt mis en musique par Janequin et publié chez Attaingnant dès 1536. Clément Marot jouit d'une vogue inégalée chez les musiciens de la chanson parisienne, et en particulier chez Sermisy et Janequin. De ses "chansons", les sources musicales ne donnent que la première strophe. C'est donc en s'aidant des éditions poétiques (L'Adolescence Clémentine de 1532, notamment) qu'on peut en compléter les textes et les chanter "in extenso". Ces chansons présentent un profil tout à fait typique de Sermisy et qui fera son succès, pour l'essentiel — ce sont elles qui sont le plus fréquemment rééditées —: contrepoint simple et coulant, souvent homophone, légèrement mélismatique, lignes très mélodiques facilement mémorisables, formes équilibrées et souvent symétriques.

Mais, sous la plume de Marot et des marotiques, la poésie amoureuse sait aussi prendre un tour tout à fait différent, dans les épigrammes, les chansons narratives (ou "avec propos" comme dit Marot). C'est l'univers de la farce, du conte et du théâtre populaires qui envahit la chanson savante, avec son cortège de personnages pittoresques, tels Martin et Alix de l'épigramme de Marot, dont nous avons ici la version de Janequin (il en existe deux autres, d'Alaire et de Sermisy). A dire vrai, cette veine populaire s'est introduite dans la chanson depuis une bonne génération, à la faveur, semble-t-il, d'une mode popularisante qui avait gagné la cour de Louis XII. C'est sans doute dans cette descendance directe qu'il faut entendre les chansons a refrain (Au joly jeu, La, La, maistre Pierre, Or vien ça) et surtout ces chansons dites "rustiques" que semblent bien être Tu disoys quejen mourroys (Sermisy) et La Meusnière de Vernon (Janequin). Il s'agit là d'élaborations polyphoniques (savantes, ô combien!) de "timbres" qu'on peut supposer populaires, empruntés à la tradition orale. La mélodie de la chanson de Sermisy (Tu disoys quejen mourroys) est aussi traitée dans une chanson anonyme (Jamais je n'aymeray grant homme) publiée chez Attaingnant la même année 1530 (36 chansons musicales...). Il en est de même pour La Meusnière de Vernon dont nous possédons deux autres versions par Maillart (1554) et Certon (1570). Surtout, en ce qui concerne cette chanson "rurale", nous disposons d'une information quasi ethnologique, rapportée par Noël Du Fail au chapitre XXIV des Contes et Discours d'Eutrapel (1585): notre conteur, "gentilhomme breton" y parle "d'un apothicaire d'Angers... sonnant dessus son mortier la moulinière de Vernon". On pourrait être tenté d'entendre aussi La Chanson de la guerre — seule une tablature de luth manuscrite de 1540 environ l'intitule Bataglia de Maregnano — et Les Cris de Paris avec une oreille d'ethnologue. Il s'agit bien un peu de cela, semble-t-il, si l'on en croit encore Noël Du Fail:

"Comme par exemple, quand l'on chantoit la chanson de la guerre faicte par Janequin devant ce grand François, pour la victoire qu'il avait eue sur les Suisses; il n'y avoit celuy qui ne regardast si son espée tenait au fourreau, et qui ne se haussast sur les orteils pour se rendre plus bragard et de kt riche taille.. ."

Il n'en reste pas moins que cette dimension est en même temps largement dépassée dans ces œuvres où la polyphonie se montre dans son essence même: un "assemblage" virtuose et hautement ludique, profondément enraciné dans une tradition culturelle qui se manifeste d'ailleurs dans d'autres pratiques également exemplaires telles que les "quodlibets", "coq-à-l'âne" et autres "fricassées".

JEAN-PIERRE OUVRARD


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